Pierre Monnier est décédé le 27 mars à Nice, où il s’était retiré depuis plusieurs années. Il allait avoir 95 ans.
Tout célinien a dans sa bibliothèque Ferdinand furieux, ce bouquin épatant où il raconte dans quelles circonstances il rencontra Céline après la guerre. L’amitié qui se noua alors entre eux méritait assurément d’être mieux connue. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer à quel point l’écrivain était alors non seulement victime d’une conspiration du silence, mais considéré par nombre de ses pairs comme un écrivain fini, voire démodé. Pierre Monnier m’a souvent dit que les amis de Céline demeurés fidèles se comptaient alors sur les doigts d’une seule main. Et de citer invariablement Marcel Aymé, Marie Canavaggia, Arletty, Jean-Gabriel Daragnès et André Pulicani. Dans ces années-là, Céline lui-même disait : « Autant de cloches à Montmartre que de potes qui m’ont renié. » Pierre Monnier, qui n’avait pas 40 ans, se lança dans cette entreprise folle qu’est l’édition pour redonner à l’écrivain qu’il admirait l’occasion de se faire entendre à nouveau. Ce ne fut pas sans difficultés mais ce serait sans nul doute faire injure à nos lecteurs que de rappeler plus avant ces faits bien connus d’eux.
En juin 1993, ce Bulletin lui rendit hommage suite à un déjeuner-débat qui eut lieu à Bruxelles et dont il avait été l’invité d’honneur. J’écrivais ceci : « Les qualités du conférencier sont aussi celles de l’homme. Sincérité, lucidité, chaleur, générosité, enthousiasme : tels sont les mots qui se bousculent sous ma plume lorsqu’il me faut définir Pierre Monnier. » C’est bien ainsi qu’il m’est toujours apparu. Et c’est sans aucun doute cet amour de la vie qui transcendait toute sa personnalité. Pourtant les fées ne s’étaient pas penchées sur son berceau. Parlant de son père, officier de carrière mort au combat en 1915, il disait : « J’ai eu peu de temps pour l’aimer. » Orphelin de guerre dès l’âge de quatre ans, il dut, adolescent, gagner sa vie tout en suivant des cours à l’École des Beaux-Arts. Rude apprentissage, comme on s’en doute, mais qui n’entama jamais le caractère volontaire de ce Breton féru de peinture, de littérature et de… politique. Dans ses livres de souvenirs, il a raconté son compagnonnage avec l’Action Française, puis cette étonnante aventure de L’Insurgé, éphémère hebdomadaire nationaliste et progressiste fondé en 1937 par Jean-Pierre Maxence et Thierry Maulnier, et dont il fut le secrétaire de rédaction. Dans la lignée du « Cercle Proudhon » créé en 1911 sous l’égide de Georges Sorel, il y tenait une chronique sociale qui marquait la volonté de réconcilier syndicalisme et nationalisme. De 1940 à 1942, il participa à la création et au développement des « Centres d’apprentissage des jeunes », initiés par Vichy en zone occupée. Après la guerre, il vécut, difficilement, de la peinture et des dessins de presse (notamment dans Aux Écoutes), puis de l’édition sous le nom de « Frédéric Chambriand », avant de faire une belle carrière à L’Oréal.
Sa retraite fut très active puisqu’il écrivit pas moins de dix livres, dont deux sur Céline. Et il se voua aussi à l’amitié, ayant pendant de nombreuses années le bonheur d’avoir auprès de lui, dans sa ville d’adoption, ses amis Louis Nucéra, Alphonse Boudard, Raoul Mille et le photographe Raoul Gatti. Une vie variée et bien remplie.
Ceux qui l’ont connu garderont de lui un souvenir lumineux. C’était un homme attachant, loyal, fidèle à ses convictions et d’une humeur joyeusement roborative. Un être d’exception que nous n’oublierons pas. Il n’est que juste de saluer ici sa mémoire.