Le festin des loups

Les forces de l’Axe ont perdu la bataille mais les personnalités qui l’illustrèrent la gagnent en librairie. Les biographies de Goering, Himmler et Goebbels « cartonnent » et les ouvrages sur la Collaboration s’arrachent.  Dans son dernier livre, David Alliot esquisse le portrait de quelques-unes de ces figures. Hormis quelques détails, ceux qui connaissent cette période n’y apprendront strictement rien, mais il est vrai qu’il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation. « Collabos, profiteurs et opportunistes sous l’Occupation », tel est le sous-titre du livre. On imagine ce qu’en aurait pensé un Lucien Combelle ou un Henri Poulain, amis de Céline que j’ai un peu connus. Si la Collaboration compta dans ses rangs des êtres sans scrupules et sans idéal, il y eut aussi des écrivains, des journalistes et des militants qui crurent de bonne foi à la justesse de leur combat. Après avoir lu cet ouvrage, la jeune génération risque de mettre tout ce monde dans un même sac peu ragoûtant. Sur cette période, on peut préférer relire Henri Amouroux qui, sans être historien de formation, nous a laissé un travail d’une rare équité.

On ne s’étonnera pas que, sous la plume de David Alliot, Céline constitue le fil rouge du livre. Il est naturellement présent dans les chapitres sur Olier Mordrel, Hermann Bickler et George Montandon qu’il fréquenta. Lui-même occupe un chapitre intitulé « D’un château l’hôte » (!). Alliot y retrace son parcours du 17 juin 1944, date de sa fuite, à sa mort, avec quelques retours en arrière pour expliquer les raisons de son antisémitisme. Occasion de citer, avec l’autorisation de l’ayant droit, quelques extraits de Bagatelles. Dont cette cruelle et drolatique métaphore sur la noblesse française qui  « a sucé  plus de foutre juif  qu’il n’en faut  pour noyer  la plaine d’Azincourt ». Découvreur de pépites, David a même déniché le témoignage inédit d’un haut fonctionnaire de Vichy qui rencontra Céline à Sigmaringen.

Naïade au maillot et déhanchement provocants, Maud Sacquard (alors future baronne de Belleroche) est, comme on sait, passée à la postérité littéraire grâce à un passage fameux de Nord. L’auteur a recueilli les propos de l’intéressée : « Céline m’aimait beaucoup, mais là, il exagère un peu. C’était l’été, il faisait beau. Je prenais soin de mon corps, et comme j’ai toujours aimé nager… Mais de là à exciter les hommes… ». À propos du couple Sartre-Beauvoir, l’auteur synthétise ce que Gilbert Joseph nous a révélé de leur attitude sous l’Occupation, et rappelle opportunément un incident qui eut lieu en février 2011 lors du colloque sur Céline organisé à Beaubourg (j’y étais) : « Une petite universitaire de province provoqua l’hilarité du public en affirmant avec un aplomb stupéfiant que Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir avaient résisté pendant la Seconde Guerre mondiale. La sérénité ne revient dans la salle qu’après un péremptoire « Taisez-vous ! » lancé par l’intéressée. »

Dans sa conclusion, David Alliot pose curieusement la question : « Fallait-il fusiller Robert Brasillach ? ». L’ancien avocat général Philippe Bilger a donné la réponse : « On peut tourner le problème dans tous les sens, accabler Brasillach autant qu’on le veut, avoir la nausée à la lecture de ses articles, le prendre pour un écrivain surestimé et un journaliste haineux, rien, jamais, ne parviendra à justifier cette froide résolution mise en œuvre par une cour d’exception et validée par un général de faire disparaître un esprit, une âme, une vie de la surface de la France ¹. »

  • David ALLIOT, Le Festin des loups, Librairie Vuibert, 2014, 280 p. (19,90 €).

 

  1. Philippe Bilger, 20 minutes pour la mort. Robert Brasillach : le procès expédié, Éd. du Rocher, 2011.