On le sait : à l’instar des Atrides, les céliniens constituent une grande famille. Cela s’est encore vérifié le mois passé : signalant la réédition des Lettres à Marie Canavaggia, un célinien – emboîtant le pas au journaliste du Canard enchaîné que nous épinglions dans notre précédent numéro – écrit que l’appareil critique de ce volume est « desservi par des formules exonérant à tout prix [sic] les agissements d’un auteur pourtant si discutable » ¹. Aucun exemple, une fois encore, n’étant donné à l’appui de cette affirmation, il s’avère difficile de lui apporter la contradiction. Et je ne puis que me répéter : s’il m’est arrivé de rompre des lances avec Jean-Paul Louis, l’éditeur de cette correspondance, l’équité impose de reconnaître qu’il a toujours su tenir la bonne distance avec l’écrivain éminemment sulfureux qu’est Céline. Détail amusant : il me fit même naguère grief de verser dans l’hagiographie alors que, dans le même temps, d’autres me reprochaient d’ouvrir les colonnes du Bulletin à des détracteurs patentés de Céline.
Conversation au téléphone avec Pol Vandromme ² : il énumère quelques grands absents de la « Bibliothèque de la Pléiade ». Ceux qui ont pour nom Joseph de Maistre, Charles Maurras, Maurice Barrès ou Pierre Drieu La Rochelle ont certes le grand tort de ne pas s’être inscrits dans le sens de l’histoire. Mais peut-on leur dénier le statut de grand écrivain ? Céline, lui, aura bientôt cinq volumes dans cette prestigieuse collection au grand dam de certains qui dénoncent ce qu’ils nomment une forme de « sacralisation » ³.
Signant un hommage à Henri Amouroux, Emmanuel Le Roy Ladurie relève « qu’il y a des nostalgiques sinon de Vichy, du moins de certains écrivains “collabos” qui n’étaient pas dénués de talent, et dont “on” s’acharne sans beaucoup de succès à perpétuer la mémoire ». Et d’ajouter : « En ce qui concerne Céline, qu’on le regrette ou non, cette perpétuité paraît parfaitement garantie. Amouroux considérait du reste, il me l’a dit à plusieurs reprises, que la célinolâtrie contemporaine comportait et comporte encore bien des points d’interrogation qu’il n’est pas possible d’expliciter ici. » C’est regrettable. On aurait justement apprécié que Le Roy Ladurie nous en dise davantage 4. Comme disait Céline soi-même : « Il faut tout dire ou bien se taire ».
- André Derval, « Célébration. Autour de Céline », Magazine littéraire, janvier 2008, p. 8.
- Il vient de publier un essai fulgurant : Belgique, la descente au tombeau (Éd. du Rocher, 2008).
- C’est le cas des inénarrables Martin et Durand. Le premier est l’auteur d’un Contre Céline, sous-titré D’une gêne persistante à l’égard de la fascination de Louis Destouches sur papier bible (éd. José Corti, 1997) ; le second a signé un article, « Critiques face à Céline » où il déplore, en passant, que Gobineau ait, lui aussi, sa place dans La Pléiade (Mauvais temps, n° 4, avril 1999, pp. 79-91)
- Emmanuel Le Roy Ladurie, « In memoriam Henri Amouroux », Commentaire, n° 120, hiver 2007-2008. S’agissant de Vichy, rappelons que son père, Jacques Le Roy Ladurie accepta, en avril 1942, le portefeuille de l’Agriculture et du Ravitaillement que lui proposait Pierre Laval. Il en démissionna en septembre 1942 pour marquer son opposition aux ingérences allemandes et au projet de STO. En janvier 1943, il entra dans la Résistance. Emmanuel Le Roy Ladurie, lui, fut membre du Parti communiste avant de le quitter en 1956 après l’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique.