Vient de paraître

Sommaire : Les mystères de Londres – La réception critique de Féerie – Exhumation littéraire – Dans la bibliothèque de Céline (Balzac)

Londres

Deux ans seulement après la parution de Londres, Gaël Richard, auquel on doit plusieurs sommes céliniennes d’importance, nous procure un opus décryptant, en lien avec ce qu’on sait déjà sur cette période de la vie de Louis Destouches, les apports biographiques inclus dans ce manuscrit retrouvé et les interférences avec la fiction. Les dix mois qu’il passa dans la capitale britannique durant la Grande Guerre demeurent la partie la plus mystérieuse de sa vie. Et l’une des plus décisives car c’est durant cette période qu’il s’affranchit des règles édictées par son éducation petite-bourgeoise. Décisive aussi sur le plan esthétique : c’est alors qu’il découvre avec enchantement le music-hall et les danseuses, initiation qu’il n’aura de cesse de revendiquer en tant qu’écrivain : « J’ai piqué mes trilles dans le music-hall anglais […] dans le rythme, la cadence, l’audace des corps et des gestes. » C’est également à Londres qu’il s’initie à l’art de soigner. La fréquentation à Soho du milieu lui inspirera Guignol’s band, précédé de cette première tentative, Londres,  découverte près d’un siècle après sa rédaction. Et c’est là qu’il contracte un mariage qui ne sera pas déclaré au consulat de France et, par conséquent, non enregistré par l’administration française. À lui seul cet ouvrage justifie l’édition, parfois contestée, de ce manuscrit retrouvé que Céline ne destinait pas à la publication. Sur toutes les étapes de cette vie à Londres, Gaël Richard apporte des éléments inédits, des recoupements perspicaces et de pertinentes déductions que lui seul sans doute était en mesure d’apporter. Cela tient à sa formation basée sur la critique et l’étude des documents originaux.  Quel autre céliniste serait capable d’explorer avec une telle maîtrise le vaste champ des archives ? C’est qu’il allie à la fois une connaissance très fine de la biographie et de l’œuvre célinienne avec une analyse méticuleuse des pièces d’état-civil mais aussi des ressources historiques et de la presse de l’époque. Dans sa première partie, l’ouvrage est constitué de quatre sections distinctes : le travail de Destouches au bureau des passeports du consulat général de France ; ce que l’auteur nomme – clin d’œil au livre de Mahé – sa “brinquebale” avec son ami et collègue, Georges Geoffroy ; son retour à la vie civile après qu’il eut été réformé ; sa rencontre enfin avec les sœurs Nebout  suivie  de  ce mariage éphémère  avec l’une d’elles. Le livre est richement illustré de documents dont précisément l’acte de mariage de “Louis des Touches” et Suzanne Nebout, le 19 janvier 1916, et son annulation, le 6 février 1918.

« À la ronde du grand Londres », la seconde partie due à Laurent Simon,  nous dévoile la géographie anglaise de Céline par un dictionnaire des lieux qu’il fréquenta ou mentionna dans son œuvre. Le coauteur, passé maître dans l’élaboration d’un tel dictionnaire, avait fait un travail comparable pour Paris. Celui-ci est de la même rigueur, émaillé de citations issues des romans mais aussi des pamphlets et de la correspondance.  Ainsi a-t-on le plaisir d’explorer, dans l’ordre alphabétique, le Londres de Céline, du pub À la Croisière pour Dingly (pub tenu par Prospero dans Guignol’s band) au zoo de Londres dans Regent’s Park. Grâces soient rendues aux deux auteurs pour cet ouvrage magistral.

• Gaël RICHARD & Laurent SIMON, Céline et Londres, Du Lérot, 2024, 366 pages, table des illustrations et index.

Vient de paraître

Sommaire : “Chimiste le matin, écrivain l’après-midi, docteur le soir” – In memoriam François Löchen [2004 – 2024]

Bien-pensance

Voici un livre qui ne risque pas de susciter le scandale. C’est qu’il se situe résolument dans le camp du Bien. Tout a commencé, nous dit Jérôme Garcin, dans les années 80 lorsqu’il s’irrita d’une certaine fascination du public  et  du milieu éditorial pour les écrivains collabos. Il s’agit alors de faire contrepoids en valorisant les écrivains qui, pendant les années noires, firent le bon choix. D’autant, déplorait-il, qu’ils n’étaient plus lus car non réédités. Ainsi écrira-t-il un hommage à Jean Prévost, mort les armes à la main dans le maquis du Vercors, puis un autre à Jacques Lusseyran, étudiant résistant.  Dans une  récente  interview,  il déclare  que  Decour, Prévost et Lusseyran sont  ses “auteurs de chevet ”. Leurs livres seraient donc ceux qui ont sa préférence et qu’il relit souvent – ce qui est la définition même du livre de chevet ? Il est juste de rendre hommage à ces personnes dignes d’admiration pour leur courage et leur sacrifice. Et je veux bien admettre qu’ils ont écrit chacun l’un ou l’autre ouvrage de valeur. Mais que pèsent-ils littérairement face à Céline, Morand, Drieu et même Chardonne ?  Sans parler du Rebatet des Deux étendards… Il faut admettre que le constat doit être pénible pour ces critiques bien-pensants devant se résoudre à l’idée que, dans ces années-là, le talent était à droite, et parfois même très à droite. Au grand dam de Garcin, ce sont ces auteurs-là qui suscitent des biographies et de savantes exégèses, en plus d’être édités, pour les plus grands d’entre eux, sur papier bible. C’est que la Bibliothèque de la Pléiade n’est pas la bibliothèque rose et qu’un écrivain ne peut être réduit à son engagement politique. Je connais mal l’œuvre de Prévost, Decour et Lusseyran mais je ne suis pas certain de trouver chez eux les bonheurs d’expression manifestant un art stylistique comparable à celui de ces écrivains maudits. Lorsque Drieu est entré dans la Pléiade, un historien a dénoncé une tentative de « réévaluer le fascisme français » tandis qu’un autre tança Gallimard pour « cette tradition de publier des auteurs sulfureux ». Tout cela est dérisoire. En matière littéraire, le seul critère décisif est le talent, que l’on soit stalinien, comme Aragon ou Vailland, – ou fasciste. On est gêné de rappeler une telle évidence. Par ailleurs Garcin ne craint pas d’énoncer des contrevérités. Ainsi lorsqu’il affirme que Céline s’est renié, reprenant l’antienne des ultras de la collaboration qui le vouèrent aux gémonies à la parution de D’un  château l’autre. Il suffit de relire les entretiens accordés à Dumayet, Zbinden et Parinaud pour voir qu’il n’en est rien. Garcin estime aussi que De Gaulle a eu tort de ne pas gracier Brasillach. On se dit alors qu’en étant hostile à la peine de mort, il demeure fidèle à ses convictions humanistes. Pas du tout : son seul regret est que cette mort en ait fait un “martyr de l’épuration ”. Au moins concède-t-il que, si l’on s’intéresse à la littérature, on ne peut pas ne pas lire Céline même si ses romans sont parsemés de propos choquants, voire odieux. Constat qui amène une universitaire à le bannir de ses cours : « Nous sommes nombreux à choisir de ne pas l’enseigner car les paroles haineuses de Céline ne se lisent pas que dans ses pamphlets ¹. »

• Jérôme GARCIN, Des mots et des actes (Les belles-lettres sous l’Occupation), Gallimard, coll. “La part des autres”, 2024, 166 p. (18,50 €)

  1. Tiphaine Samoyault, Le Monde, 11 janvier 2018. Citée par Gisèle Sapiro in Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur, Le Seuil, coll. “Points”, 2024 [édition augmentée], p. 38.

Vient de paraître

Sommaire : La descendance obtient gain de cause – Dans la bibliothèque de Céline (2) – Londres : le milieu londonien dans l’actualité – Entre Céline et Robert Poulet [1965]

Épuration

Évoquant dans un entretien télévisé la désastreuse réception critique de Féerie pour une autre fois, Céline raconte qu’on lui a reproché de “danser dans une assiette”. À l’époque, la majorité des lecteurs fut désorientée par le fait que le récit se limite au 4 de la rue Girardon, voire à un bombardement pour le second tome (écrit, comme on sait, avant le premier). J’ignore quel critique littéraire eut recours à cette expression. Je l’apprendrai peut-être en lisant le livre de Maxim Görke, La réception critique de Féerie pour une autre fois et de Normance, qui vient  de paraître.  Curieux de lire cet ouvrage car, dans les deux cas, le dossier de presse est mince. Ainsi compte-t-on sur les doigts des deux mains les critiques qui, à l’été 1952, commentèrent le premier volet. Citons dans le désordre Roger Grenier, Albert Paraz, Roger Nimier, Robert Kemp, Théophile Briant, André Brissaud, Robert Poulet,… – la plupart d’entre eux étant des amis de l’auteur. Ce n’était assurément pas le cas de Pierre Lœwel qui qualifia le livre d’« éructation informe, de borborygme, de déboulage de délirant dans lequel les vociférations de la grossièreté prennent un aspect démentiel et une odeur d’égout [sic] »¹. Dans cet entretien, Céline confiait que les livres qu’il avait écrits depuis son retour d’exil ne s’étaient guère vendus. Avec Féerie, il s’était, en quelque sorte, mis dans les pas de Flaubert : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut.  Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière². »   Féerie demeure un chef-d’œuvre méconnu, y compris des lecteurs de Céline. Exception notable : Jean-Pierre Dauphin (†) qui, à la fin des années 70, consacra deux numéros de la revue qu’il dirigeait à ce diptyque³. Céline détestait l’insuccès : plus question de promener les lecteurs dans une assiette. Il s’agissait maintenant de les faire voyager, ce qui sera le cas avec D’un château l’autre qui le vit renouer avec le succès. Dans un autre entretien, Céline justifie l’intérêt du livre par le fait qu’il traite d’une partie de l’histoire de France dont on parlera un jour, disait-il, dans les écoles. Si tel n’est pas le cas pour une raison évidente, plusieurs auteurs ont fait de Sigmaringen le sujet d’un de leurs livres. Céline aurait sans doute été étonné que tant d’ouvrages soient consacrés à la fuite des “collabos”. Certains historiens sont même devenus des spécialistes de l’épuration. Tel celui d’un livre récent dont Céline n’est pas le sujet principal mais dont la photo figure en couverture, marketing oblige. Le coup de pied de l’âne n’en est pas absent : il y est relevé que « toute honte bue, Céline compare volontiers son sort à celui des grands écrivains exilés ». Ces deux adjectifs ne se justifient-ils pas dans son cas ?!

• Marc BERGÈRE, Lignes de fuite (L’exil des collaborateurs français après 1945), Presses Universitaires de France, 2024, 376 p. (21 €). Sur le même thème, voir Yves POURCHER, L’exil des collabos (1944-1989), Éditions du Cerf, 2023, 330 p. (24 €)

  1. Pierre Lœwel, « Obsession de l’obscène », L’Aurore, 21 octobre 1952.
  2. Lettre à Louise Colet, 16 janvier 1852.
  3. Jean-Pierre Dauphin (éd.), Lectures de Féerie pour une autre fois, Lettres modernes-Minard (“Série L.-F. Céline”, n° 3 & n° 4), 1978-1979.