Saluons, comme elle le mérite, la dernière livraison de la revue annuelle qui a pour nom L’Année Céline. Difficile d’imaginer une bibliothèque célinienne digne de ce nom qui ne comprendrait pas la collection complète (quatorze volumes déjà !) de cette publication. On lira plus loin la présentation de ce numéro par Henri Godard, l’un des responsables de la revue. Mais que cela ne m’empêche pas, d’entrée de jeu, de souligner l’intérêt de si précieux documents : une photographie inédite de Céline en compagnie de Lucienne Delforge (Vienne, été 1935), une correspondance adressée par celle-ci à Cillie Pam, d’autres lettres inédites (à Gen Paul, notamment), un article inédit de Jean Cassou sur Voyage et les chroniques habituelles qui témoignent de la réception critique de l’écrivain aujourd’hui.
En 1991, dans le premier numéro de la revue, Henri Godard écrivait : « La gageure à tenir est de réaliser à propos du plus problématique des auteurs une publication sans œillères ni polémiques ». En ce qui concerne le second point, le pari était assurément difficile à tenir dès lors qu’il s’agit de Céline. Qu’il n’ait pu être tenu ne me désole pas car cela nous vaut parfois des commentaires à l’ironie bien tempérée. Ainsi, dans le dernier numéro, sous le titre « Angelo Rinaldi, journaliste », Jean-Paul Louis brocarde le nouveau directeur du Figaro littéraire qui s’est mis au diapason de l’anticélinisme viscéral ambiant. Verba volant, scripta manent… Comment ne pas se souvenir de certain article paru dans L’Express où Rinaldi évoquait joliment le grand maudit et surtout Toto, le perroquet qui lui a survécu ¹. C’est aussi l’époque où, sur un plateau de télévision, le même Rinaldi prenait la défense de Céline en s’exclamant qu’il ne fallait tout de même pas le confondre avec René Bousquet ². Commentaire de L’Année Céline : « Tant qu’il a été employé par L’Express, Rinaldi ne savait qu’exprimer une grande admiration pour Céline. Son passage au Nouvel Observateur, puis au Figaro littéraire où il officie aujourd’hui, lui a changé le goût. Son ralliement aux idées conformistes lui permet d’écrire à peu près n’importe quoi, ce qui rend aisée la fabrication d’un article qui assoira un peu plus sa renommée toute neuve de vigilant moraliste ». Et de conclure : « Imaginons que Rinaldi a connu, vers 1999, une révélation foudroyante, et que le remords de s’être dit « célinien » le taraude depuis. On mesure bien la vie intellectuelle dangereuse que mène un journaliste : toujours sur la brèche, soumis au « vent des maudits », toujours se proposant à l’adoration de ses lecteurs par les bassesses et les mensonges les plus vains ». La polémique est, on le voit, empreinte d’une plaisante vivacité. Et disons-le sans ambages : les animateurs de L’Année Céline ne doivent assurément pas regretter l’époque où ils s’interdisaient cette pente coupable. Le fait que Céline suscite de telles envolées ne constitue-t-il d’ailleurs pas le plus bel hommage qui soit ?
- Angelo Rinaldi, « Mémoire de Toto », L’Express, 10 octobre 1991.
- Émission télévisée Ah ! quels titres de Philippe Tesson, France 3, 3 décembre 1994. Propos reproduits dans Le Bulletin célinien, n° 149, février 1995, p. 4.