Sommaire : Entretien avec Jean Guenot – Céline dans France-Soir (1946-47) – Entretien avec Oskar Hedemann
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Inénarrable Roussin
Suspicion et mauvaise foi. C’est ce qui caractérise l’article de Philippe Roussin sur l’affaire des manuscrits retrouvés. Il tance les ayants droit et loue le receleur. Selon lui, il n’y eut d’ailleurs pas de recel puisqu’il n’y eut pas de vol ! Explication : les manuscrits furent « abandonnés » [sic] par Céline. Spécieux. Tout juste si Roussin ne le suspecte pas d’avoir laissé ouverte la porte de son appartement lorsqu’il s’enfuit le 17 juin 1944. Peu importe que celui-ci ait écrit : « On ne va rien toucher à l’appartement on reviendra… l’on ne peut pas dire que l’on ne reviendra jamais. » Si Céline avait été propriétaire (et non locataire) de l’appartement rue Girardon, Roussin serait-il aussi péremptoire ? Ce qui l’insupporte, c’est que, dans cette affaire, l’écrivain soit considéré comme un volé, et donc une victime. Logique : si l’écrivain n’a pas été volé, les ayants droit n’avaient aucune raison d’ester en justice. Ce que Roussin omet soigneusement de préciser, c’est que si François Gibault et Véronique Chovin ont déposé plainte, c’est parce que Thibaudat refusait obstinément de restituer ces manuscrits qui leur appartiennent. Et entendait décider seul de leur sort : en l’occurrence, en faire don à l’Institut Mémoire de l’Édition (IMEC) dont il est proche. Par ailleurs, le fait que ce recel ait privé Lucette d’une joie certaine ne préoccupe nullement Roussin. Pas davantage le fait qu’à la fin de sa vie, elle avait un pressant besoin d’argent, ayant à rémunérer plusieurs personnes qui s’occupaient d’elle en permanence. Thibaudat, lui, se considérait comme le dépositaire des manuscrits, ce qui l’a autorisé à les garder par devers lui pendant des années. Le conseil des ayants droit, Jérémie Assous, n’a pas tort de dire que le journaliste de Libé est comparable à quelqu’un qui aurait gardé pendant des décennies dans son salon une toile de maître volée. Mais, de toute évidence, le droit moral et patrimonial des héritiers, Roussin n’en a cure. Mieux : il leur fait un procès d’intention en subodorant qu’ils pourraient garder sous le boisseau des textes compromettants, ce qui est saugrenu, connaissant l’objectivité du biographe qu’est Gibault. Roussin, auteur d’un livre sur Céline de 800 pages, a-t-il jamais éprouvé pour l’écrivain « une admiration sans bornes », à l’instar de Taguieff et Duraffour qui nous firent cette confidence dans leur livre obèse ? Sûrement pas. On comprend même, entre les lignes, que Céline ne mérite pas, selon lui, le statut de « plus grand écrivain français du XXe siècle » qu’on lui accorde généralement. Et de citer complaisamment l’appréciation de Houellebecq qui le considère comme « un auteur ridiculement surévalué ». Venant de la part de quelqu’un dont le style est aussi plat qu’une limande, cela prête à sourire. Quant à Roussin, il estime qu’il faut rendre grâce à ceux qui ont “recueilli” ces manuscrits pendant des décennies. Et qu’il faut, en revanche, juger âprement les ayants droit qui ont eu le front de déposer plainte. Il importe surtout de condamner, une fois encore et toujours, les fautes dont Céline s’est rendu coupable. Et de ressasser ad libitum les éléments du procès qui lui est intenté depuis près de 80 ans. C’est qu’il s’agit pour Roussin de conjurer « le mauvais vent d’hiver maurrassien de l’époque ». De la part d’un fonctionnaire, on pouvait s’attendre à davantage de réserve. L’ironie de l’histoire étant que cet article soit publié sur un site internet placé sous l’égide de Maurice Nadeau qui prit fait et cause pour Céline lorsqu’il était exilé.
• Philippe ROUSSIN, « Déshonneur et patrie : retour sur l’affaire Céline », En attendant Nadeau, 15 décembre 2021 [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/12/15/deshonneur-patrie-affaire-celine]
Vient de paraître
Sommaire : Classement sans suite pour Thibaudat – Fantasmes et travail éditorial – L.-F. Céline : les derniers secrets – Céline dans France-Soir (1944-1945) – Catherine Rouayrenc nous a quittés – Almansor, ou le secret de famille. Les origines de Lucette Destouches.
Les années noires
L’expression « les années noires » désigne généralement les années d’occupation allemande durant la dernière guerre mondiale. On songe, par exemple, au Journal des années noires, 1940-1944 de Jean Guéhenno. Pour Céline, les années noires correspondent à l’exil, d’abord en Allemagne, puis au Danemark. La fin du bonheur, comme dit l’un de ses biographes. La période la plus éprouvante étant naturellement son arrestation survenue en décembre 1945, suivie d’une détention qui se prolongea jusqu’en janvier 1947. Aussi est-ce bien opportunément que Christophe Malavoy titre son dernier opus, L.-F. Céline. Les Années noires. Superbement illustré par José Correa, cet album s’avère le cadeau idéal à offrir en cette période de fêtes. En tout cas à ceux qui aimeraient en savoir plus sur cette partie de la vie de l’écrivain. Célinien patenté, Malavoy nous avait déjà montré sa bonne connaissance de la biographie avec un livre paru l’année du cinquantenaire de la mort. Ce qui surprendra, voire heurtera, certains, c’est que le texte soit ici rédigé à la première personne, l’auteur empruntant la voix, sinon le style, de Céline. Cette initiative ne peut que susciter la perplexité puisque l’écrivain a lui-même narré cette partie de sa vie dans les derniers romans. Pourquoi dès lors paraphraser un écrivain de cette envergure en étant, nécessairement, en deçà de l’original ? Sur cette période, on aurait pu, tout aussi bien, choisir des extraits de l’œuvre qui eussent été en harmonie avec l’iconographie. Mais, après un temps d’adaptation, le lecteur se laisse prendre par le flux du récit, Malavoy réussissant, comme le comédien professionnel qu’il est, à endosser le rôle sans jamais verser dans la parodie. Ce qui est notable, c’est l’absence d’erreur factuelle. Lorsque c’est le cas, c’est à la suite de céliniens éminents. Ainsi, Céline n’a jamais songé à intituler l’une de ses œuvres Maudits soupirs pour une autre fois (p. 114). Comme cela a été rappelé ici – Nabe ayant récemment commis la même erreur –, c’est suite à une faute de lecture que deux titres envisagés par Céline furent amalgamés : “Au vent des maudits” et “Soupirs pour une autre fois”. Et c’est sous ce titre fallacieux qu’une version primitive de Féerie parut en 1985. Les autres erreurs relèvent vraiment du détail¹.
Comme les lecteurs du Bulletin le savent, José Correa est actuellement le meilleur portraitiste de Céline. C’est aussi un aquarelliste de talent comme en attestent les illustrations en couleurs qui figurent dans cet ouvrage. Lequel n’apprendra rien aux célinistes. Mais cet ouvrage leur est-il destiné ? Il s’adresse plutôt au grand public s’intéressant à Céline et ignorant des conditions de l’exil et du procès. Ce livre offre surtout la particularité d’être en empathie avec son sujet, ce qui, dans le cas de Céline, est suffisamment rare pour être relevé.
• Christophe MALAVOY & José CORREA, L.-F. Céline. Les Années noires, Les Éditions de l’Observatoire, 2021, 245 p. (22 €). Un second tome, racontant les dix années ultérieures, Le Misanthrope de Meudon, est en préparation.
- Ainsi (p. 232), Céline n’a pu converser avec Tixier-Vignancour depuis son lit puisqu’il n’y avait pas le téléphone ni à Skovly, ni à Fanehuset. L’écrivain téléphonait soit chez son avocat Mikkelsen, soit chez Petersen, le régisseur du domaine. Quant au livre de Milton Hindus, il est paru en 1950 (et non en 1949). En France, sa traduction parut l’année suivante et l’édition augmentée de la correspondance en 1969 (p. 199). Autre détail bibliographique : l’un des pamphlets (Bagatelles pour un massacre) a bien été réédité en 1942 mais aussi à l’automne 1943 (p. 245). Comme on le voit, il s’agit de vétilles…
Vient de paraître
Sommaire :Entretien avec Henri Godard – Céline vu par un journaliste nazi [1943] – François Gibault nous écrit – Céline parmi les maudits – Du voyage au bout de l’Enfer de Dante au Voyage au bout de la nuit de Céline
Renoir et Céline
Il est toujours divertissant de voir des intellectuels qui furent partisans d’un ordre totalitaire (communiste, puis maoïste) s’ériger en contempteurs des turpitudes idéologiques de Céline. La virulence de ces anciens commissaires politiques, jadis animateurs d’un “Front Culturel Révolutionnaire”, ne le cédait en rien à celle du pamphlétaire. Ainsi de Jean Narboni (1937), ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma à la pire époque de leur histoire. Il signe un petit livre, La grande illusion de Céline, s’apparentant davantage au libelle qu’à l’essai¹. Il y aurait pourtant des choses intéressantes à écrire sur la relation ambivalente de Renoir à Céline. Lequel avait détesté, comme on sait, le chef-d’œuvre de celui qui était son exact contemporain. Le film sortit sur les écrans la même année que Bagatelles où il fut étrillé pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le cinéma. Cela n’empêcha nullement Renoir de clamer son admiration à Céline. Pas seulement pour ses deux premiers romans mais aussi, plus tard, pour D’un château l’autre qualifié d’« épopée prodigieuse »². Il voulut même adapter Voyage au cinéma avant d’en être dissuadé par le producteur Pierre Braunberger.
Narboni pratique le billard à trois bandes : pour mieux accabler Céline, il épingle Armand Bernardini, et surtout George Montandon qui eut les mêmes phobies racialistes mais à un degré plus avancé. Le témoignage du fils (alors adolescent) du metteur en scène dépeignant, début 1938, un Céline menaçant Renoir du peloton d’exécution quand les Allemands seront là, se veut accablant. Vraisemblable alors qu’il voulait précisément empêcher un conflit jugé fratricide ? Testis unus, testis nullus… On n’ose pour autant qualifier ce témoignage de douteux. …Douteux ? C’est l’adjectif qu’utilise, par antiphrase, l’auteur pour caractériser le patronyme de Lucette Almansor, s’étonnant que Céline « ne semble pas s’en être avisé ni inquiété » (!). S’il connaissait mieux son sujet, il n’aurait pas subodoré « un lointain ancêtre arabe » et saurait que le bisaïeul de Lucette, Émile Almansor (1828-1897), enfant trouvé par la portière de l’hospice de Mortagne-au-Perche, fut ainsi dénommé par l’adjoint au maire, sans doute inspiré par ses lectures ou une page du dictionnaire³. Nulle origine arabe donc. Celle-ci ne préoccupait d’ailleurs nullement son époux : il pensait benoîtement qu’elle expliquait le goût de sa femme pour les danses orientales et espagnoles. Mais peut-on reprocher à Narboni de ne pas s’être sérieusement documenté, lui qui ne reconnaît même pas Lucette sur une photo où Céline « parle avec une femme au turban » ? Sur le parcours sinueux de Renoir, il y aurait eu bien des choses à rappeler. Après avoir été proche des anarchistes du groupe Octobre et de la bande à Prévert, il fut compagnon de route du PCF sous le Front populaire avant d’aller tourner un film dans l’Italie fasciste à la veille de la guerre, puis de faire, vainement, des offres de service à Vichy. Déçu, il s’exila, comme on sait, en Amérique où son admiration pour Céline demeura intacte4. « Je l’aime parce qu’il est passionné », disait-il.
• Jean NARBONI, La grande illusion de Céline, Éd. Capricci, 2021, 140 p. (17 €)
- Des bonnes feuilles du livre ont paru dans L’Infini (n° 147, printemps 2021) dirigé par Philippe Sollers.
- Émission « Bibliothèque de poche [Les livres de ma vie : Jean Renoir] », O.R.T.F., 14 septembre 1966.
- Gaël Richard, Dictionnaire des personnages dans l’œuvre romanesque de Louis-Ferdinand Céline, Du Lérot, 2008, pp. 30-31. L’auteur précise : « Les registres de l’État civil de la ville normande comptent de 1823 à 1832 un bon nombre de déclarations d’enfants trouvés et inscrits sous des patronymes empruntés à l’histoire, à la littérature et à l’opéra : Ajax, Alexandre, Almansor, Alphée, Amadis, Ambroise, Armide, Attala… »
- Marc Laudelout, « Jean Renoir et Céline », Le Bulletin célinien, n° 335, novembre 2011.