Vient de paraître

Sommaire : La descendance obtient gain de cause – Dans la bibliothèque de Céline (2) – Londres : le milieu londonien dans l’actualité – Entre Céline et Robert Poulet [1965]

Épuration

Évoquant dans un entretien télévisé la désastreuse réception critique de Féerie pour une autre fois, Céline raconte qu’on lui a reproché de “danser dans une assiette”. À l’époque, la majorité des lecteurs fut désorientée par le fait que le récit se limite au 4 de la rue Girardon, voire à un bombardement pour le second tome (écrit, comme on sait, avant le premier). J’ignore quel critique littéraire eut recours à cette expression. Je l’apprendrai peut-être en lisant le livre de Maxim Görke, La réception critique de Féerie pour une autre fois et de Normance, qui vient  de paraître.  Curieux de lire cet ouvrage car, dans les deux cas, le dossier de presse est mince. Ainsi compte-t-on sur les doigts des deux mains les critiques qui, à l’été 1952, commentèrent le premier volet. Citons dans le désordre Roger Grenier, Albert Paraz, Roger Nimier, Robert Kemp, Théophile Briant, André Brissaud, Robert Poulet,… – la plupart d’entre eux étant des amis de l’auteur. Ce n’était assurément pas le cas de Pierre Lœwel qui qualifia le livre d’« éructation informe, de borborygme, de déboulage de délirant dans lequel les vociférations de la grossièreté prennent un aspect démentiel et une odeur d’égout [sic] »¹. Dans cet entretien, Céline confiait que les livres qu’il avait écrits depuis son retour d’exil ne s’étaient guère vendus. Avec Féerie, il s’était, en quelque sorte, mis dans les pas de Flaubert : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut.  Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière². »   Féerie demeure un chef-d’œuvre méconnu, y compris des lecteurs de Céline. Exception notable : Jean-Pierre Dauphin (†) qui, à la fin des années 70, consacra deux numéros de la revue qu’il dirigeait à ce diptyque³. Céline détestait l’insuccès : plus question de promener les lecteurs dans une assiette. Il s’agissait maintenant de les faire voyager, ce qui sera le cas avec D’un château l’autre qui le vit renouer avec le succès. Dans un autre entretien, Céline justifie l’intérêt du livre par le fait qu’il traite d’une partie de l’histoire de France dont on parlera un jour, disait-il, dans les écoles. Si tel n’est pas le cas pour une raison évidente, plusieurs auteurs ont fait de Sigmaringen le sujet d’un de leurs livres. Céline aurait sans doute été étonné que tant d’ouvrages soient consacrés à la fuite des “collabos”. Certains historiens sont même devenus des spécialistes de l’épuration. Tel celui d’un livre récent dont Céline n’est pas le sujet principal mais dont la photo figure en couverture, marketing oblige. Le coup de pied de l’âne n’en est pas absent : il y est relevé que « toute honte bue, Céline compare volontiers son sort à celui des grands écrivains exilés ». Ces deux adjectifs ne se justifient-ils pas dans son cas ?!

• Marc BERGÈRE, Lignes de fuite (L’exil des collaborateurs français après 1945), Presses Universitaires de France, 2024, 376 p. (21 €). Sur le même thème, voir Yves POURCHER, L’exil des collabos (1944-1989), Éditions du Cerf, 2023, 330 p. (24 €)

  1. Pierre Lœwel, « Obsession de l’obscène », L’Aurore, 21 octobre 1952.
  2. Lettre à Louise Colet, 16 janvier 1852.
  3. Jean-Pierre Dauphin (éd.), Lectures de Féerie pour une autre fois, Lettres modernes-Minard (“Série L.-F. Céline”, n° 3 & n° 4), 1978-1979.

Vient de paraître

Sommaire : Entretien avec Émile Brami – Céline vu par un oxfordien. Une lecture de Guerre – Un poème de Charles Bukowski sur Céline – Dans la bibliothèque de Céline. Ouverture – Philippe Sollers, un an déjà…

Voyage au cinéma ?

En février dernier, François Gibault confia, lors d’une conférence sur Céline à la Médiathèque d’Enghien-les-Bains qu’une adaptation cinématographique de Voyage au bout de la nuit allait peut-être apparaître sur le grand écran¹. Il n’en dit pas davantage (le contrat n’était pas encore signé), mais indiqua néanmoins qu’il avait été approché par une importante société cinématographique ayant les moyens de concrétiser le projet. Un site américain² a récemment révélé de quoi il retourne, le contrat ayant été versé au registre des options du C.N.C. (Centre national du cinéma)³. Le jour même, l’info a été relayée en France où la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre. Cela fait des décennies qu’un projet d’adaptation de Voyage est dans l’air. “…Projet mirifique, éternel film fantôme qui, sorte de monstre du Loch Ness en celluloïd, resurgit périodiquement” 4. Dès 1934, Céline lui-même s’employa vainement à le faire aboutir. Tous les projets firent long feu, le dernier en date étant celui de François Dupeyron (1950-2011). La singularité de la nouvelle tentative est qu’elle émane de Joann Sfar, issu d’une famille juive sépharade du côté paternel, et d’une famille ashkénaze du côté maternel.  Lorsqu’il était adolescent,  ce dessinateur et réalisateur lut Voyage au bout de la nuit avec ferveur avant de connaître la biographie de l’auteur. « Vous pouvez imaginer à quel point ma vie a été compliquée plus tard. J’ai un rapport passionnel et conflictuel à Céline pour des raisons évidentes »,  a-t-il confié. D’autant qu’il fait de sa judéité l’un des thèmes de son œuvre. Il définit Voyage comme « un ouvrage où se produit un glissement inéluctable de la lucidité au nihilisme. Toboggan vers l’indifférence au massacre [sic] » Les producteurs seront, d’une part, son associé Aton Soumache (The Magical Society) et, d’autre part, Alain Attal (Trésor Films). Cela fait plus de quinze ans que Joann Sfar nourrit ce projet mais c’est sa récente rencontre avec Thomas Bidegain, scénariste des films de Jacques Audiard, qui a été décisive. Les droits d’adaptation sont naturellement limités dans le temps : Sfar a trois ans pour achever le scénario et commencer le tournage. Comme on s’en doute, ce ne sera pas chose aisée : le scénariste souligne la complexité de l’adaptation due notamment à la structure particulière du roman ainsi qu’à sa langue. Tous deux entendent donner “une approche personnelle et fascinante restituant toute l’intensité et la complexité d’un roman qui explore les affres de l’âme humaine sous le prisme de la guerre  et  de la misère sociale”. Dans un message posté sur les réseaux sociaux, l’auteur du Chat du rabbin précise : « J’ignore encore si nous parviendrons à sauter tous les obstacles vers l’aboutissement de ce film. Merci par avance à ceux qui me souhaitent le pire, ça fait partie du jeu. Attendez que ce film sorte pour le haïr, ce sera plus agréable pour vous comme pour moi. » Michel Audiard, lui, estimait que, finalement, il était heureux que son projet d’adaptation n’ait pas abouti : « La littérature à ce niveau-là, on ne peut que saloper le coup. »
  1. M.L., « Année faste », Le Bulletin célinien, n° 460, mars 2023, p. 3.
  2. Elsa Keslassy, « Joann Sfar, Thomas Bidegain to Adapt Journey to the End of the Night for the Big Screen With Aton Soumache, Alain Attal Producing », Variety.com, 9 septembre 2024.
  3. https://rca.cnc.fr/rca.frontoffice/consultation/oeuvre/367b0eaa-bea1-440d-aef2-08dc91fcfc53
  4. Émile Brami, Louis-Ferdinand Céline et le cinéma (Voyage au bout de l’écran), Écriture, 2020.

Vient de paraître

Sommaire : Entretien avec Dominique Abalain – Guerre atlantique [sur les traductions américaine et anglaise] – Entretien avec Pascal Fouché – Céline et La Fontaine.

Inénarrable Nabe

Inénarrable Marc-Édouard Nabe, sommairement qualifié de “pamphlétaire célinolâtre” par Taguieff dans son pavé anti-Céline. Ils ont un point commun : un mépris insondable à l’égard des céliniens. Nabe a récemment mis en ligne une vidéo de deux minutes sur le square Boucicaut évoqué par Céline dans Nord ¹. « …Ce lieu célinien négligé par les fameux spécialistes », ajoute-t-il, perfide. Évidemment il ne connaît pas l’admirable Dictionnaire des lieux de Paris cités par  Céline  qui lui consacre une notice détaillée². Ce n’est pas la première fois (ni la dernière) que Nabe tranche sans savoir. Sur son site internet, il s’est exclamé : « Où est donc passée cette putain de préface à ce Précis d’onomastique judaïque par Bernardini ? ». Il ignorait aussi que les épreuves de ce livre furent retrouvées dans une bibliothèque new-yorkaise et que cette préface a été  publiée il y a vingt ans dans une réédition des Cahiers Céline 7 ³.  “Si le directeur du Bulletin célinien tenait tant  que  ça à ce  que  cet  inédit  soit lu, il n’avait  qu’à le  republier  dans  son BC ! ” [sic], fait-il dire à son factotum, Ludovic Mergen.  Nabe s’est aussi demandé ce qu’on attendait pour publier la transcription du manuscrit de Voyage au bout de la nuit afin  que  l’on puisse établir une comparaison avec la version originale de 1932.  C’est qu’il ignorait également que cette transcription est disponible depuis que Rémi Ferland l’a éditée en 2016 grâce au travail réalisé par Régis Tettamanzi4. Mais Nabe n’a que sarcasmes pour ce célinien auquel nous devons (entre autres) une édition critique des pamphlets. Cerise sur le gâteau, il admoneste Gallimard, coupable à ses yeux d’avoir caviardé une partie du titre de la version intermédiaire de Féerie parue en 1985. Il aurait aimé qu’on imprimât sur la couverture : “Au vent des maudits soupirs pour une autre fois” (!) :  “On sait que Godard n’a pas voulu écrire en entier le titre prévu Au vent des maudits soupirs…, trop long pour la couverture blanche de Gallimuche… Déjà, ce souci de petit prof de merde de vouloir rendre les “foutoirs” céliniens présentables, digestes, attractifs librairistiquement parlant !…” Grossière erreur : Henri Godard sait, lui, pertinemment que le titre imprimé est fautif, celui qui l’a choisi ayant amalgamé deux titres envisagés par Céline : “Au vent des maudits” et “Soupirs pour une autre fois”. Le fait de vouloir les réunir constitue une bourde qu’il n’aurait certainement pas commise. Le comble étant évidemment de prétendre obstinément, comme il le fait, que Céline quitta Saint-Malo à l’été 43 pour s’entretenir du massacre de Katyn avec Brasillach ! Et que c’est donc bien lui qu’on voit sur la photo d’officiels attendant Brinon à la gare de l’Est5. Ceux qui prétendent le contraire ont droit aux épithètes les plus triviales. Toute controverse peut certes s’avérer fructueuse. Encore faut-il connaître ce dont on parle…
  1. https://www.tiktok.com/@marcedouardnabe/video/7397770956325834016
  2. Laurent Simon, À la ronde du Grand Paris. Dictionnaire des lieux de Paris et de sa banlieue cités par Louis-Ferdinand Céline dans son œuvre et sa correspondance, ou fréquentés par l’écrivain, Du Lérot, 2016, 3 vol.
  3. Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché (éd.), Céline et l’actualité, 1933-1961, Gallimard, coll. “Les cahiers de la Nrf” (Cahiers Céline 7), 2003.
  4. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit « seul manuscrit », Éditions 8, coll. “Anciens”, 2016. Édition établie, présentée et annotée par Régis Tettamanzi.
  5. Voir Marc Laudelout, « Gare de l’Est. L’expert n’est plus aussi catégorique », Le Bulletin célinien, n° 466, octobre 2023.