Publications céliniennes

Une enquête sur les publications des sociétés littéraires attire mon attention ¹. Pour la période contemporaine, il y est notamment question de revues consacrées à Claudel, Camus, Gide, Giono et… Céline. Parce qu’elle n’émane pas d’une société littéraire  en  tant que telle, L’Année Céline  n’est  même  pas  citée. Fâcheuse omission car cette revue, fondée en 1990 par Henri Godard et Jean-Paul Louis, est le fleuron de ce qui se fait en la matière ². Seule la revue Études céliniennes, organe de la Société d’études céliniennes, est présentée. De manière encomiastique, cela va sans dire ³. Le Bulletin célinien, lui, est mentionné comme une « publication belge rivale » [sic].  Adjectif d’autant plus inapproprié  que le BC  n’a jamais eu l’ambition de rivaliser avec une publication scientifique. Et qu’il se plaît, au contraire, à diffuser sa prétendue rivale auprès de ses abonnés.

L’auteur de cette étude observe que le directeur d’Études céliniennes durant près d’une décennie est « peu soupçonnable de dérive droitière ». C’est le moins qu’on puisse dire. (Observons au passage que l’accusation de « dérive gauchisante » est, elle, rarement formulée. C’est que dans ce milieu, si l’on peut sans crainte se dire de gauche et même d’une gauche radicale, l’inverse n’est pas vrai. Surtout si l’on ambitionne une carrière académique et que l’on admire Céline écrivain.)

Le colloque que ce directeur co-organisa à Beaubourg en 2011 est encore dans les mémoires. Le ban et l’arrière-ban de ce que la gent universitaire compte d’anti-céliniens déclarés y étaient conviés. Dont Jean-Pierre Martin, auteur d’un laborieux Contre Céline (1997), et  l’inénarrable Daniel Lindenberg 4.  L’un vient de la Gauche prolétarienne ; l’autre des Jeunesses communistes marxistes-léninistes, toutes deux d’obédience maoïste. Nul doute que s’ils avaient été encore de ce monde lors de l’organisation de ce colloque, ni Pol Vandromme, ni Paul del Perugia, ni Pierre Monnier, ni (encore moins) Maurice Bardèche, horresco referens, n’eussent été invités.

Le plus frappant, je l’ai déjà relevé ici, est cette volonté constante de faire apparaître Céline comme un partisan du génocide  alors que des célinistes indiscutés, de Godard à Tettamanzi en passant par Gibault ou Mazet, assurent le contraire. Citons ce dernier : « Malgré des éditions savantes, les recherches, les conclusions de chercheurs sérieux qui n’ont pas trouvé, dans Bagatelles pour un massacre, et ceci en dépit de sa virulence, de son outrance, de ses idées scandaleuses, de son vocabulaire révoltant, l’expression d’un but homicide  et d’extermination,  le procès  de Céline n’est pas clos, agite les esprits, engendre encore philippiques spectaculaires ou jugements insidieux, menant à la condamnation ou à l’exclusion des uns par les autres, au nom de l’Histoire ou de la morale,  quand ce n’est pas au nom de la littérature 5. » Tout est dit.

  1. Guillaume Louet, « Des amis et des savants (Une enquête sur les publications des sociétés littéraires) », La Revue des revues [Histoire et actualité des revues], n° 53, printemps 2015, pp. 36-84. Suite à paraître dans le n° 54.
  2. La dernière livraison, L’Année Céline 2014, vient de paraître.
  3. Seuls de mauvais esprits établiront un lien entre le fait que ces commentaires apologiques sont publiés dans une revue co-éditée par l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) et le fait qu’André Derval, directeur d’Études céliniennes jusqu’il y a peu, est responsable de collections dans cet organisme.
  4. Auteur d’une Enquête sur les nouveaux réactionnaires (2002) qui anathématisait de manière extravagante Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Pierre-André Taguieff et le regretté Philippe Muray.
  5. Éric Mazet, « Haro sur Céline », Spécial Céline, n° 9, mai-juin-juillet 2013, pp. 18-42.