C’est en 1979 que je fis, le même jour, la connaissance, à Paris, de Jean-Paul Louis et de Pierre Monnier qui venait de faire paraître son Ferdinand furieux ¹. Ouvrage qui suscita un vif intérêt des céliniens, d’autant qu’il comportait plus de 300 lettres inédites. Cette correspondance vient d’être republiée dans une remarquable édition due précisément à Jean-Paul Louis, coéditeur du volume Lettres dans la Pléiade et déjà éditeur dans les Cahiers Céline de trois grandes correspondances (Canavaggia, Hindus et Paraz). C’est d’ailleurs en préparant la première édition des lettres à Paraz qu’il fit, par l’entremise d’Arletty, la connaissance de Pierre Monnier. (J’ai connu, soit dit en passant, l’expérience inverse : rencontrer Arletty grâce à Monnier.) Un des mérites de cette nouvelle édition est qu’elle rend hommage à l’éditeur néophyte qu’il fut. Brève carrière (deux ans seulement) mais où il fit preuve d’un véritable sens du livre : choix des sujets, typographie, titre, bref tout ce qui constitue le travail de l’édition. En annexe, un chapitre entier est consacré aux éditions Frédéric Chambriand (alias Pierre Monnier), avec le relevé minutieux de la vingtaine de titres publiés de décembre 1949 (Casse-pipe) à novembre 1951 ². L’aide qu’il apporta à Céline ne fut pas négligeable puisqu’il contribua à faire rééditer Voyage au bout de la nuit, et qu’il édita lui-même trois titres, dont Scandale aux abysses illustré par ses soins à la grande satisfaction de l’auteur. Dans le cas de Monnier, ce qui est notable, c’est que son admiration pour l’écrivain se doublait d’une vive estime pour le pamphlétaire. Et même d’une véritable gratitude. Il me rappela plus d’une fois que, « mobilisable » à la fin des années trente, il avait contracté une dette envers celui qui alerta ses contemporains sur les risques d’une guerre funeste (plus de 100.000 morts français en 1940). Aussi Pierre Monnier s’efforça-t-il de justifier dans Ferdinand furieux, les prises de position pacifistes de l’auteur de Bagatelles. Ce qui lui valut une semonce de François Nourissier : « Admirez Céline, ne le défendez pas ! » (Le Point, 18-24 février 1980). Vieille histoire…
Ceux qui détiennent ce livre de Monnier auraient tort de ne pas se procurer cette nouvelle édition de la correspondance. Pas seulement parce qu’elle comporte huit lettres absentes de la première édition mais aussi parce que le corpus y était souvent fautif ou approximatif, allant parfois jusqu’au contresens, et autres scories : mots et phrases omis, éléments appartenant à une lettre donnés avec une autre, etc. Tout le travail de l’éditeur a donc consisté, non seulement à élaborer un appareil critique pertinent ³, mais aussi à établir scrupuleusement le texte célinien. Ajoutons que cette correspondance, sans être aussi importante que celle reçue par Hindus, est décisive pour cerner les tensions entre Céline et le monde éditorial.
• Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Pierre Monnier, 1948-1952, Gallimard, coll. « Les cahiers de la Nrf» [Cahiers Céline n° 12], 2015, 574 p. Édition établie, présentée et annotée par Jean-Paul Louis.
- Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Âge d’homme, 2009 (2e édition). La première édition date de 1979.
- Il faut noter que ce travail avait déjà été entrepris, par Jean-Paul Louis, il y a plus de trente ans : « Frédéric Chambriand, éditeur de Céline. Description chronologique et bibliographique » in Le Lérot rêveur, n° 33, février 1982.
- C’est pourquoi on hésite à corriger ici des erreurs de détail. Relevons en deux : la maison figurant sur la photographie en frontispice n’est pas « Fanehuset » mais « Skovly ». Par ailleurs, il n’est pas exact que l’hebdomadaire Paroles françaises n’ait pas consacré « un seul article à Céline » en 1950. Voir : « Céline dans “Paroles françaises” (2) », Le Bulletin célinien, n° 376, juillet-août 2015, pp. 15-20. Parmi ces articles : une longue critique de Casse-pipe par André Thérive (reproduite dans ce numéro, pp. 21-23).