Le mois passé a débuté à Paris le tournage d’un téléfilm consacré à Robert Denoël, le premier éditeur de Céline, assassiné à Paris en décembre 1945. Écrit par Jean-Claude Grunberg pour France 2, ce film a pour réalisateur Denys Granier-Deferre. « Ce qui nous intéresse, explique-t-il, c’est la figure contradictoire de Denoël et l’étude d’une période aussi troublée que l’Épuration ». Comme cela s’est déjà produit dans le passé, Céline y apparaîtra peut-être comme l’âme damnée d’un éditeur trop influençable…
La gloire posthume de Céline est aussi faite des prix faramineux atteints par ses œuvres dans les catalogues de librairie ou en salle de vente. Jugez plutôt : 72.000 € pour un des premiers exemplaires de Mort à crédit sur japon impérial, superbement relié par Huser ; 6.000 € pour l’édition originale de Voyage au bout de la nuit sur alfa ; et 7.865 € pour un exemplaire de L’École des cadavres sur japon, édition brochée sans reliure particulière. J’ignore, en revanche, le prix qu’a atteint cet autre exemplaire de Voyage sur alfa relié par Hennequin et enrichi d’une belle dédicace « À monsieur Pitoëff, à madame, sincère hommage d’un spectateur depuis Genève et qui redemande et redemande encore les “3 Sœurs” ! », signé « Louis Céline ». Si Louis Destouches travailla à la Société des Nations dans les années vingt, c’est également à Genève que débuta la carrière de Georges Pitoëff (dédicace reproduite page suivante). Et c’est également à cette époque que Céline écrivit sa pièce L’Église, comme chacun sait. Ce qui est moins connu, c’est que, deux ans après la parution du Voyage, Céline rencontra Pitoëff qui avait envisagé de mettre en scène sa pièce.
L’ostracisme obtus des autorités publiques envers Céline devient franchement pénible. Jugez en plutôt avec ce qui s’est produit récemment à Strasbourg. Premier temps : la ville confie à un designer suisse la signalétique de la nouvelle médiathèque. Celui-ci a l’idée d’afficher sur les murs et les sols diverses citations d’écrivains, dont une de Céline (comprenant le mot « messieurs ») sur la porte des toilettes réservées aux hommes. Deuxième temps : lors de l’inauguration, un sociologue strasbourgeois, ancien doyen de la faculté des sciences sociales, s’indigne qu’une citation de l’écrivain puisse être accueillie dans cette médiathèque, même reléguée sur la porte de lieux d’aisance. Et il le fait énergiquement savoir aux autorités municipales. Troisième temps : le sénateur-maire, qui se trouve être agrégé de lettres ( !), ne souhaitant pas s’aliéner la sympathie de certains de ses administrés, réagit au quart de tour et ordonne l’effacement de la citation. En elle-même, il faut le souligner, cette phrase, puisée dans Rigodon, n’a rien de litigieux. Le seul scandale étant qu’elle soit signée Céline. On savait déjà que l’écrivain n’a droit à aucun hommage public, pas même une modeste plaque commémorative ² ; on saura désormais qu’il n’est même pas toléré aux chiottes où voudraient pourtant le reléguer certains anti-céliniens primaires.
- « Je vous laisse en plan et mes comics… Vite, mes oignons, que je vous retrouve ! Par ici, Mesdames et Messieurs… Encore deux mille pages au moins ! »
- Ni à Montmartre, ni dans la paisible Genève où l’actuel propriétaire de la maison qui accueillit Céline dans les années 20 a fait volte-face après la réception d’une seule lettre (anonyme) de protestation, et ce alors que les frais avaient déjà été engagés par le BC. Maître Pascal Junod, du barreau de Genève, a pris en charge le dossier…