Tout célinien devient par la force des choses fin connaisseur de l’Occupation, Céline ayant eu partie liée avec cette sombre période. D’autant que, bon gré mal gré, il accompagna le régime de Vichy dans sa chute. C’est pour cela que les nouvelles générations éprouvent quelques difficultés à appréhender un livre comme D’un château l’autre, les noms de Laval, Brinon, Doriot et Déat leur étant peu familiers, voire totalement inconnus.
L’exposition sur la Collaboration, qui s’est tenue récemment à Paris se voulait essentiellement pédagogique ¹. Les différents aspects étaient d’autant mieux traités que pas moins de quatre commissaires scientifiques furent requis à la tâche. Bien entendu, Céline y eut sa place. Y compris dans l’imposant catalogue édité à cette occasion ². Deux pages du manuscrit des Beaux draps – préempté par la Bibliothèque Nationale en 1977 – y sont reproduites. Ainsi qu’une lettre inédite à Lucien Rebatet présentée comme une réponse à l’envoi des Décombres. Grossière erreur : cette lettre-là figure déjà dans la plaquette éditée par Gallimard ³. Il s’agit, en réalité, d’une réponse à l’envoi des Tribus du cinéma et du théâtre publié l’année précédente par Denoël. La confusion n’est pas possible puisque Céline, qui n’était pas encore familier avec Rebatet, le vouvoie et évoque un « petit livre » — ce qui n’est assurément pas le cas du pavé de plus de 600 pages lancé durant l’été 1942 4. À propos de Céline, les auteurs notent que « son antisémitisme est imbriqué dans son racisme » et que « l’élimination des Juifs devient la condition d’un redressement national qui passe par la race ». Épuration n’étant pas synonyme d’extermination, il aurait fallu préciser que « ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (Tettamanzi) et que « les mesures qu’il préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (Godard).
Tel quel, ce catalogue vaut surtout pour sa foisonnante iconographie constituée de photographies et d’autres documents divers, dont une lettre de Brasillach au même Rebatet, lors de la rupture de 1943. Toutes ces pièces ont attiré un large public, témoignant de la fascination qu’exerce, encore et toujours, cette période historique. Laquelle ne cesse, par ailleurs, d’inspirer écrivains et cinéastes depuis plus d’un demi-siècle.
- Exposition « La Collaboration, 1940-1945 » organisée, du 26 novembre 2014 au 2 mars 2015, par les Archives nationales à l’Hôtel de Soubise, à Paris.
- Thomas Fontaine & Denis Peschanski, La Collaboration [Vichy Paris Berlin], 1940-1945, Éditions Tallandier (en coédition avec les Archives nationales et le Ministère de la Défense), 2014, 320 p. Évoquant les opuscules antisémites parus durant cette période, un célinien bien-pensant, journaliste dans la presse satirique, conclut son article en précisant (sans aucun lien logique) « qu’Éric Zemmour ferait bien de [les] consulter avant de s’engager plus avant dans ses réhabilitations délirantes» [sic]. Or, contrairement à ce qui s’est écrit, Zemmour n’a aucunement eu l’intention de “réhabiliter” le régime de Vichy en rappelant que les juifs français furent proportionnellement moins déportés que leurs coreligionnaires hollandais ou belges et ce en raison de la volonté de Vichy (nonobstant les discriminations dont ils étaient victimes) de sauver, peu ou prou, ses « juifs nationaux ». C’est en tout cas ce qu’affirmait notamment l’historien Léon Poliakov, peu suspect de mansuétude envers Pétain.
- Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Lucien Rebatet (préface de Nicolas d’Estienne d’Orves), Gallimard, 2005, 30 p.
- Texte de cette lettre (la date, s’il y en a une, n’apparaît pas sur le fac-similé du document) : « Cher Confrère. Je me suis jeté, vous l’imaginez, sur votre vitriolique petit livre, pour mon délice et mon édification sadique. Comme tout cela est beau, total, surabondant de perfection infectieuse ! Il est impossible qu’un tel organisme s’en relève. Il doit tout crever d’abord et renaître s’il peut, s’il se peut. Et je doute… À vous bien amicalement. L.-F. Céline »