Henri Godard

Quel homme secret que Henri Godard ! Il aura donc attendu quarante ans pour nous confier que, jeune étudiant, il rencontra Céline à Meudon. Ébloui par la lecture de D’un château l’autre, il décida, deux ans après sa parution, de le voir avec un camarade de faculté. Sa réputation d’antisémite et de collaborateur n’y fit pas obstacle. D’autant, précise-t-il, qu’il n’avait pas encore lu les pamphlets. Prétexte de cette rencontre : poser l’une ou l’autre question sur Rabelais (au programme de l’agrégation) dont une édition venait de paraître avec, en guise de préface, une interview de l’écrivain maudit. Coïncidence : en 1985, Bernard Pivot, à l’issue de son émission « Apostrophes » (à laquelle participait Henri Godard) demanda à ses invités ce qu’ils auraient à dire à Céline s’il réapparaissait là, devant eux. On se souvient encore du refus embarrassé (et télégénique) de Godard. C’était pourtant le moment de révéler qu’en fait, il avait, lui, réellement rencontré Céline. « Mais le temps manquait pour entrer dans le détail », écrit-il aujourd’hui. Est-ce à dire que si le temps n’avait pas manqué, il eût fait cette révélation ?  Rien n’est moins sûr car dans aucune autre interview, ni avant ni après cette émission, il n’a relaté cet épisode marquant. On ne peut s’en étonner, la carrière universitaire étant semée d’embûches.  À cette époque, le fait d’être céliniste était déjà suspect en soi. Qu’aurait-on dit dans ce microcosme bien-pensant si l’on avait su que le jeune Henri Godard avait fait la démarche de rencontrer le « monstre » ? Au-delà de cette anecdote, ce qui frappe le lecteur du livre, c’est son extrême vulnérabilité face au soupçon qui pèse sur tout admirateur de Céline. Dans son cas, ce fut même douloureux. Au détour d’une page, il nous confie que son « entourage proche » et « [s]es amis juifs en particulier » auraient préféré qu’il s’attachât à un autre auteur. Pas commode de travailler sur Céline au sein de l’Alma Mater ! A fortiori si l’on est en butte à la famille, aux amis, aux collègues et même aux critiques. Godard cite ce journaliste affirmant que l’intérêt pour Céline est « hautement ambigu ». Il aurait tout aussi bien pu citer ce philosophe et ancien ministre de l’Éducation Nationale, estimant, lui, que l’admiration suscitée par l’écrivain est « pour le moins douteuse » [sic]. Tel quel, cet ouvrage est précieux, en particulier parce qu’il retrace l’histoire du célinisme dont Godard fut un acteur important. Le plus bel hommage qui lui a été rendu demeure celui de Jean-Paul Louis :  « Ses préfaces [dans la Pléiade, ndlr], lues à la suite, forment le plus beau discours critique sur Céline. (…) Je trouve Henri Godard amoureusement fidèle au texte, dont il souligne et enrichit encore la force et les hardiesses, sans compter les découvertes en tout genre qui ont donné à son travail un relief saisissant ¹.»

Faut-il ajouter que je souscris entièrement à cet éloge ² ?

  • Henri GODARD, À travers Céline, la littérature, Gallimard, coll. « Blanche », 2014, 217 p.

 

  1. Jean-Paul Louis, « Reconnaissance à Henri Godard » in Le Lérot rêveur (Autour de Céline, 3), n° 57, printemps 1994, pp. 27-28.
  2. C’est pourquoi je regrette qu’il ait finalement décliné la proposition d’entretien formulée par notre collaborateur Émeric Cian-Grangé, alors même qu’il lui avait donné son accord il y a deux ans, mais reporté à la parution du livre.