Les fins dernières

Coïncidence : deux livres abordent un thème commun. Les derniers jours, pour l’un, les dernières heures, pour l’autre, d’écrivains réprouvés pour leur engagement politique : Drieu et Céline. Paradoxalement, vous lirez sans doute le premier avec plus d’intérêt que le second. C’est que le livre d’Isabelle Bunisset, écrit comme les romans de Céline à la première personne, ne constitue qu’un démarquage de son œuvre, correspondance et entretiens inclus. Si elle lui accole (dans le prière d’insérer) le sempiternel adjectif « nauséabond », il faut lui reconnaître une certaine empathie envers le personnage, ce qui n’est pas banal par les temps qui courent ¹. Pour lui avoir consacré sa thèse de doctorat il y a quinze ans (sans être revenue sur le sujet depuis), elle est présentée comme une spécialiste de Céline. Le lecteur du BC s’amusera des bourdes dont est truffé ce mince volume de 130 pages. Ainsi, contrairement à ce qui y est affirmé,  Céline n’a pas fait  partie  de l’armée française d’Afrique (p. 29), n’a jamais pratiqué la médecine à Detroit (p. 72), ne se retrouvait pas « chaque dimanche matin » dans l’atelier (?) d’Henri Mahé (confusion manifeste avec Gen Paul), etc.  Ajoutons qu’une céliniste patentée n’aurait pas confondu Le Petit journal illustré (p. 128) avec L’Illustré national dont Louis Destouches fit la quatrième de couverture — et non la « première page », comme erronément indiqué. Par ailleurs, Milton Hindus n’a pas écrit de thèse de doctorat sur Céline (p. 38) et ce n’est pas Madeleine Chapsal (p. 52) qui titra « Voyage au bout de la haine »  sa  fameuse interview de 1957. Certes,  ces erreurs pourront être attribuées au narrateur plutôt qu’à l’auteur mais que penser alors des coquilles qui parsèment l’ouvrage : Brion (au lieu de Brinon, p. 33), Rivol (au lieu de Révol, p. 108), Hubert (au lieu de Hébert, ibid.), Vestre Foengsel (au lieu de Vestre Fængsel, p. 28) ? Tout cela manque assurément de rigueur mais il est vrai que ce « roman » ne s’adresse pas  prioritairement aux céliniens qui estimeront l’initiative assez vaine.L’ouvrage consacré aux derniers jours de Drieu est  plus  intéressant :  il éclaire l’évolution de  cet écrivain attiré par les sirènes de la politique pour mieux résoudre son équation personnelle. Mais pourquoi faut-il qu’à l’occasion de cette parution, un folliculaire, né l’année de la mort de Drieu, le considère  comme  « l’un des plus grands ratages littéraires du dernier siècle » [sic] ² ? À l’instar de tel historien sectaire, il estime son entrée dans la Pléiade usurpée. S’il n’a pas le génie de Céline, Drieu n’en demeure pas moins un romancier au charme certain, faisant preuve d’un véritable sens du style, de l’image et du rythme. Il se trouve qu’un pionnier de la critique célinienne a également été le maître d’œuvre du Cahier de l’Herne consacré à Drieu. Vous aurez reconnu Marc Hanrez.  Lequel fut animé par la volonté de faire apparaître l’écrivain que masquait sa mythologie sulfureuse. Pari réussi et qui a précisément ouvert la voie à son intronisation dans la Bibliothèque de la Pléiade.

• Isabelle BUNISSET, Vers la nuit, Flammarion, 2016, 135 p. (15 €)
• Aude TERRAY, Les derniers jours de Drieu la Rochelle, Grasset, 2016, 234 p. (18 €)

  1. Et son admiration pour l’écrivain n’est pas feinte : « Je voudrais que le lecteur aime son écriture autant que je l’ai aimée. Elle m’a tout donné. Tant d’émotions, tant de poésie… » (Page des Libraires, n° 176, hiver 2016, pp. 10-11).
  2. L’Académie belge serait-elle plus réceptive envers les « maudits » que celle du quai Conti ? Après deux conférences sur Céline l’année passée, elle en accueillera une sur Brasillach (le 19 avril) et une autre sur Drieu la Rochelle (le 18 mai). Elles seront respectivement prononcées par Pierre Somville et Frédéric Saenen, auteur d’une excellente monographie sur Drieu la Rochelle (Infolio, 2015). Signalons par ailleurs la parution de Chroniques des années 30, recueil de textes inédits ou oubliés de Drieu, préfacé par Christian Dedet (Les Éditions de Paris / Max Chaleil).