Autocélébration

Autocélébration ? Telle n’était pas vraiment mon intention en demandant à quelques lecteurs du Bulletin un texte inédit pour ce 300ème numéro. Sans doute était-ce inévitable même si dans la lettre qui leur fut adressée, je les incitais à me faire part de leurs critiques ou points de désaccords, voire à m’envoyer un article qui  traitât  plutôt de Céline  que du Bulletin.  Le constat  est patent : les textes que mes correspondants ont bien voulu m’adresser pèchent, pour la plupart d’entre eux,  par une indulgence coupable à mon égard.  C’est  la raison pour laquelle j’ai souhaité que ce n° 300 se close par quelques épines pour contrebalancer, en quelque sorte, les compliments dont je suis assailli. Les critiques émises vont souvent dans le même sens, me reprochant de m’intéresser davantage à l’écrivain de combat que fut (aussi) Céline plutôt qu’au romancier. C’est, j’imagine, le prix à payer pour ne pas avoir voulu mettre une part importante de son œuvre sous le boisseau.  Mais c’est aussi travestir l’intention qui anime ce Bulletin.

Cette distinction entre le (bon) romancier et le (mauvais) pamphlétaire m’a toujours paru absurde dans la mesure où Céline ne cesse pas dans ses œuvres de fiction de bousculer les tabous et d’exprimer ses convictions. Féerie pour une autre fois n’est-il d’ailleurs pas aussi un pamphlet fustigeant la France de l’épuration ?

Si le Bulletin s’intéresse au Céline visionnaire dénonçant le matérialisme délétère d’une civilisation, les 299 numéros qui ont précédé celui-ci montrent bien que c’est avant tout l’écrivain qui me captive. La complexité venant du fait que Céline ne cesse précisément d’être écrivain lorsqu’il écrit ses fameuses satires. Tout serait bien plus simple si celles-ci étaient littérairement médiocres ou si elles étaient à son œuvre ce que Le Péril juif est à l’œuvre de Jouhandeau. Or il se trouve que Bagatelles pour un massacre, qualifié par Charles Plisnier de « livre génial et malfaisant »,  est une œuvre où le talent polémique de Céline se déploie avec une éclatante virtuosité. On est quelque peu gêné de devoir enchaîner ces évidences.

Trois cents numéros donc. Faut-il rappeler que si le Bulletin franchit ce cap, c’est grâce à ses lecteurs qui, d’année en année, l’ont soutenu ? Ne disposant d’aucun subside ni d’aucun appui dans le monde éditorial ou journalistique ¹, le Bulletin ne peut compter que sur l’aide de ses abonnés. Grâces leur en soient rendues.

Au risque d’être suspecté de fausse modestie, je tiens à ajouter que l’insignifiance du BC au regard des travaux critiques sur Céline ne m’échappe pas. Le rôle du Bulletin se borne à informer ses lecteurs de tout ce qui concerne l’écrivain et de constituer un lien régulier entre eux. C’est dire si je ne me  compare pas aux célinistes qui ont apporté tant d’éléments décisifs à la connaissance de Céline, l’homme et l’œuvre. Ce Bulletin ne peut s’enorgueillir que d’une seule chose : être, sauf erreur, l’unique publication mensuelle vouée à un écrivain.  Encore faut-il ajouter que le mérite en revient, en réalité,  à Céline  lui-même  qui, depuis sa disparition,  n’a jamais cessé d’être présent dans l’actualité littéraire grâce à la richesse d’une œuvre inspirant exégèses, commentaires et débats variés dont le BC rend précisément compte.

Qu’on l’aime ou le déteste, Céline apparaît, au-delà des opprobres, comme le contemporain capital, auteur d’une œuvre considérable qui, en dépit des apparences, demeure encore largement méconnue.

  1. À l’exception notable de Joseph Vebret (La Presse littéraire & Le Magazine des Livres) et de Jérôme Dupuis (Lire), sans oublier la presse amie de moindre diffusion.