Saccomano

Annoncé depuis plusieurs années, le livre du journaliste Eugène Saccomano est enfin paru ¹. Il entend démontrer un changement radical après la rupture avec Elizabeth Craig et le retour d’URSS. C’est un peu court. D’autant que l’auteur n’explique rien mais se contente de compiler les biographes de Céline — tous cités, il est vrai, dès l’ouverture de ce « roman ». Malin, Saccomano a, en effet, choisi la veine romanesque pour décrire l’itinéraire de son écrivain de prédilection. Le hic c’est l’invraisemblance de certaines scènes. Dont, par exemple, ce dialogue où Laval se voit traité de « bicot » par Céline. Tout aussi improbable ce passage où celui-ci avance la somme de 400.000 marks (!) au directeur de cabinet du même Laval pour permettre un passage vers le Danemark. Sa méconnaissance de la biographie célinienne lui fait commettre plusieurs erreurs : ainsi Bagatelles ne fut pas un échec puisqu’il s’en vendit 80.000 exemplaires ; le tirage de L’Église, lui, ne fut pas de 5.000 exemplaires (confusion avec le retirage d’après guerre) mais plus du double ; c’est Fernand de Brinon (et non le Suisse Paul Bonny !) qui permit à Céline de rejoindre Sigmaringen ; Robert Denoël ne fut pas délesté d’une « valise pleine d’or » lors de son assassinat ; et Céline n’était pas « peu attentif à l’actualité » comme en témoigne sa correspondance aux journalistes, notamment  à Lucien Combelle que l’auteur a pourtant bien connu ². Une autre erreur consiste à accréditer des faits romancés par Céline lui-même, dont sa tentative de fuite par les toits lors de son arrestation à Copenhague. Passons sur l’orthographe fautive de plusieurs noms (conseiller  « Shelemann », colonel de « la Roque », ambassadeur « Girard de Charbonnières », ville de « Tendil »,…) pour relever une autre bourde, ne concernant pas Céline cette fois, mais Brasillach que l’auteur voit grandir « dans le confort de la bourgeoisie parisienne (!) ». Mais le plus beau est sans doute à la fin du livre lorsque Saccomano imagine Céline en admirateur de Rousseau !

Chantal Le Bobinnec, née en 1924, est connue des céliniens pour avoir livré son  témoignage sur Gen Paul. Sous le titre Mon ami le libraire ³, elle signe un roman qui évoque son amitié avec un alcoolique lettré, de quarante ans son cadet. Cela se lit d’autant plus aisément que c’est basé sur des dialogues contrastés entre la narratrice, femme de caractère, et le libraire, velléitaire impénitent. Là où le bât blesse c’est lorsque l’auteur avalise la fable selon laquelle Gen Paul aurait rompu avec Céline à la parution de Féerie pour une autre fois. La rupture date, comme  on le sait, de l’exil danois. Alors que tous les (vrais) amis montmartrois vinrent réconforter Céline au Danemark, Gen Paul fut le seul à ne pas le faire. Saladier comme c’est pas permis, il crut bon de révéler à tous que « Ferdine », alors en prison, était cousu d’or. Guère opportun. Sans doute, après la guerre, l’artiste considérait-il cette amitié compromettante mais cela excuse-t-il tout ? Il est vrai qu’il avait, lui aussi, intérêt à faire oublier des fréquentations douteuses sous l’Occupation, de même que certain voyage à Berlin en 1942.  Il faut admettre  qu’il y parvint parfois, faisant croire à l’un de ses premiers biographes qu’il rompit définitivement avec Céline à la parution de Bagatelles  4 !

  1. Eugène Saccomano, Céline coupé en deux (roman), Le Castor astral, coll. « Escales des lettres », 2013.
  2. « À peine lit-il les titres des journaux sur les présentoirs des kiosques », affirme l’auteur. À comparer avec ce témoignage (direct) de Lucette Destouches : « Je le revois encore, le journal ouvert devant lui, remontant la rue Lepic. Il lisait tout, il a toujours lu les journaux. » (Libération, 25 octobre 1985).
  3. Chantal Le Bobinnec, Mon ami le libraire (roman), Les Éditions de Paris-Max Chaleil, 2013.
  4. Voir les « Notes biographiques » de John Shearer dans le livre de Pierre Davaine, Gen Paul, I.G.E., 1974.