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Vient de paraître

Sommaire : Isak Grünberg, premier traducteur de Céline en allemand [II] – Christian Prigent et Céline – Quand André Balland voulait rééditer les pamphlets – Charles-Antoine Cardot nous a quittés – Céline dans Les Lettres françaises (suite) – Henri Guillemin face à Céline – Nos amis écrivent…

Céline et le cinéma

Le livre part d’un constat : tous les classiques de la littérature ont un jour été portés à l’écran. …Sauf Voyage au bout de la nuit. Émile Brami, qui connaît bien le sujet pour l’avoir déjà traité dans la revue Études céliniennes, lui consacre un petit volume illustré d’une quarantaine de photographies. Dans la première partie, il retrace toutes les tentatives avortées d’adaptation au cinéma. La presse des années trente est truffée d’échos comme celui-ci :

« Louis-Ferdinand Céline est parti mercredi pour l’Amérique par le Champlain. L’auteur de Voyage au bout de la nuit est attendu par les milieux littéraires de New York où la traduction de son livre connaît un vif succès. De là, L.-F. Céline partira par avion pour Hollywood afin de s’occuper de la mise en scène de son ouvrage dont Jacques Deval vient de négocier l’adaptation avec une firme d’éditions cinématographiques » (Le Populaire, 22 juin 1934).

Hélas pour Céline, ce projet ne verra pas le jour.  Mais sans doute en est-il mieux ainsi. Michel Audiard, qui caressa longtemps l’espoir d’adapter Voyage, se félicitait finalement que le film n’eût jamais vu le jour : « …La littérature à ce niveau-là, on ne peut que saloper le coup. » La force et l’originalité du roman vient en effet de son écriture, d’où la difficulté de la transposition. Les autres livres de Céline n’ont pas davantage été adaptés à l’écran. Or, comme le rappelle l’auteur, les tentatives furent nombreuses : de Fellini à Leone en passant par Gance, Duvivier, Autant-Lara, Godard, Pialat, Dupeyron et tant d’autres. Émile Brami se penche sur les raisons qui rendent toute adaptation de Voyage périlleuse, ainsi que sur la possibilité d’adapter les autres romans de l’auteur. Restent les transpositions visuelles alternatives, telle la bande-dessinée même si les tentatives ne furent pas toujours concluantes. Jacques Tardi opta d’ailleurs pour l’illustration alors qu’antérieurement il adapta avec bonheur d’autres romans. Ce dont on est certain c’est que Céline, lui, avait tiré les leçons du cinéma : « Les écrivains d’aujourd’hui ne savent pas encore que le cinéma existe !…  et que le cinéma a rendu leur façon d’écrire ridicule et inutile… péroreuse et vaine !… (…) leurs romans ne sont plus que des scénarios plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !… »  On sait qu’il appréciait surtout le cinéma muet.  Cela remontait à l’époque où sa grand-mère, Céline Guillou, l’emmenait voir Le Voyage dans la lune de Méliès. Il révérait aussi Max Linder, Buster Keaton et Chaplin (celui d’avant le cinéma parlant). Plus tard, il fréquenta le milieu du cinéma au point de faire une figuration dans un film de Jacques Deval, Tovaritch (1935), tiré de sa pièce éponyme. Deux ans plus tard, l’auteur de Bagatelles pour un massacre polémiquait avec Jean Renoir dont il détestait La Grande Illusion ainsi que, d’une manière générale, le progressisme bêtifiant que l’on retrouve dans les films français des années trente. C’est aussi dans ce pamphlet que l’on trouve un portrait féroce, “avant la lettre”, de Harvey Weinstein, figure emblématique de ce que Céline nommait « Hollywood la juive ». Émile Brami cite d’ailleurs un large extrait de Bagatelles qui en témoigne. C’est dire si son livre est exhaustif.

• Émile BRAMI. Louis-Ferdinand Céline et le cinéma (Voyage au bout de l’écran), Écriture, 2020, 208 p., ill., index des noms cités.
On regrette l’absence d’une bibliographie qui recenserait les études antérieures sur le sujet, dont celles d’Éric Mazet (Études céliniennes, 2009 & L’Année Céline 2013 & 2014), d’Alain Cresciucci (Céline à l’épreuve,  2016) et d’Alain et Odette Virmaux (Cinématographe, novembre 1986).

Vient de paraître

Sommaire : L’éternel retour des maudits – Céline (et quelques autres) dans les premiers numéros des Lettres françaises (1942-1949) – Actualité célinienne

Censure

La question de la réédition des pamphlets est (en partie) réglée puisqu’on dispose de l’édition critique sortie au Québec en 2012. Le paradoxe étant que, pour une question de copyright, cette édition est à la fois interdite à la vente en France et louée par l’exécuteur testamentaire qui était même disposé à la republier chez Gallimard. Différentes associations ont fait capoter le projet. Il est navrant qu’un céliniste de renom se soit associé à cette censure. Sa péroraison consista à affirmer qu’il est superflu que ce corpus soit accessible ¹. En d’autres termes, ce spécialiste trouve parfaitement normal qu’il soit commenté dans des ouvrages de toutes sortes et en même temps qu’il demeure inaccessible au plus grand nombre. Il n’est pas le seul à côtoyer l’absurde. Sur une radio communautaire, un chroniqueur a eu cette phrase mémorable : « Il ne faut pas interdire les pamphlets mais il ne faut pas les publier non plus. ² » Le cas Céline n’est pas isolé. D’une manière générale, la censure en France gagne du terrain. Au nom de la morale, du féminisme, de l’antiracisme ou d’une nouvelle lecture de l’Histoire, certains prétendent s’interposer entre le public et les œuvres, s’arroger le droit de juger, de contextualiser ou d’interdire, comme s’il fallait guider nos choix. On constate également ce phénomène aux États-Unis où des minorités agissantes veulent interdire des livres, des films ou des conférences. La différence étant que, dans ce pays, la liberté d’expression (free speech) est protégée par le premier amendement de la Constitution. Alors qu’en France plusieurs lois encadrent cette liberté. On en arrive à cet autre paradoxe : le président de la République française a récemment rappelé le droit au blasphème alors qu’au même moment l’auteur de La Mafia juive et autres brûlots du même genre se voyait condamné à plusieurs mois de prison ferme pour délit d’opinion ³. Condamnation inconcevable aux États-Unis où l’on ne peut incarcérer quiconque pour ses idées,  aussi scandaleuses soient-elles. C’est dire si en démocratie deux conceptions différentes de la liberté d’expression peuvent exister. Le céliniste opposé à la réédition des pamphlets a décrété que « l’actualité de Céline n’est plus aujourd’hui d’ordre littéraire (comme elle l’a été dans les années 1980, avec la publication des romans dans la Bibliothèque de la Pléiade, la multiplication des essais critiques et des thèses universitaires) mais d’ordre politique ». C’est feindre d’ignorer que depuis ces années 80, Céline a continué à être édité dans cette collection prestigieuse (Féerie dans la décennie suivante et la correspondance en 2009) et que les études universitaires le concernant n’ont pas cessé de proliférer – à commencer par la sienne 4. La preuve que le cas Céline n’est plus littéraire mais politique est attesté, selon lui, par l’émoi suscité lors de la commémoration (prévue puis annulée) du cinquantenaire de Céline en 2011. Encore aurait-il fallu rappeler que ce retrait fut provoqué par une campagne de presse bien orchestrée. La même que celle visant, il y a deux ans, à tuer dans l’œuf l’initiative de Gallimard et de l’ayant droit.
  1. Philippe Roussin, « Du rire au politique : de la bagatelle au massacre » in Céline et le politique (Actes du XXIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline, SEC, 2018.
  2. Dixit Shlomo Malka dans son émission « Pont Neuf » sur Radio J, le 7 février 2020, qui avait pour invité Guy Konopnicki, auteur de… Il est toujours interdit d’interdire (Éd. Impact, 2020).
  3. Déclaration de l’avocat franco-israélien Gilles-William Goldnadel : « J’ai le plus grand mépris pour M. Ryssen qui me le rend bien. Mais en matière de délit d’expression, rien ne justifie que l’on se retrouve en prison [sic]. »  (Breizh-Info, 25 septembre 2020). D’aucuns y ont vu de la duplicité.
  4. Philippe Roussin, Misère de la littérature, terreur de l’histoire (Céline et la littérature contemporaine), Gallimard, coll. « Nrf Essais », 2005, 768 pages.

La bibliothèque de Céline

Si vous êtes un célinien patenté, Laurent Simon n’est pas un inconnu. En marge de la cohorte des exégètes qui se regroupent lors de savants colloques, ce passionné est l’homme des grands chantiers qu’il arpente généralement en solitaire. Après nous avoir donné un monumental Dictionnaire des lieux de Paris et de sa banlieue cités par L.-F. Céline dans son œuvre (2016),  c’est cette fois avec Jean-Paul Louis qu’il signe un non moins monumental Dictionnaire des écrivains et des œuvres cités par Céline dans ses écrits et ses entretiens. Les deux auteurs ont œuvré avec une même conception du discours critique : se garder de porter un jugement moral ou idéologique sur l’écrivain. Ni pour, ni contre mais avec.On imagine la somme de travail que cette initiative a requise. Que Céline les ait lus ou pas, aimés ou détestés ou simplement cités, il a fallu recenser tous les titres et auteurs mentionnés par lui, mais aussi lire tous ces livres, en donner la teneur et voir le prolongement éventuel qu’ils ont dans son œuvre ou sa biographie.

« Il était très cultivé. Il avait énormément lu, avait beaucoup retenu et savait beaucoup de choses, presque sur tout », disait l’un de ses proches. Publiquement Céline s’est peu confié sur ses lectures. Lui rendant visite à Montmartre, un confrère évoquait « les bouquins dissimulés comme chez de vieux paysans qui lisent, mais croiraient se révéler dangereusement en laissant connaître leurs lectures. »  Durant sa vie professionnelle ainsi que les dernières années, il dira n’avoir pas le temps de lire. Ce qui était alors vrai ne le fut pas à d’autres périodes : Londres (où il lit Hegel, Fichte, Nietzsche et Schopenhauer !),  l’Afrique et naturellement le Danemark, en particulier les dix-huit mois de réclusion. Si à la fin de sa vie, il cite invariablement Barbusse, Morand et Ramuz pour la raison que l’on sait, il a bien d’autres admirations : Vallès (« l’homme de tous les écrivains que j’admire le plus ») et, pour les anciens, Villon, La Fontaine ou Chateaubriand. Parfois son jugement évolue avec le temps. Le cas le plus notable est évidemment Proust tant daubé dans les années trente et suivantes. Et qualifié de « dernier grand écrivain de notre génération » à la fin.  Ces évolutions sont prises en compte dans ce dictionnaire dont la lecture constitue un régal tant les commentaires donnent à réfléchir sur la complexité d’un homme que certains ont trop vite qualifié de fruste. Se dessine, au contraire, le portrait de quelqu’un de cultivé et – lorsqu’il n’est pas aveuglé par ses phobies – de perspicace. Ce dictionnaire, merveille de précision et de rigueur, constitue une contribution capitale à la connaissance d’un écrivain qui a beaucoup lu et beaucoup retenu. Ouvrage de référence sur les sources et lectures de l’écrivain, il est appelé à figurer dans la bibliothèque de tout célinien digne de ce nom.

• Laurent SIMON & Jean-Paul LOUIS, La Bibliothèque de Louis-Ferdinand Céline (Dictionnaire des écrivains et des œuvres cités par Céline dans ses écrits et ses entretiens), Du Lérot, 2020, 2 volumes de 376 et 384 p., ill.

  Deux précisions : a) il est erroné d’écrire qu’André Thérive « ne fit que quelques allusions à Céline » dans l’hebdomadaire Paroles françaises puisqu’il fut, en 1950, l’un des très rares critiques à consacrer un grand article à Casse-pipe (repris dans le BC de juillet-août 2015) ; b) Il existe une photographie (fonds Sygma) de l’écrivain debout devant sa bibliothèque à Meudon (reproduite en 1979 dans le supplément iconographique de feu La Revue célinienne). Sur l’original de ce cliché (que nous n’avons malheureusement plus), on distingue nettement plusieurs titres. Il s’y trouve notamment plusieurs ouvrages médicaux et un livre de… Roger Vailland (!).