Druon & Cie

Heureux signe de décrispation ? Henri Godard, éditeur de Céline dans La Pléiade, et Alain de Benoist, figure emblématique du GRECE, ont aimablement conversé ensemble, le 2 mars, lors d’un colloque intitulé L’actualité de l’antimodernité. De Céline aux expressions artistico-littéraires contemporaines ¹. Il est vrai que cela se passait en Italie, à Catania. Henri Godard y traitait de « Louis-Ferdinand Céline, 45 ans après sa mort » ; Alain de Benoist, de « La modernité de certains antimodernes ». Ce qui est encore impensable en France l’est donc dans le milieu universitaire transalpin.

Par Le Parisien, j’apprends que le dispensaire Maurice-Berteaux, haut lieu de l’histoire sociale de Sartrouville, vit peut-être ses derniers mois pour cause de déficit permanent ². C’est dans ce dispensaire, créé sous le Front populaire, que le docteur Louis Destouches exerça pendant une courte période à partir de l’automne 1939. Il y fut même nommé médecin-chef en mars de l’année suivante. Inutile de préciser qu’aucune plaque commémorative ne rappelle cet épisode de la vie de Céline. Au contraire : « Lorsqu’on évoque son passage à Sartrouville, c’est tout juste s’il ne faut pas baisser le ton », révèle Pierre Fond, le maire actuel.

Le rapport du concours d’entrée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm nous informe que Céline était à nouveau présent en 2005 à l’épreuve orale d’explication d’un texte de littérature française. Un candidat (admissible à l’écrit) a choisi, entre deux textes comme c’est l’usage, un extrait de D’un château l’autre. Il s’est fait tancer dans le rapport pour l’avoir commenté « en se coupant du savoir acquis en principe dans les cours d’histoire sur la situation du gouvernement de Vichy à Sigmaringen –, et il était plus aberrant encore de dater de 1947 l’extrait étudié qui comportait une claire allusion à l’insurrection de Budapest ».

Sous le titre « Les génies insupportables », Maurice Druon, ancien ministre et académicien, clame : « On découvre un jour, fortuitement, pourquoi on était allergique à certains écrivains généralement encensés » ³. Ainsi, Céline dont Voyage au bout de la nuit lui tomba des mains lorsqu’il tenta de le lire, adolescent. Tout devint clair quelques années plus tard lorsque Céline publia ses méchants pamphlets : « Céline était une très mauvaise âme, et c’est cette âme qui m’avait éloigné de sa prose. » Comme tout est simple sous la plume de Druon ! Même réaction face à Rimbaud qui suscita très tôt une profonde allergie chez lui. C’est qu’il découvrit plus tard que l’auteur du Bateau ivre était « un caractériel » doté d’une « âme abominable ». Rimbaud et Céline réunis dans la même exécration académicienne ! C’est presque trop beau pour être vrai…

  1. « L’attualità dell’antimodernità. Da Céline alle espressioni artistico-letterarie contemporanee », Université de Catania, 2 mars 2006. À cette occasion fut présenté le spectacle « J’accuse ! Céline Danse Macab(a)re(t) », écrit, mis en scène et interprété par A. Ferrari.
  2. Julien Constant, « Sartrouville. Le dispensaire historique en sursis », Le Parisien, 28 janvier 2006.
  3. Maurice Druon, « Les génies insupportables », Le Figaro littéraire, 26 janvier 2006.