C’est une sorte de miracle: à la fin de l’année passée, Rémi Ferland, l’éditeur des Écrits polémiques, découvre au marché aux puces de Québec quelques exemplaires d’une brochure à la couverture bleu ciel: L.-F. Céline / Lettres familières. Au sommaire: trente-deux lettres, soit onze à sa fille Colette et vingt et une à Édith Follet, sa deuxième épouse. Toutes écrites après la guerre : les premières du Danemark, les suivantes de Meudon. La composition, réalisée à l’aide d’une machine à écrire électrique, est rudimentaire. Guère d’indication si ce n’est une mention anonyme d’éditeur : « Petits papiers / près Halifax / chez la Belle Hortense (sur le port) ». Qui a donc pu publier outre-Atlantique ce modeste recueil recelant de vrais trésors ? Le mystère est entier… Toujours est-il que Ferland a eu la bonne idée de rééditer cette correspondance sous la forme d’une élégante plaquette avec, cette fois, comme titre Lettres à Édith et à Colette (voir en dernière page). Dans sa biographie, François Gibault nous en avait déjà révélé quelques unes et il n’avait certes pas eu tort d’écrire que beaucoup de celles adressées à Édith « sont de véritables lettres d’amour ». En témoigne notamment cette lettre qui commence ainsi : « Que tu le veuilles ou non tu seras mon Édith chérie jusqu’à la mort et au-delà ! » et où percent, comme dans bien d’autres, le remords et les regrets: « Mon Édith chérie encore bien pardon je suis bien marri et j’ai bien souffert je t’assure et je suis bien malheureux de penser à ma sottise. » C’est assurément un Céline bien différent de celui que l’on nous dépeint aujourd’hui qui apparaît dans cette correspondance. Un être tout en sensibilité, d’une grande finesse et maniant un humour subtil, comme dans cette lettre où il se plaît à pasticher Mme de Sévigné : « Ma très chère, ma mie, mon cœur, je vais vous narrer une nouvelle, dont tout Versailles est bouleversé, le roi en a tenu Conseil de n’en savoir autant, voici en mille mots, non en dix ! ce qu’il faut que vous gardiez secret… » Et d’enchaîner avec cette observation prosaïque : « Votre plante bretonne, fougère d’eau, a été dépotée, et mise en terre, parfaitement, et paraît s’en trouver très bien… ne le dites à âme qui soit ! La pluie aidant vous la retrouverez géante. » Les lettres à sa fille, écrites en exil, ne sont pas moins émouvantes. L’une d’entre elles se conclut ainsi : « Oh pas de cadeaux ! pas d’envois ! Je les laisse à la douane ! Des baisers ! Des baisers ! C’est tout ! Des paroles d’espoir aussi bien que j’en tienne vraiment une immense provision en stock ! à l’écœurement ! (…) Toute mon affection à tes enfants, à toi. Ton papa. Louis. » Certains n’ont pas compris que Céline, fuyant de nouvelles affections car trop émotif, n’ait pas souhaité rencontrer ses petits-enfants à Meudon. Quant à Colette, on sait que sur le conseil de son avocat, elle renonça à l’héritage de son père. Celui qu’il eût fallu conserver précieusement c’est la correspondance qu’elle reçut de lui lorsqu’elle était enfant. Et Édith, les très nombreuses lettres qu’elle eut de Louis Destouches avant leur mariage. …Hélas !
• Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Édith et à Colette, Éditions 8, collection “Anciens”, n° 20, 2018, 58 p. Cette plaquette hors commerce est réservée aux membres de l’Association des Amis de l’Édition Huit. La cotisation s’élève à 50 $ canadiens (soit environ 32 €). Plus de renseignements sur le site de l’éditeur : https://www.editionshuit.com. Ou écrire à l’éditeur, 747 rue des Mélèzes, Québec (Québec) G1X 3C8.
À noter que deux lettres figurant dans le tome III de la biographie de François Gibault ne sont pas reprises dans cette plaquette ; en revanche, les deux lettres adressées à Colette publiées dans Études céliniennes (n° 5, hiver 2009-2010) et Le Bulletin célinien (n° 331, juin 2011) y figurent. Une édition scientifique de ces lettres, avec datation de celles-ci et appareil critique consistant, reste à faire.
À noter que deux lettres figurant dans le tome III de la biographie de François Gibault ne sont pas reprises dans cette plaquette ; en revanche, les deux lettres adressées à Colette publiées dans Études céliniennes (n° 5, hiver 2009-2010) et Le Bulletin célinien (n° 331, juin 2011) y figurent. Une édition scientifique de ces lettres, avec datation de celles-ci et appareil critique consistant, reste à faire.