Shylock

M’avez-vous assez prié et fait prier par Dullin, par Denoël, supplié « sous la botte » de bien vouloir descendre vous applaudir !  On connaît l’apostrophe adressée par Céline à Sartre en 1948. Dullin ne renâclait donc pas à intercéder auprès de Céline sous l’occupation allemande ? Le livre de Chantal Meyer-Plantureux, Les Enfants de Shylock ou l’antisémitsme sur scène ¹ , nous rappelle en quoi cette intervention de Dullin pour Sartre – qui fut attestée par Lucette Destouches et feu Gerhardt Heller – n’avait rien de surprenant. On sait qu’à la Libération, Dullin échappa miraculeusement aux rigueurs de l’épuration alors qu’il avait dirigé l’ancien théâtre Sarah-Bernhardt aryanisé par l’occupant. Ce qu’on lui reprocha moins, c’est son antisémitisme, tel qu’il apparaît dans sa production théâtrale de l’époque, notamment  sous  l’influence de sa femme, Simone Jollivet, antisémite patentée. La collaboration de Dullin à La Gerbe d’Alphonse de Chateaubriant fut davantage tancée. Il y plaidait pour un « assainissement de la scène française », comprenez libérée de certaines influences jugées délétères. Chantal Meyer-Plantureux, bien documentée, rappelle tout ceci dans cet ouvrage qui prend parfois les allures d’un acte d’accusation. L’auteur s’en défend pourtant : « Je ne veux pas faire d’angélisme, ni découper les auteurs en rondelles, par exemple en réduisant Romain Rolland à n’être qu’un antisémite ou un stalinien. Nous ne vivons pas dans un monde en noir et blanc avec les antisémites médiocres d’un côté et les humanistes talentueux de l’autre ! Je ne veux pas jouer au procureur, mais comprendre le rôle et la responsabilité du théâtre dans notre histoire politique » ² .

C’est un petit ouvrage bien sympathique que publie un jeune éditeur niçois, Jérôme Dugast, sous le titre D’un antre l’autre, Louis-Ferdinand Céline ³ . Il fait la part belle à Pierre Monnier (né en 1911) qui vint en aide à l’exilé dans des circonstances difficiles. Dans un court texte introductif, Monnier écrit ceci : « L’accumulation, depuis soixante ans, des cris d’horreur et de haine, des calomnies, des mensonges, des opinions sans le moindre fondement, des ragots, des appels au meurtre et des sottises dont [Céline] est accablé finissent par donner une image brouillée, totalement indéchiffrable. Et pourtant, il suffit d’un peu d’honnêteté intellectuelle pour le découvrir dans son admirable unité : celle d’un homme qui regarde le monde et les autres hommes avec le souci de donner à ce qu’il voit la forme à la fois la plus rigoureuse et la plus clairvoyante ». Joliment illustré par les dessins que Pierre Monnier avait réalisés en 1950 pour Scandale aux Abysses, cet ouvrage ne pêche que par des coquilles dans les patronymes.

  1. Éditions Complexe [Bruxelles], 2005, 270 pages.
  2. Entretien accordé à Roland Baumann in Regards [Bruxelles], revue du Centre communautaire laïc juif, mai 2005.
  3. Éditions de l’Antre [Nice], 2005, 98 pages. Ouvrage déjà épuisé.