Éric Mazet

C’est à la fin des années 70 que j’ai fait la connaissance d’Éric Mazet. Grâce à l’une ou l’autre bibliographie célinienne, je savais qu’il était l’auteur d’un mémoire de maîtrise fondateur, « La Déformation du réel dans trois œuvres de Céline, d’après des documents inédits », soutenu en 1971 à la Sorbonne. Soit quelques années avant le renouveau des études céliniennes dû au « canal historique » Dauphin-Alméras-Godard-Gibault. C’est, en effet, à la fin des années 70 que surgit la floraison des Cahiers Céline, de l’Album Pléiade, du premier tome de la biographie de François Gibault, et des colloques de la Société des Études céliniennes.

Né en 1944 sous le signe des Gémeaux (comme Céline !), Éric eut la chance de connaître un témoin capital en la personne de Henri Mahé, dont il allait, bien des années plus tard, rééditer sa Brinquebale dans une édition particulièrement soignée et enrichie. Auparavant, par une série d’articles et de communications, il sut dire sa dette envers ce peintre et décorateur de talent qui assista à l’éclosion de l’écrivain.

La différence entre Mazet et tant d’autres céliniens, c’est qu’il se révéla un véritable chercheur, alliant humilité et rigueur. Et dépourvu du moindre souci carriériste, travaillant durant toutes ces années sur Céline, que celui-ci ait atteint le sommet de sa gloire posthume ou pas encore. C’est ainsi qu’il a rencontré des témoins, pris des notes, suivi des pistes, opéré mille et un recoupements, ce qui lui permettra plus tard de rédiger une foultitude d’articles publiés dans toutes les revues céliniennes existantes et même ailleurs. On lui a parfois reproché de pousser l’exactitude jusqu’aux détails infimes, mais c’est oublier que ceux-ci peuvent s’avérer révélateurs ou permettre de relier un fil à l’autre. Exigeant, il s’insurge lorsque telle entreprise de presse, surfant sur la vogue célinienne, présente un dossier truffé d’inexactitudes, de simplifications abusives ou même d’interprétations malveillantes. Il n’apprécie guère la facilité, pas davantage la doxa. Il a fallu attendre 2004 pour qu’il co-signe un ouvrage capital : Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline 1945-1951 (Copenhague-Korsør), véritable encyclopédie de l’exil danois. Mais si l’on rassemblait toutes les études qu’il a consacrées à Céline, on disposerait d’un volume de 500 pages au moins. Sans compter les nombreuses correspondances qu’il a présentées, annotées et parfois même révélées, de Briant à Marks en passant par Seltensperger ou Zuloaga.

Car il faudrait aussi évoquer ses nombreuses découvertes, notamment celles liées à la biographie célinienne des années décisives qu’il connaît particulièrement bien. C’est la raison pour laquelle nombreux ont été les céliniens à faire appel à lui, que ce soit pour la Pléiade ou pour des initiatives moins ambitieuses. Leur attente ne fut jamais déçue, Éric Mazet étant certainement l’un de ceux à connaître le mieux la vie et l’œuvre du grand fauve. Une de ses autres particularités est que, contrairement à tant d’autres exégètes, il ne condamne pas l’individu mais essaie de comprendre, voire d’être en empathie. Et tente de mettre en perspective historique ce que furent les combats et motivations du pamphlétaire. Pour mieux appréhender sa vision de Céline, il faut se reporter à l’entretien qu’il a donné à Joseph Vebret : « Si l’on cherche à comprendre, sans vouloir excuser, tout est plus compliqué chez Céline que chez d’autres écrivains. Son ambivalence, ses changements, nous déroutent ¹. ». Nul doute que l’analyse de la graphie célinienne lui a permis de corroborer cette appréciation. À la rentrée, Éric Mazet co-signera un monumental Dictionnaire de la correspondance. C’est dire s’il n’a pas fini d’enrichir notre connaissance de Céline.

La publication du long entretien que vous lirez dans ce numéro me permet de saluer à la fois l’ami et le célinien hors pair.

  1. Joseph Vebret, Céline l’infréquentable, Éd. Jean Picollec, 2011.