On se souvient qu’en 2011 l’Agence France-Presse rapporta un propos de Henri Godard selon lequel Céline était « un pur salaud ¹ ». Cette déclaration n’était pas passée inaperçue, Godard n’ayant jamais jusque là qualifié ainsi l’écrivain auquel il a consacré sa thèse de doctorat avant d’écrire plusieurs livres le concernant (dont une biographie) et de devenir son éditeur dans la Pléiade. M’étant fait l’écho de cette dépêche de l’AFP, puis de réactions de lecteurs, Henri Godard avait tenu à insérer dans le Bulletin ce démenti dénué d’ambiguïté : « Je n’ai jamais prononcé pour mon compte la phrase “Céline est un pur salaud” qui m’est prêtée par l’AFP. Tout au plus ai-je pu la citer pour m’en dissocier, et le journaliste aura fait la confusion. J’avais négligé jusqu’à présent de faire la rectification, mais je vois que certains de vos lecteurs s’émeuvent de trouver cette phrase dans ma bouche, je les comprends, c’est pourquoi je vous serais reconnaissant de signaler ce démenti. » Godard, peu suspect d’empathie pour l’individu-Céline, avait tenu à mettre les pendules à l’heure. Dont acte ².
Christian Millau, lui, rapporte cette opinion qu’il prête apparemment à ses contemporains : « Céline est un pur salaud, une ordure antisémite, un crachat sur la société. » Se dissocie-t-il franchement de ce point de vue ? Cela n’apparaît pas clairement. Si tel n’est pas le cas, on peut rétrospectivement s’étonner qu’il ait accepté de rencontrer Céline à Meudon, de lui serrer la main et de converser cordialement avec lui, en compagnie de Roger Nimier. Lequel écrivait ceci : « On ne prétend pas que [Céline] soit responsable des camps. Il n’a rien inventé. Il a exprimé des passions qui menaient aux camps. On aurait voulu qu’il oubliât moins ses prédécesseurs dans la misère et qu’il reconnût comment la hargne antisémite des petits bourgeois devint monstrueuse entre des mains allemandes – parfois entre des mains françaises. Il ne l’a pas fait et il est possible que ce soit par fierté plutôt que par inconscience. Il n’a pas cherché à obtenir sa grâce en confessant ses erreurs ³. » Jugement assurément plus nuancé.
De Millau, j’avais bien aimé son Galop des hussards qui fut d’ailleurs salué dans le BC 4. Mais n’est-ce pas cette fois le livre de trop ? À 85 ans, Christian Millau n’en finit pas de ressasser les mêmes anecdotes dans des livres mal dégrossis et finalement peu fiables. Les trois pages qu’il consacre à Céline dans son dernier bouquin témoignent d’une mémoire qui s’effiloche. Ainsi rapporte-t-il ce prétendu propos de Céline à Antoine Blondin : « Je ne me réjouis que dans le grotesque. » On aura reconnu la lettre de Céline à Léon Daudet : « Je ne me réjouis que dans le grotesque aux confins de la Mort. » Millau ne se souvient pas davantage que c’est Malraux qui comparait (sommairement) la verve de Céline à celle d’un chauffeur de taxi. Mais le pire est pour la fin : Millau attribue à Céline l’imitation d’Hitler à l’ambassade d’Allemagne alors qu’elle est due, comme chacun sait, à Gen Paul. De quoi mettre en doute l’authenticité des autres anecdotes collationnées dans son livre.
- Christian MILLAU, Ravi de vous avoir rencontré, Éditions de Fallois, 2014, 360 pages (22 €)
- « “ C’est un immense écrivain français, le plus traduit et le plus diffusé dans le monde après Proust. (…) En dehors de ça, c’est un pur salaud ”, résumait hier auprès de l’AFP Henri Godard, l’un des grands spécialistes de Céline » (AFP, dépêche du 20 janvier 2011).
- « Henri Godard nous écrit », Le Bulletin célinien, n° 329, avril 2011, p. 23b.
- Roger Nimier, Journées de lecture, Gallimard, 1965, pp. 199-200.
- Pol Vandromme, « Au galop des hussards », Le Bulletin célinien, n° 196, mars 1999, p. 4.