Vient de paraître

Entretien avec Dominique Abalain – Guerre atlantique [sur les traductions américaine et anglaise] – Entretien avec Pascal Fouché – Céline et La Fontaine.

Inénarrable Nabe

Inénarrable Marc-Édouard Nabe, sommairement qualifié de “pamphlétaire célinolâtre” par Taguieff dans son pavé anti-Céline. Ils ont un point commun : un mépris insondable à l’égard des céliniens. Nabe a récemment mis en ligne une vidéo de deux minutes sur le square Boucicaut évoqué par Céline dans Nord ¹. « …Ce lieu célinien négligé par les fameux spécialistes », ajoute-t-il, perfide. Évidemment il ne connaît pas l’admirable Dictionnaire des lieux de Paris cités par  Céline  qui lui consacre une notice détaillée². Ce n’est pas la première fois (ni la dernière) que Nabe tranche sans savoir. Sur son site internet, il s’est exclamé : « Où est donc passée cette putain de préface à ce Précis d’onomastique judaïque par Bernardini ? ». Il ignorait aussi que les épreuves de ce livre furent retrouvées dans une bibliothèque new-yorkaise et que cette préface a été  publiée il y a vingt ans dans une réédition des Cahiers Céline 7 ³.  “Si le directeur du Bulletin célinien tenait tant  que  ça à ce  que  cet  inédit  soit lu, il n’avait  qu’à le  republier  dans  son BC ! ” [sic], fait-il dire à son factotum, Ludovic Mergen.  Nabe s’est aussi demandé ce qu’on attendait pour publier la transcription du manuscrit de Voyage au bout de la nuit afin  que  l’on puisse établir une comparaison avec la version originale de 1932.  C’est qu’il ignorait également que cette transcription est disponible depuis que Rémi Ferland l’a éditée en 2016 grâce au travail réalisé par Régis Tettamanzi4. Mais Nabe n’a que sarcasmes pour ce célinien auquel nous devons (entre autres) une édition critique des pamphlets. Cerise sur le gâteau, il admoneste Gallimard, coupable à ses yeux d’avoir caviardé une partie du titre de la version intermédiaire de Féerie parue en 1985. Il aurait aimé qu’on imprimât sur la couverture : “Au vent des maudits soupirs pour une autre fois” (!) :  “On sait que Godard n’a pas voulu écrire en entier le titre prévu Au vent des maudits soupirs…, trop long pour la couverture blanche de Gallimuche… Déjà, ce souci de petit prof de merde de vouloir rendre les “foutoirs” céliniens présentables, digestes, attractifs librairistiquement parlant !…” Grossière erreur : Henri Godard sait, lui, pertinemment que le titre imprimé est fautif, celui qui l’a choisi ayant amalgamé deux titres envisagés par Céline : “Au vent des maudits” et “Soupirs pour une autre fois”. Le fait de vouloir les réunir constitue une bourde qu’il n’aurait certainement pas commise. Le comble étant évidemment de prétendre obstinément, comme il le fait, que Céline quitta Saint-Malo à l’été 43 pour s’entretenir du massacre de Katyn avec Brasillach ! Et que c’est donc bien lui qu’on voit sur la photo d’officiels attendant Brinon à la gare de l’Est5. Ceux qui prétendent le contraire ont droit aux épithètes les plus triviales. Toute controverse peut certes s’avérer fructueuse. Encore faut-il connaître ce dont on parle…
  1. https://www.tiktok.com/@marcedouardnabe/video/7397770956325834016
  2. Laurent Simon, À la ronde du Grand Paris. Dictionnaire des lieux de Paris et de sa banlieue cités par Louis-Ferdinand Céline dans son œuvre et sa correspondance, ou fréquentés par l’écrivain, Du Lérot, 2016, 3 vol.
  3. Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché (éd.), Céline et l’actualité, 1933-1961, Gallimard, coll. “Les cahiers de la Nrf” (Cahiers Céline 7), 2003.
  4. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit « seul manuscrit », Éditions 8, coll. “Anciens”, 2016. Édition établie, présentée et annotée par Régis Tettamanzi.
  5. Voir Marc Laudelout, « Gare de l’Est. L’expert n’est plus aussi catégorique », Le Bulletin célinien, n° 466, octobre 2023.

Vient de paraître

Sommaire : Céline dans le journal de Dominique de Roux – Opérateur de présence – Vengeresses Bagatelles – Philip K. Dick, lecteur de Céline – Souvenir d’Albert Paraz – Paraz et ses paradoxes

Céline l’abominable

Quand un membre du Barreau se mue en procureur…  Le 11 juin, le ”Palais littéraire et musical” organisait à Paris une conférence de Me Georges Teboul, “Céline, l’abominable homme des lettres”¹.  S’il  se dit admirateur de l’œuvre, sa  franche détestation de l’homme est bien dans l’air du temps. Les qualificatifs auxquels il a recours sont tous du même registre : “abject”, “salaud”, “immonde”, “ignoble”,… la liste n’est pas exhaustive. À ses yeux, Céline est méprisable d’un bout à l’autre de son existence. Le but déclaré de cette conférence était pourtant “de donner envie de le lire ”. Pas sûr que cet ancien membre du Conseil de l’Ordre y soit parvenu. Bien de griefs peuvent être portés au débit du pamphlétaire racialiste et partisan de l’Axe. Mais l’erreur de Me Teboul consiste à se fier sans réserve à la série “Louis-Ferdinand Céline, le voyage sans retour” diffusée récemment sur France Inter. Laquelle constitue un procès à charge sans nuances, parfois insidieux. Un exemple entre tous : après avoir rappelé qu’aux yeux des nazis, il y avait, d’un côté, les constructeurs de la culture (les Aryens) et, de l’autre, les destructeurs de cette culture (les Juifs),   on donna à écouter ce dialogue entre Louis Pauwels et Céline (1959)  :  « – Quel est le genre d’hommes que vous aimez le plus ? – Le constructeur. – Et que vous haïssez le plus ? – Le destructeur. » Et l’auteur de cette série d’ajouter : “Troublant, n’est-ce pas ?” [sic]  En réalité, lorsque Céline loue les constructeurs, il fait référence, non pas aux nazis, mais à Henri IV qui mit en place une politique d’urbanisme moderne. En témoigne cette lettre à Maurice Lemaître datant de la même époque : « Du moment qu’il s’agit de violence et de ragots destructeurs, je vois rouge. Je suis de la lignée d’Henri IV, n’importe quoi, n’importe qui, mais construire ! jamais détruire ! jamais ! » L’autre erreur consiste à avaliser la thèse de Laurent Joly (qui ne fait d’ailleurs que reprendre l’affabulation d’Annick Duraffour) selon laquelle Céline était au courant de la solution finale et, pire, a milité pour elle. Comme rien ne vient corroborer cette assertion, l’historien en est réduit à dire qu’il en est “intimement persuadé ”.  Cela va à l’encontre de ce que tous les biographes de Céline disent, y compris le dernier en date : “Les mesures qu’il préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination. » (Henri Godard)   Plus surprenant encore pour un légiste : évoquant  la thèse d’Anne Simonin relative à l’amnistie de Céline, Me Teboul affirme qu’elle “raconte n’importe quoi ” car “le document existe bien”. S’il est légitime de contester cette thèse², pourquoi la dénaturer ? Cette directrice de recherche au CNRS ne nie pas que ce document existe mais estime qu’il s’agit d’un faux en écriture publique puisque l’amnistie n’aurait jamais été évoquée lors des débats. Elle se base sur un courrier du Commissaire du gouvernement du tribunal militaire de Paris (au ministre de la Défense nationale, Jules Moch) attestant qu’à l’audience, l’application de la loi d’amnistie ne fut pas requise. On ne sait si cette déclaration est fondée mais copie de cette lettre figure en effet dans le dossier de la Cour de Justice³.  Moralité : il n’est pas requis d’être un docte céliniste pour traiter de ce dossier mais préférable de bien le connaître.
  1. Conférence disponible sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=hfh1c8dxVeI
  2. Anne Simonin, « À distance : Céline et ses juges (1949-1951) » : https://shs.hal.science/halshs-03658011
  3. Lettre datée du 11 mai 1951 reproduite par Gaël Richard in L’Année Céline 2023, pp. 147-148.

Vient de paraître

Sommaire : Un Céline méconnu – Pour saluer Bernard Pivot – Écrire contre Céline – Montaigne dans Voyage au bout de la nuit.

Sollers / Céline

Le monde littéraire est féroce. Le perspicace Jérôme Dupuis a rappelé que pendant des années Philippe Sollers (1936-2023) s’est targué d’avoir été l’un des grands artisans de la réhabilitation de l’auteur de Voyage au bout de la nuit ¹. Voire… Il y a quinze ans est sorti un recueil de tous les textes qu’il a consacrés à Céline depuis le début de sa carrière. Après un bref texte paru en 1963 dans le légendaire Cahier de l’Herne, il faut attendre… 1991 pour lire un nouveau texte de lui sur le sujet. Or, précise malignement Dupuis, la grande période de traversée du désert, ce furent les années 60, 70 et 80, où Sollers jugeait plus urgent de célébrer Lacan, Mao ou Casanova. Semblant devancer cette critique, Sollers concède, dans ce recueil, que « [sa] lecture de Céline aura été permanente, avec des hauts et des bas, en fonction de ce vers quoi [l’]entraînaient [sa] curiosité et [ses] passions du moment. »² Si Sollers n’a effectivement rien écrit sur le sujet durant ces années, il ne manqua pas de défendre l’écrivain à chaque fois qu’il fut sollicité. Ce fut notamment le cas en 1965 lorsque Le Nouvel Observateur lança une enquête sur Céline. Sollers s’y exprimait aux côtés d’Aragon, Vailland, Nadeau, Barthes, Butor et d’autres : « Les livres qui m’intéressent sont les derniers qu’il ait écrits. Les plus importants sur le plan de la technique (…). Les points de suspension, cette confluence permanente entre la parole et l’écriture, tout cela est très moderne. » Ou en 1976 dans l’émission “Une légende, une vie” diffusée sur la deuxième chaîne de la télévision française. Je me souviens aussi de sa défense de l’écrivain, plus tardive, face à un hâbleur qui avait commis un consternant factum contre Céline. Souvenir moins plaisant :  dans sa revue Tel quel, au mitan des années soixante, il lâcha les chiens sur Dominique de Roux, pourtant auteur d’un livre inspiré sur le natif de Courbevoie³. Dix ans plus tard, Marc Hanrez, ami de l’un et de l’autre, fut sur le point de les réconcilier. La mort prématurée du fondateur de L’Herne empêcha cette rencontre. C’était l’époque où Sollers avait pris ses distances  avec ce  qu’il appelait ses « engagements extrémistes ». Comme on sait, ils trouvèrent leur acmé avec ce maoïsme aussi échevelé que fol. Sans doute serait-il malvenu à un admirateur de Céline de tancer ce genre de dérive. Lorsqu’on lui rappelait ses textes délirants sur Mao, il s’en sortait par une pirouette en disant qu’il s’agissait de « poèmes » (!). Quant au racisme célinien, il le qualifiait de « biologisme » en totale contradiction avec le génie de l’écrivain. Et d’ajouter que, pour le maoïste qu’il était, « il y avait beaucoup de Chine dans Rigodon ». Si pendant trois décennies Sollers ne l’a guère défendu,  c’est sans doute parce qu’il ne voulait pas être associé à  cette droite qui défendait Céline mordicus alors même que lui s’activait à l’extrême gauche. Le temps où Libération lui consacrera un supplément d’une douzaine de pages n’était pas encore venu4. Aujourd’hui l’écrivain est indéboulonnable et il est incontestable que Sollers fut l’un de ses exégètes les plus sagaces.

• Ouvrage collectif, Hommage à Philippe Sollers, Gallimard, 2023 (12 €). Signalons la création d’un groupe sur facebook, « La Closerie de Sollers », fondé par Yannick Gomez.

  1. « Entretien avec Jérôme Dupuis », Histoires littéraires, vol. XII, n° 46, avril-mai-juin 2011, pp. [13]-25.
  2. Philippe Sollers, Céline, Écriture, 2009.
  3. Jean-Louis Baudry, « Céline, véhicule à de Roux », Tel quel, n° 28, hiver 1967, pp. 88-89.
  4. Spécial Céline, supplément de Libération, n° 1379, 25 octobre 1985.