Paul Morand

Il faut savoir gré aux éditions Montparnasse d’exhumer de précieux documents audiovisuels. Après Céline vivant (avec les trois entretiens filmés)  et Paris Céline (film de Patrick Buisson augmenté de témoignages inédits), cet éditeur nous propose les entretiens que Paul Morand accorda, quelques années avant sa mort, à la télévision française pour la série « Archives du XXe siècle ». Propos passionnants sur les années 1900, les influences qui furent les siennes (Sorel, Schopenhauer, Nietzsche), la Révolution de 1917 (« On eut, à la place d’une Russie européenne, une Russie asiatique »), etc.

Céline, qui n’appréciait guère ses contemporains, avait, on le sait, une vive estime pour l’auteur d’Ouvert la nuit  : « Paul Morand est le premier de nos écrivains qui ait jazzé la langue française – Ce n’est pas un émotif comme moi mais c’est un sacré authentique orfèvre de la langue. Je le reconnais pour un maître ¹» Lors du récent colloque de la Société d’études céliniennes, François Gibault prononça, à partir de la correspondance Chardonne-Morand, une plaisante communication où Céline avait naturellement sa place ². Il y cita cette lettre (encore inédite) de Morand : « [Céline] a été tué par son séjour en prison en ce Danemark qui avait déjà tué, ou presque, Léon Bloy et Hamlet, et enlevé par un Vichyssois à mauvaise conscience, notre ambassadeur Charbonnière, sorte de lapin à guêtres, de petit Norpois qui avait au dernier moment accroché son wagon à la Résistance. (6 juillet 1961) » Lapin à guêtres, et non à grisettes (!), comme le transcrit erronément l’éditeur de cette correspondance. La même formule se trouve dans la belle lettre que Morand écrivit à Céline après la lecture d’Un château l’autre.  Les deux écrivains se virent en 1943 lors d’un déjeuner réunissant aussi Gerhardt Heller, Jean Jardin et Josée Laval (qui l’évoque dans son journal). Un an avant qu’il ne soit élu à l’Académie française, Paul Morand ne craignit pas de dire sa dette envers Pierre Laval, « espèce de gitan prodigieux qui [l’] a beaucoup influencé » ³. Propos assez rare pour être relevé. Son loyalisme envers l’État français et son attachement à Laval lui valut, on le sait, beaucoup d’opprobres. Turpitudes humaines qu’un peu de sable efface ?… Aujourd’hui Morand est définitivement sorti du purgatoire (littéraire), même si on lui reproche son antisémitisme (qu’il qualifia de « fièvre obsidionale » au début des années 30) et son « homophobie » (qui ne l’empêchait pas d’entretenir les meilleures relations du monde avec Marcel Schneider, Jean-Louis Bory, Jacques Brenner ou Matthieu Galey, pour ne citer qu’eux).

Morand occupe trois volumes dans la Pléiade : un pour les romans et deux pour les nouvelles où il est passé maître. Son don pour l’instantané, ses raccourcis fulgurants dans les portraits, son sens du tragique, tout cela fait de lui un grand écrivain. Certaines de ses œuvres atteignent une perfection rare sur des thèmes qui n’ont pas vieilli et qui frôlent parfois le « politiquement incorrect ». Comme dans ces entretiens où, rejoignant Céline, il évoque cette « immense tragédie qu’est la disparition de la race blanche. » Que diraient-ils aujourd’hui où le métissage est considéré comme une valeur en soi ?

  • Paul MORAND. Entretiens. Juillet/août 1970 et janvier 1971, Éditions Montparnasse [12 Villa Cœur de Vey, 75014 Paris], coll. « Regards », 2014, double DVD [3 h 34 au total] (25 €).
    1. Lettre à Milton Hindus, 11 juin 1947.
    2. François Gibault, « Céline dans la correspondance Morand – Chardonne » [http://www.singer-polignac.org/fr]
    3. Émission « Une heure avec… » de Pierre Lhoste, France-Culture, 16 janvier 1967