Klarsfeld

Cela se passe à Paris le 19 janvier. Il a suffi que le nom de Céline soit repris dans le livre des « Célébrations nationales », édité par le Ministère de la Culture, pour que Serge Klarsfeld ¹ proteste. Et exige « le retrait immédiat de ce recueil et la suppression dans celui qui le remplacera des pages consacrées à Céline ». Entre-temps, Henri Godard, auteur du texte sur l’écrivain dans ce recueil, concède que, si Céline est « un immense écrivain français », c’est aussi « un pur salaud » [sic]. Par ailleurs, il admet que le ministère de la Culture « a fait preuve de maladresse en évoquant dans son introduction les valeurs morales exemplaires » des personnalités célébrées. « C’était donner des verges pour se faire battre. Mais cet anathème lancé par Klarsfeld, d’une telle violence, cela ressemble à de la censure. Même si Céline est un cas immensément difficile » ².  Dans son communiqué, Klarsfeld, lui, précise que « la République doit maintenir ses valeurs : Frédéric Mitterrand doit renoncer à jeter des fleurs sur la mémoire de Céline, comme François Mitterrand a été obligé à ne plus déposer de gerbe sur la tombe de Pétain. » Lorsqu’un journaliste lui demande s’il ne commet pas un amalgame douteux en comparant l’avant-propos de Mitterrand (Frédéric) aux dépôts de gerbe sur la tombe de Pétain décidés par Mitterrand (François) lorsqu’il était Président, Klarsfeld ironise : « Il faut bien grossir le trait pour se faire entendre ³ ». Et quand le même journaliste lui demande s’il compte perturber la cérémonie (du 21 janvier) au cours de laquelle Frédéric Mitterrand doit présenter ce guide des Célébrations nationales, il répond par la négative mais formule cet avertissement : « Il a intérêt à plaider la maladresse de son cabinet qui a dû écrire à sa place l’avant-propos du livre ». Au cas où le Ministre n’obtempèrerait pas à ses injonctions,  Klarsfeld  indique qu’il fera alors appel au Président de la République 4.  Mais, sûr de lui,  il affirme que cette question  sera  certainement réglée avant le dîner annuel du CRIF (9 février)  auquel  Nicolas Sarkozy  doit participer 5. Bien vu : quarante-huit heures après, le ministre de la Culture annonce le retrait de Céline du recueil des célébrations nationales 2011. Il ne reste plus qu’à envoyer au pilon un livre de 300 pages imprimé à 10.000 exemplaires dont le Ministre avait signé l’avant-propos. La morale républicaine est sauve et Serge Klarsfeld dit son « soulagement » 6.

  1. Président de l’association « Les Fils et Filles des Déportés juifs de France ». (Communiqué à l’AFP, 19-01-2011).
    Placé sous la présidence de Jean Favier, c’est le Haut comité des célébrations nationales, dépendant de la direction des Archives de France, qui établit la liste annuelle des célébrations (voir page suivante).
  2. Propos recueillis par Myriam Chaplain-Riou (AFP, 20 janvier 2011).
  3. Propos recueillis par Sébastien Le Fol, « Affaire Céline : Klarsfeld enfonce le clou », Du fil à retordre (L’actualité culturelle passé au crible), 20 janvier 2011 [http://blog.lefigaro.fr/le-fol].
  4. Réaction de Philippe Sollers : « Il est insensé qu’un citoyen demande au président de la République de retirer un auteur de l’importance de Céline d’un volume officiel paru avec la validation du Ministère de la Culture. (…) Ça me laisse vraiment stupéfait. Cette réaction me paraît tout à fait illégitime et déplacée : on ne doit pas traiter la littérature avec ce genre de censure (…). » (Propos recueillis par Grégoire Leménager, Bibliobs, 21 janvier 2011 [http://bibliobs.nouvelobs.com]. Autres réactions : voir pages suivantes.
  5. Sur ce sujet, voir le livre d’Anne Kling, Le CRIF, un lobby au cœur de la République, 2010, 294 p. (21 € par chèque à l’ordre d’Anne Kling, Éditions Mithra, B.P. 60291 Strasbourg Cedex).
  6. Déclaration de Serge Klarsfeld à l’AFP (21-01-2011) : « C’est un soulagement. Et j’adresse mes félicitations à Frédéric Mitterrand d’avoir eu le courage de désavouer ceux qui, dans son ministère, ont laissé passer cette bourde ». Henri Godard, présent au moment où le Ministre de la Culture annonçait la nouvelle, s’est dit « piégé » : « Je tombe des nues. J’ai appris le retrait en même temps que tous les journalistes. Je pensais que la valeur de la création littéraire de Céline méritait d’être mise en valeur. » Voir aussi en pages 4 et 10.