Sommaire : Céline et Gide – András Hevesi, premier traducteur de Céline en hongrois (2e partie) – L’Éternel féminin dans Voyage au bout de la nuit
Archives de l’auteur : Marc
Berl et Céline
Ses relations avec Céline furent pour le moins étonnantes. Lorsque parut Bagatelles pour un massacre, il publia un article dans lequel il relevait que « le lyrisme emporte dans son flux la malice et la méchanceté ». Et d’ajouter : « Juif ou pas juif, zut et zut ! j’ai dit que j’aimais Céline. Je ne m’en dédirai pas ¹. » Un an plus tard, son libéralisme l’incita à condamner l’abus de censure que constituait, à ses yeux, le décret Marchandeau ² qui visait notamment les pamphlets céliniens. Il acceptait, en effet, l’idée de l’antisémitisme politique. Comme le lui reprochait son ami Malraux, il n’avait pas le sens de l’ennemi. Ce qu’il reconnaissait volontiers : « La haine n’est pas mon fort. » La mansuétude dont il fit preuve envers Céline n’était pas un cas particulier si l’on en juge par ces lignes : « Je suis persuadé que son cœur est pur de haine et que la provocation au meurtre fut toujours chez lui, figure de rhétorique. Les Juifs le croient antisémite Ils ont tort. Maurras n’est pas antisémite parce qu’il aime la Raison et qu’il n’est pas démagogue. Il ne vous reproche d’être juif que si vous ne dites pas comme lui… ». Aveuglement ? Libéralisme poussé jusqu’à l’outrance ? Les deux, sans doute… Après la guerre, il considéra que le racisme fut une formidable épidémie des années trente : « On ne parle pas avec indignation d’une épidémie. » Il dira à Bernard Morlino qu’il faut passer l’éponge sur Bagatelles pour ne retenir de Céline que l’inventeur d’un nouveau langage. Mais que restera-t-il de Berl ? Non pas ses pamphlets contre l’esprit bourgeois ou ses essais historiques, mais deux superbes récits parus après la guerre, Sylvia (1952) et Rachel et autres grâces (1965), sortes de confession d’un homme en quête de lui-même. Il rejoint ainsi Céline qui, après la guerre, rejetait la littérature des idées pour ne valoriser que celle où l’émotion prime.
• Emmanuel BERL, Prise de sang (présentation et bio-chronologie de Bernard Morlino ; postface de Bernard de Fallois), Les Belles Lettres, coll. “Le goût des idées”, 2020 (13,90 €)
- Article reproduit dans Le Bulletin célinien, n° 390, novembre 2016. Voir aussi Robert Le Blanc, « Céline et les hommes de Marianne (Berl, Malraux, Fernandez) », Le Bulletin célinien, n° 361, mars 2014.
- Ironie de l’histoire : sous l’Occupation, ce député radical-socialiste soutiendra Pétain et la Révolution nationale.
Vient de paraître
Sommaire : La Société d’études céliniennes à la croisée des chemins – Mirabeau devancier de Céline – Céline dans Candide (2e partie, 1937-1944)
Littérature et pamphlets
• Jean-Charles HUCHET. La joie haineuse (Le moment pamphlétaire de Louis-Ferdinand Céline), L’Harmattan, coll. “Espaces littéraires”, 2020, 302 p.
Vient de paraître
Sommaire : András Hevesi, premier traducteur de Céline en hongrois – Céline dans Candide (1932-1936) [première partie]
Rimbaud et Céline
Dans cette épatante collection « Bouquins », vient de paraître la réédition de la biographie de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère (1954-2000). Cet hématologue le jour et biographe littéraire la nuit s’était essentiellement intéressé aux écrivains du XIXe siècle. Il est aussi l’auteur d’une biographie de Laforgue et de Lautréamont tout aussi érudites que celle-ci. À la fin de sa vie, il s’était attelé à une biographie de Céline qui ne restera malheureusement qu’à l’état d’ébauche (environ 200 pages). Il avait même fait le voyage au Cameroun pour prendre des notes sur place et voir ce qu’il y était possible de trouver. Son idée était de s’attaquer à l’un des auteurs les plus emblématique du XXe siècle, après avoir traité d’auteurs mythiques du siècle précédent. Il avait prévu trois volumes de 1500 pages chacun ! Hélas la maladie a cruellement eu raison de lui. Cette biographie aurait été passionnante et riche en découvertes tant Lefrère avait le culte des archives et de la recherche. Il avait déjà rassemblé une grande documentation, s’intéressant à tous les personnages secondaires qui avaient croisé Céline. Aussi était-il un peu écrasé par la masse de travail. Il insistait aussi sur le fait que, médecin lui-même, il avait une sorte de proximité avec le docteur Destouches. Cette recherche effrénée de la documentation se faisait parfois au détriment de l’essentiel : dans sa biographie de Rimbaud (qui compte plus d’un millier de pages), le poète s’évapore sous la masse de détails. Tout le contraire de la conception d’Henri Godard qui, pour sa biographie de Céline, fit sien ce propos de Malraux : « La biographie d’un artiste c’est sa biographie d’artiste. » À l’occasion de cette réédition, j’ai constaté que les querelles entre rimbaldiens sont au moins aussi vives que celles entre céliniens. Ce qui me rappelle cette plaisante réflexion de René-Louis Doyon à propos d’une autre confrérie : « On sait que les stendhaliens, plus que tous autres spécialistes, forment une gens susceptible, chatouilleuse, jalouse de leurs os médullaires et ne pardonnant à personne d’en analyser la substance, les accidents, les particularités, surtout si on ne fait point partie de cette communion tacite… »
Céline n’était pas un lecteur passionné de Rimbaud, lui préférant dans ce domaine les poètes du XVIe siècle, Louise Labé, du Bellay ou Ronsard. Mais il l’avait bien lu, comme en témoigne une lettre à son traducteur anglais dans laquelle il cite de mémoire des vers de la « Chanson de la plus haute tour¹ ». Dans une étude savante, une universitaire discerne ici et là dans l’œuvre célinienne l’empreinte rimbaldienne, une sorte de filiation cachée ². Ainsi, le prologue de Mort à crédit est vu comme une réécriture minutieuse des lettres dites du « Voyant », « Alchimie du verbe » ou « Nuit d’enfer ». C’est un peu poussé mais procure de surprenantes illustrations, non pas de la notion d’intertexte, mais de « compagnonnage » (Rimbaud-Céline) qui donnent à rêver. Ce qui paraîtra, en revanche, tangible, c’est l’affirmation de Céline qui assurait connaître la raison du départ de Rimbaud en Afrique : « Il en avait assez de tricher. (…) Il y a une hantise chez le poète de ne plus tricher. » L’alternative étant, comme on sait, de « mettre sa peau sur la table ».
• Jean-Jacques LEFRÈRE : Arthur Rimbaud (biographie), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1408 pages (32 €)
- Éric Mazet, « Céline et Rimbaud », Études céliniennes, n° 1, automne 2005, pp. 68-71.
- Suzanne Lafont, Céline et ses compagnonnages littéraires. Rimbaud, Molière, Lettres modernes-Minard, 2005.