Incroyable fortune que ce texte de Jean-Pierre Richard paru, un an après la mort de Céline, dans La Nouvelle Revue Française. Il aura compté, outre une traduction italienne et japonaise, pas moins de trois rééditions (Fata Morgana, 1973, 1980 et 1991) et vient de reparaître chez un autre éditeur. Près d’un demi-siècle plus tard, l’auteur en propose une réédition revue et corrigée ¹. Mais l’argument demeure le même : la « névrose » assumée dans Voyage se mue en lâche accusation. « La seule coupable (…), ce sera donc la France, cette France de 1936 et de 1940 en laquelle Céline projette sans vergogne sa propre mythologie de la mollesse ». L’abandon (provisoire) du roman pour l’écrit de combat constitue-t-il une rupture ou une continuation sous une autre forme ? Les céliniens n’ont pas fini de débattre de cette question…
On peut aussi mettre en parallèle le destin de tel joueur d’échecs fameux à celui de Céline. C’est ce que fait un journaliste en mal de comparaison, évoquant la disparition de Bobby Fischer dont la main droite traçait, écrit-il, des traits de pure beauté mais dont « l’âme paranoïaque » ne répondait de rien : « Mêmes stigmates de malédiction, mêmes fulgurances sulfureuses, même antisémitisme forcené. Mêmes errances et mêmes exils. Son Danemark à lui, ce sera l’ex-Yougoslavie en guerre » ².
Quel eût été le sort de Céline s’il était resté en France en 1944 ? La réponse est donnée dans un livre qui vient de paraître sur l’épuration ³. L’auteur y cite une feuille clandestine, Le Père Duchesne, publiée en zone sud par le mouvement de résistance « Franc-Tireur ». Extrait d’un article paru en septembre 1943 où ce journal satirique reprenait les mâles accents révolutionnaires et épurateurs de son illustre prédécesseur : « …Bon Dieu ! Du temps de sa jeunesse, il y a cent cinquante ans, le Père Duchesne en vit pour moins que ça basculer dans le panier. Un maréchal de France, un amiral, un vice-président du Conseil, des ministres, des généraux, des chefs de police, des préfets, un prélat comme Baudrillart, un savant comme Georges Claude, des académiciens comme Bonnard, des renégats comme Doriot, des frénétiques comme Déat, des alimentaires comme Luchaire, et sous la tourbe de plume et de presse, des anciens et des modernes, Jean Ajalbert de l’académie Goncourt et de la feuille à Doriot, Drieu La Rochelle, Ramon Fernandez de la Nouvelle Revue Française et de la Gestapo, jusqu’à Céline, seigneur des égouts… (…) Quelles charrettes, citoyens ! »
Y ayant été associé, il m’est difficile de commenter le (deuxième) numéro hors série que La Presse littéraire consacre à Céline sous le titre « Voyage au bout du génie. Pour le meilleur et pour le pire » 4. Au moins puis-je en dire que le sommaire est éclectique : quatre entretiens, plusieurs articles de fond, une interview inédite de Céline, des textes documentaires, une sélection bibliographique, etc.
- Jean-Pierre Richard, Nausée de Céline, Éd. Verdier, coll. « Verdier poche », 2007, 90 p..
- Patrick Séry, « Échecs et mort de Bobby Fischer. Le fou de la diagonale », Le Nouvel Observateur, 24 janvier 2008.
- Pierre Gillieth, L’épuration ou la fin d’un monde, Éd. Pardès, coll. « Des hommes, des histoires », 2007, 124 p.
- La Presse littéraire, « Spécial Céline », n° hors série, février-mars-avril 2008, 160 p. Voir bon de commande à l’intérieur de ce numéro.