C’est un fort beau livre, érudit et sensible, que Bernard Morlino consacre aux amitiés littéraires. Il y a plus de trente chapitres. Citons en quelques uns : Rousseau-Diderot ; Huysmans-Descaves ; Péguy-Lotte ; Fargue-Larbaud ; Apollinaire-Rouveyre ; Calet-Guérin ; Blondin-Nimier,… Passionné par l’histoire littéraire, l’auteur parvient à nous rendre vivantes ces amitiés d’autant plus précieuses qu’elles fleurirent dans un monde où l’on se déteste souvent avec passion. Et où la jalousie règne en maître. « Le succès des autres me gêne, mais beaucoup moins que s’il était mérité. », confessait Jules Renard. Le chapitre qui intéressera particulièrement les lecteurs du BC est celui consacré à Céline et Marcel Aymé. Bien documenté, Bernard Morlino retrace avec précision l’histoire de cette amitié dont on peut situer l’origine vers 1934 dans l’atelier de Gen Paul. Décor immortalisé par Marcel Aymé dans « Avenue Junot ». Après la guerre, Céline confondait sans doute la teneur de cette nouvelle (parue en août 1943 dans Je suis partout) avec celle intitulée « La Carte » (parue en avril 1942 dans La Gerbe mais publiée l’année suivante en recueil) car c’est dans celle-ci qu’il est dépeint en antisémite acrimonieux. Céline interpréta ce traitement de Marcel Aymé comme une manœuvre pour se distancier de lui. À tort. L’auteur de La Vouivre continuera par ailleurs à donner des textes (littéraires) à la presse collaborationniste jusqu’en juin 1944 ¹. Mais c’est pour avoir vendu un scénario à la firme allemande « Continental » qu’il écopa d’un blâme à la Libération.
Bernard Morlino voit juste lorsqu’il écrit que « Marcel Aymé fut un ami parfait pour Céline parce qu’il ne l’a jamais jugé et encore moins condamné ». De son côté, Céline l’appréciait et surtout estimait son talent. « Le plus fin des conteurs français actuels », écrira-t-il à l’un de ses correspondants. Ailleurs, il le situe au même rang littéraire que Maupassant. Ce n’est pas rien, d’autant que les compliments envers ses pairs étaient rares sous sa plume. Morlino n’évoque pas l’éloge décerné dans Féerie pour une autre fois (« un ami magnifique ! ») , mais on ne peut tout citer… Ce qui les rapprocha aussi, c’est cet attachement à Montmartre. Céline y eut deux adresses (rue Lepic, puis rue Girardon) ; Marcel Aymé, en eut trois (rue du Square-Carpeaux, rue Paul Féval, puis rue Norvins où il vécut jusqu’à sa mort). Ces rues appartiennent désormais à l’histoire littéraire, ainsi que le fameux square Junot. L’auteur relève opportunément qu’aucune plaque commémorative ne rappelle que Céline habita les lieux, alors que les domiciles de Gen Paul et Marcel Aymé sont signalés aux touristes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Après deux vaines tentatives, la première en 1984, la suivante huit ans plus tard, j’ai jeté l’éponge. Certes il y aura toujours des céliniens pour trouver qu’il est fort bien qu’il en soit ainsi. Idem pour son éviction des « Célébrations nationales » en 2011, idem pour le refus préfectoral de classement de sa maison comme « lieu de mémoire » en 1992, etc. Au moins est-il célébré dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Qui l’est peut-être un petit peu moins depuis qu’une fausse valeur académique l’a intégrée de son vivant.
• Bernard MORLINO. Parce que c’était lui (Les amitiés littéraires de Montaigne et La Boétie à Boudard et Nucéra), Écriture, 2015, 382 p. (24,95 €)
- Sur cette période, on peut ne pas être d’accord avec l’auteur lorsqu’à propos d’un voyage d’écrivains français en Allemagne, il évoque, page 179, un « Goebbels, ravi de voir se traîner à ses pieds Drieu la Rochelle, Chardonne et Brasillach, entre autres champions de la reptation [sic]. » Formule d’autant plus excessive que c’est mettre ces trois écrivains dans le même sac alors que les cas ne sont pas comparables.