Céline, auteur maudit ? Si une part de son œuvre est vouée aux gémonies, le succès de ses romans – tous disponibles en collection de poche –, ainsi que de la plupart des ouvrages le concernant montre combien il suscite l’intérêt aujourd’hui. Ainsi, les 5.000 exemplaires du (double) DVD « Céline vivant » se sont arrachés en quelques jours. L’éditeur en a alors fait faire 3.500 autres supplémentaires, partis tout aussi rapidement. En conséquence, il a retiré, le mois passé, à… 10.000 exemplaires. En un peu plus d’un mois, près de 20.000 exemplaires auront été édités et vendus. Cette réalisation est du reste entrée dans le « Top 50 des meilleures ventes DVD » du site de vente en ligne Amazon.
Autre signe : Gallimard a récemment publié les Lettres à Marie Canavaggia ¹. Le premier tirage (4.000 exemplaires) de cet ouvrage s’est épuisé en quinze jours exactement. Or, il s’agit d’un fort volume de 800 pages coûtant près de 40 euros. On sait que la première édition (1995) en trois volumes avait été, elle aussi, rapidement épuisée mais elle n’avait été tirée qu’à 400 exemplaires numérotés. Il semble, par ailleurs, que le ton général de la presse s’est quelque peu apaisé en ce qui concerne Céline. Les critiques ne se sentent plus obligés de souligner que son « génie » ne le cède en rien à son « ignominie ». Bémol : l’article du Canard enchaîné déplorant que Jean-Paul Louis, l’éditeur de cette correspondance, « défende parfois l’écrivain bec et ongles, jusqu’à l’indéfendable » ². Aucun exemple n’est donné à l’appui de cette assertion. Or, il faut reconnaître que J.-P. Louis est parvenu, au contraire, à éviter le double écueil de l’empathie excessive et de la défiance systématique.
Où la détestation de Céline ne va-t-elle pas se nicher ? Un lecteur me signale qu’en septembre dernier, lors des obsèques à Lyon de l’amuseur Jacques Martin, son frère – après l’avoir sans vergogne comparé aux plus grandes gloires littéraires – s’est cru autorisé à traiter Céline de « sale con ». Ce jugement sommaire, rapporté par la « presse pipole », fut asséné, au sein même de la cathédrale Saint-Jean, devant celle qui était encore l’épouse du Président de la République (après avoir été celle dudit Martin). Sarko Ier, célinien déclaré, avait, on le voit, plus d’une raison de rester à l’Élysée ce jour-là…
Un autre célinien – dont j’aurai la générosité de taire le nom – s’indignait naguère que les spécialistes de l’écrivain ne dénonçassent pas l’« anticommunisme criminel » [sic] de Mea culpa. C’était en 1979, dix ans avant la chute du Mur de Berlin. Alexandre Laumonier, jeune avocat au Barreau de Bordeaux, publie un libelle roboratif, Quand Ferdine prévient, présenté comme « un petit “Lamanièredeux” » ³. On ne dira jamais assez qu’avant d’être anticommuniste, le brûlot de Céline est antimatérialiste. C’est en ce sens qu’il est toujours d’actualité.
- L.-F. Céline, Lettres à Marie Canavaggia, 1936-1960, Gallimard, coll. « Les Cahiers de la NRF» (« Cahiers Céline, 9 »), 2007, 758 pages (39 €). Il s’agit d’une édition revue et corrigée.
- David Fontaine, « Mots à crédit », Le Canard enchaîné, 5 décembre 1977.
- Alexandre Laumonier, Quand Ferdine prévient (Essai sur Mea culpa… ou un petit « Lamanièredeux »), Imprimerie Châtelleraudaise, 2007, 34 p., illustrations de Jean-Pierre Grégoire. Diffusé par Le Bulletin célinien, 32 € franco.