Correspondance

Le savez-vous ? Nombreux  sont  les exégètes céliniens qui vouent une franche détestation à Céline.  Elle est à la mesure  de  leur fascination pour l’écrivain. Cette aversion envers l’homme tient autant aux débordements polémiques dont il s’est rendu coupable qu’à leur itinéraire personnel.  Qu’ils  aient été communistes, trotskystes, maoïstes ou tout simplement PSU – chacun se reconnaîtra ! –, ils éprouvent des difficultés à concilier ce qu’ils furent, et parfois ce qu’ils sont encore, avec leur dilection pour l’écriture célinienne. Aussi ai-je trouvé pour  le moins rafraîchissants les commentaires de Jean-Paul Louis dans sa nouvelle édition des Lettres à Marie Canavaggia alors  même qu’ils sont tancés ici et là par d’autres céliniens.  Il ne s’agit point de défendre ni encore moins  d’excuser les réactions (parfois pénibles) de Céline  à l’actualité politique mais bien plutôt de les expliquer, de les situer dans leur contexte, et surtout d’éclairer la personnalité pour le moins ambivalente de l’écrivain.  Cela suppose aussi une forme d’empathie, forcément mal perçue aujourd’hui ¹. Sur tout ceci, l’éditeur de cette correspondance s’explique sobrement dans un texte reproduit à la fin de ce bulletin. Notons au passage que si certains critiquent ouvertement l’éditeur de cette correspondance,  ils se gardent bien  de blâmer d’autres commentaires également soucieux d’équité. Dont celui-ci : « Céline savait qu’il n’avait en rien collaboré, et pas plus que Cocteau, Montherlant et Morand qui, après que beaucoup d’eau eut coulé sous les ponts, finirent par entrer à l’Académie  » ². Ou celui-ci : « Son engagement s’explique d’abord par le fait que, d’un naturel très personnel et volontaire, il n’était ni lâche ni hypocrite  et n’était pas homme à rester sur les gradins  quand d’autres se font étriper dans l’arène  » ³. Ou encore celui-ci : « On a le droit aujourd’hui de critiquer Céline pour avoir choisi le mauvais camp (celui des vaincus), mais on n’a pas le droit de mettre en doute son patriotisme ni la force de ces convictions ni le fait qu’il ait toujours été amoureux de son pays  » 4.

L’auteur d’un recueil récemment paru s’est amusé à collationner divers jugements littéraires féroces émis par des écrivains ou des journalistes.   Sur Céline,  on retiendra cette  appréciation écrite l’année même du Voyage par un certain… Bilieux (!), lequel mérite assurément de passer à la postérité :  « Qu’est-ce qu’un Céline ?  Dans vingt ans on n’en parlera plus alors qu’on lira éternellement Duhamel ! » 5

  1. Cette démarche ne suppose pas, en revanche, un quelconque aveuglement tel qu’il a été parfois dénoncé : « Le lecteur de Céline a reconnu dans Voyage ou dans Mort à crédit la voix intime de sa propre révolte, et le plaisir d’un style. Toute attaque contre Céline en devient comme une blessure intime, et narcissique. Et puis, il y a le mythe Céline, qui accole des morceaux de fiction, de légendes et d’images. (…) Le mythe Céline expulse instantanément les éléments de réel qui lui sont étrangers. L’esprit néglige, écarte ce qui vient perturber l’organisation mentale préalable. C’est ce qu’en psychologie sociale on appelle la “réduction de la dissonance cognitive” ». Dixit Annick Duraffour cité dans Le Bulletin célinien, n° 235, octobre 2002.
  2. Préface à Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, 1945-1947, Gallimard, 1998, p.10.
  3. Préface à Céline et l’actualité, 1933-1961 (« Cahiers Céline 7 »), 1986, p. 8.
  4. François Gibault, Céline, tome 2, Mercure de France, 1985, pp. [273]-274.
  5. Cité par Sylvie Yvert in Ceci n’est pas de la littérature. Les forcenés de la critique passent à l’acte, Éditions du Rocher, 2008, p. 56.