Philippe Alméras

Philippe Alméras n’est pas bien vu par les céliniens. Les raisons selon lui ? « Je ne maquille ni son antisémitisme ni sa collaboration. Je récuse l’alibi de la folie. Surtout je me refuse à la récupération sociale-démocrate du “Céline au langage révolutionnaire malgré lui”. Je reste surtout celui qui a fait l’inventaire des “idées de Céline”. Voici donc toutes mes médailles. ¹ » Il est vrai que les admirateurs de l’écrivain ont tendance à évacuer ses choix partisans en les réduisant à des élucubrations mentales à ne pas prendre au sérieux. Tendance naturelle à défendre un écrivain que l’on aime. À l’autre bout de la chaîne, Alméras force le trait : « Pas très médecin, pas tellement compatissant, pas mal pleutre ² ». Et escamote l’artiste. Or Céline fut davantage obnubilé par sa création littéraire que par le reste. Durant l’Occupation, il consacre bien plus de temps à rédiger Guignol’s band (dont il entame la rédaction à l’automne 1940) qu’à fréquenter le petit milieu de la collaboration et à réagir aux articles des journaux. Certes l’idéologie n’est absente ni de ce troisième roman ni surtout de ceux d’après-guerre mais celle-ci y apparaît par la force des choses et non de manière délibérée. À lire Alméras, on a, au contraire, l’impression d’un idéologue constamment mû par son obsession racialiste. Laquelle n’est pas contestable mais ce constat doit-il nécessairement conduire à la partialité ? « Testis unus, testis nullus »  s’exclame Alméras pour récuser un témoignage attestant l’indépendance de Céline (Benoist-Méchin) alors que, dans le même temps, il en avalise un autre sans barguigner mais à charge celui-là (Jünger).  Détail qui atteste d’une volonté démonstrative ne s’embarrassant guère de méthodologie. L’idéologie célinienne vue par Alméras ? Une vision Nord-Sud impliquant une polarisation ethnique antérieure à Voyage, ce qui est discutable, et un racisme biologique plus prégnant que son antisémitisme, ce qui est avéré. Un pionnier du célinisme est monté au créneau pour fustiger « la tribu querelleuse des céliniens qui, dans son ésotérisme acariâtre, lui a parfois cherché des crosses ³ ». De quoi panser quelques plaies… Lesquelles sont parfois ravivées. Ainsi, le projet de communication qu’Alméras destinait au colloque « Céline et le politique », s’est vu refuser par le bureau de la Société d’Études céliniennes 4. Si ce refus se justifie par le fait que cette contribution n’apporte strictement rien de neuf à ses précédentes études sur le sujet – c’en est même la synthèse parfaite –,  davantage d’égards eussent pu être pris envers ce quasi nonagénaire qui fut l’un des co-fondateurs de la S.E.C. et son premier président. Raison suffisante pour accueillir ici cette communication. Le lecteur jugera ainsi sur pièce.

Philippe Muray força jadis son talent en traitant Alméras de « doyen de la Confrérie des célinophobes » car son admiration pour l’écrivain n’est pas feinte même si, dans sa logique apodictique, il donne l’impression d’admirer essentiellement en lui le génie verbal alors que la poétique célinienne dépasse de beaucoup cette dimension.

Au moins s’accordera-t-on à reconnaître les mérites de l’auteur décapant de De Gaulle à Londres et de Vichy-Londres-Paris 5. Sa volonté opiniâtre de basculer les légendes ne s’arrêtant évidemment pas à Céline.

  1. Propos recueillis par Pierre Chalmin in Éléments, hiver 2004-2005.
  2. Philippe Alméras, « Cent ans après » in Sur Céline, Éditions de Paris, 2008, p. 250.
  3. Pol Vandromme, « Promenade en terres céliniennes », Valeurs actuelles, 21 janvier 2005.
  4. Ce colloque aura lieu du 4 au 6 juillet à Sciences-Po (Paris). Voir : https://celine-etudes.org.
  5. Tous deux parus aux éditions Dualpha.