C’est confirmé: les pamphlets vont être réédités par les éditions Gallimard à la fin de cette année, voire au début de la suivante. Le préfacier en sera Pierre Assouline. Ce volume paraîtra dans les “Cahiers de la N.R.F.” ou hors collection, la décision n’est pas encore prise. Ironie du destin: cette édition reprendra l’appareil critique établi pour l’édition canadienne sortie en 2012, celle-là même contre laquelle François Gibault ferrailla lors de sa parution. À l’époque, il avait protesté contre cette initiative qui portait atteinte non seulement aux droits patrimoniaux de Lucette Destouches mais aussi au droit moral attaché à l’œuvre de Céline dont elle est détentrice. Par ailleurs, l’avocat avait fermement rappelé à l’éditeur canadien l’interdiction, sous peine de poursuites, de commercialiser cette édition en France et dans tous les pays où ces droits sont protégés — ce qui n’est pas le cas au Canada où les œuvres tombent dans le domaine public cinquante ans seulement après le décès de l’auteur.Qu’est-ce qui a donc motivé ce revirement d’attitude ? Le fait qu’il y a deux ans une réédition des Décombres se passa sans encombre a certainement joué un rôle. Mais aussi le fait que cette édition canadienne n’a guère suscité de remous outre-Atlantique : cette relative sérénité, explique François Gibault, semble traduire que l’époque est mûre pour envisager ces textes avec la distance nécessaire. Par ailleurs, le 1er janvier 2032 (la durée de 70 ans étant décomptée à partir du 1er janvier de l’année qui suit la mort de l’année de l’auteur, en années civiles pleines), les pamphlets tomberont dans le domaine public, ce qui pourrait avoir comme conséquence de voir se multiplier les rééditions sauvages. Autant imposer, avant cette échéance, une édition de référence qui fasse autorité. Une autre raison, plus prosaïque, justifierait cette réédition en France: à 105 ans, Lucette Destouches a besoin d’une assistance médicalisée 24 heures sur 24, ce qui nécessite de rémunérer trois personnes à temps plein. Or les droits d’auteurs générés par l’œuvre de Céline, essentiellement vendue en collection de poche, ne suffisent pas à financer ce personnel.Cette édition collective fera-t-elle problème ? Déjà le Conseil représentatif des institutions juives de France s’est dit hostile à cette initiative, considérant que cette réédition n’est rien d’autre qu’une « réhabilitation des idées nauséabondes de l’auteur de Voyage au bout de la nuit. » Francis Kalifat, président du CRIF, ajoute que son organisation restera vigilante quant à la mise en perspective historique ajoutée à cette réédition, tout autant qu’à la qualité de l’appareil critique. Quant aux célinistes, on sait qu’ils sont quasi tous favorables à cette réédition. En 1984, le BC avait notamment cité l’avis de Philippe Alméras, premier président de la Société d’Études céliniennes : « D’une part on a bien tort de donner à tout un secteur du corpus célinien l’attrait de l’interdit, d’autre part si cette pensée est aussi “bête”, “aberrante”, “incohérente” qu’on le dit, pourquoi ne pas l’étaler et la laisser se détruire toute seule ? ». Quant à Henri Godard, il estimait que « plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques » ¹. Dans un livre plus récent, il observait que l’amateur de Céline, découvrant aujourd’hui ces écrits polémiques, a inévitablement deux types de réactions : « Tantôt : je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir de telles horreurs. Tantôt : je n’imaginais pas qu’il y avait de si beaux passages, ou si drôles ². » Tout est dit.
- Marc Laudelout, « Tout Céline ? », Le Bulletin célinien, n° 27, novembre 1984, p. 3-4. Voir aussi infra, p. 4-8.
- Henri Godard, « Postface » à la réédition de Céline scandale, Gallimard, coll. « Folio », 1998, p. 168.