Sommaire : Gros titres et petits articles dans Ce soir en 1946 – Le paradoxe juif de Céline – Les souvenirs de Frédéric Monnier – Céline sur les traces de Balzac à Meudon.
Archives de l’auteur : Marc
Opprobres
Le savez-vous ? Il existe une « rue Staline » dans l’Aisne et plusieurs « rues Lénine » un peu partout en France. Quant aux « rues Louis Aragon », qui chantait dans les années trente “ le Guépéou nécessaire de France ”, elles sont légion. Mais ce n’est assurément pas demain la veille qu’il y aura une rue Céline…
En octobre dernier, le maire de Camaret-sur-Mer (Finistère) eut l’idée de dénommer un modeste chemin communal « rue Louis-Ferdinand Céline ». L’adjoint au maire a aussitôt annoncé qu’il voterait contre cette proposition. Le maire s’est incliné et une autre dénomination a été choisie. Coïncidence : c’est à Camaret que se trouvait jusqu’il y a peu une plaque apposée sur une maison où se rendait fréquemment Céline avant l’exil. Elle appartenait à la mère de l’épouse de Henri Mahé. C’est à la demande du peintre que la décision d’apposer cette plaque fut votée en 1968 par la municipalité (de gauche). Afin de ne pas être importunés (?) par des céliniens, les nouveaux propriétaires ont décidé de l’enlever. De telle sorte qu’à notre connaissance il n’existe en France aucune rue ni plaque rappelant le souvenir de l’auteur du Voyage au bout de la nuit. Exception faite naturellement de routes ou chemins privés. Ce qui s’est passé à Camaret rappelle les remous suscités il y a trente ans par l’initiative du conseil municipal de Montpon-Ménestrol (Dordogne) qui avait également pris la décision de donner le nom de Céline à une rue de la commune. Là, ce sont les protestations d’un comité d’anciens combattants qui firent capoter le projet. En 1985, la Préfecture de Paris retira sans aucune explication l’autorisation qu’elle m’avait accordée pour l’apposition d’une plaque commémorative rue Girardon. Rebelote sept ans plus tard lors d’une nouvelle tentative, cette fois en collaboration avec l’association « La Mémoire des lieux » dirigée par Roger Gouze, beau-frère du Président de la République d’alors. En raison de pressions diverses, cette association me communiqua de manière lapidaire que l’apposition de la plaque était remise sine die. La tentative de faire apposer une plaque sur le domicile qu’occupa, au mitan des années vingt, le docteur Louis Destouches à Champel dans la banlieue de Genève se heurta cette fois au refus du propriétaire suite aux échos parus dans la presse. Au début des années 90, la décision de classer la maison de Meudon comme « lieu de mémoire » fut prise par le ministre de la Culture avec l’appui de plusieurs écrivains dont Sollers, Rinaldi et Gracq. Suite aux protestations du CRIF, ce fut, cette fois, le préfet de la région d’Île-de-France qui décida de ne pas donner son aval au projet. Plus récemment, un autre Ministre de la Culture décida, suite aux protestations d’une association analogue, de retirer Céline des « Célébrations nationales ». Il y avait été inscrit pour le 50e anniversaire de sa mort. Heureusement le ridicule ne tue pas : à la même époque, le maire de Strasbourg décida, suite aux protestations d’un administré, de retirer une citation de Céline (extraite de Rigodon) qui avait été apposée sur la porte des toilettes de la nouvelle médiathèque. Il existe paradoxalement des céliniens qui se réjouissent de cette série de rebuffades, estimant que cela montre à l’envi que Céline est un écrivain vivant. Quant à la villa « Maïtou », on sait qu’avant d’être vendue à terme (à l’un des voisins) avec droit d’usage d’habitation (pour Lucette), le Ministère de la Culture, pressenti, fit savoir qu’il ne souhaitait pas l’acquérir. La “Direction des Patrimoines” renchérit en soulignant que « Céline n’y a vécu qu’une dizaine d’années ». Stéphane Bern, chargé de mission dans ce domaine, estime, lui, qu’il faut éviter que cette maison devienne « un lieu de pèlerinage ». Et c’est ainsi que rien ne se fera…
Vient de paraître
Sommaire : L’intelligence du cœur – Celle qui sauva la vie – Ma rencontre avec Céline – La première interview – Du côté de Lili – Droite, souple, légère… – Fidélité et dévouement
Lucette
Lucette Destouches s’est éteinte à 107 ans dans la nuit du 7 au 8 novembre. Le 14, elle a été inhumée au vieux cimetière de Meudon dans la plus stricte intimité. Véronique Robert et François Gibault conduisaient le deuil, entourés, comme Lucette l’avait souhaité, d’un petit groupe d’intimes, dont Sergine Le Bannier, Frédéric et Nicole Vitoux, Dominique Charnay, Antoine Gallimard et quelques autres amis. François Gibault, qui fut son conseil et confident pendant un demi-siècle, prononça une émouvante allocution dont voici un extrait :
« Nous sommes avec toi Lucette, à l’instant où, pour l’éternité, tu rejoins Céline, l’homme que tu as tant aimé, admiré, aidé, secouru, les beaux jours comme au temps des pires épreuves, l’un des plus grands, sinon le plus grand écrivain français du siècle passé. Tu l’as protégé, défendu de son vivant comme depuis sa mort en 1961, parfois dans des conditions très difficiles pour ne pas dire dramatiques, avec une intelligence, un courage, une constance, qui ont fait l’admiration de tous. Tu as illuminé la vie de Céline comme tu as illuminé les nôtres, admirable en toutes circonstances et, pendant toutes ces dernières années, luttant contre le grand âge, le très grand âge, avec une force d’âme, avec un optimisme, une énergie hors du commun, mais aussi sereinement, pour ne pas dire joyeusement, comme en toutes les autres circonstances de ta vie, y compris les plus tragiques, nous donnant à tous une formidable leçon d’optimisme, de courage et de dignité. »
Mais celui qui lui a dressé le plus bel hommage est Céline lui-même. Certes il n’était pas tous les jours facile à vivre. Et il savait bien qu’il pouvait être parfois très dur, pour s’en repentir ensuite, comme il le fit avec sa mère qu’il rudoya plus d’une fois. En témoigne ce chef-d’œuvre si peu lu qu’est Féerie pour une autre fois. Y abondent aussi les éloges à celle qui jamais ne l’abandonna : « J’ai été pris par les ennuis, la vie courante, le petit bonheur, le bien et le pire… Pour Lili j’ai eu de la veine. » C’est le moins qu’il pouvait écrire… L’imagine-t-on au Danemark sans elle ? Nul doute que l’exil eût été encore plus cruel. Bien sûr, il arriva à Lucette d’affabuler, se mettant au diapason de son romancier de mari. Ainsi disait-elle aux journalistes que Céline avait une balle dans la tête ou qu’il fut enchaîné dans sa cellule, se faisant ainsi l’écho de la légende célinienne.
Elle lui aura survécu pendant près de soixante ans. Durant les dernières années, nombreuses furent les personnalités qui vinrent la voir : Audiard, Mouloudji, Aznavour, Moustaki et tant d’autres. Tous furent séduits par sa gentillesse et sa bonne humeur. Il n’est que juste, à l’occasion de sa disparition, de lui consacrer ce numéro. D’autant que Céline en fit un personnage qui apparaît dans tous les romans de l’après-guerre. Longue vie que celle de Lucie Almansor… Reçue à quinze ans au Conservatoire de danse et de comédie, elle remporta, l’année de parution de Voyage au bout de la nuit, le premier accessit du concours. Admise dans le corps de ballet de l’Opéra-Comique, elle en donna assez rapidement sa démission, écœurée par les intrigues qui s’y multipliaient. Elle partit alors en Amérique où elle dansa notamment à Broadway. C’est à son retour que Céline fit sa connaissance au cours de danse de Blanche d’Alessandri. On connaît la suite qui aboutit, après bien des épreuves, à ce constat sans fard : « Je l’aime Lili je l’aime comme personne mais j’y ai brisé la vie… Elle a fait des prouesses pour moi de dévouement, de dévotion, je valais pas ! »
Vient de paraître
Sommaire : Entretien avec Émeric Cian-Grangé – Robert Poulet… 30 ans déjà ! – Les rythmes de la musique célinienne dans Voyage au bout de la nuit – Quand l’accession d’Hitler au pouvoir empêcha la publication en feuilleton de Voyage – Bagatelles et massacre dans Ce soir.
D’un lecteur l’autre
Quelques célinistes se sont intéressés à la réception critique de l’œuvre du contemporain capital. Si plusieurs travaux universitaires existent sur le sujet, Émeric Cian-Grangé a été le premier à publier sur le lectorat non professionnel. « Le moindre lecteur de Céline me passionne », confie-t-il. Certains trouveront que c’est lui accorder beaucoup d’importance. D’autres seront ébahis par la diversité des réponses aux questions posées. En voici quelques unes : « Comment définiriez-vous l’œuvre de Céline ? » ; « Que vous a apporté sa lecture ? » ; « Quel lecteur de Céline êtes-vous ? » ou encore « Quelle question lui poseriez-vous si vous aviez la possibilité de le rencontrer ? ».
Existe-t-il un autre écrivain contemporain qui suscite autant de ferveur ? Peut-être… On songe à celui que Céline vit comme son rival : l’auteur d’À la recherche du temps perdu que le reclus de Meudon considérait, après l’avoir pas mal brocardé, comme « le dernier grand écrivain de notre génération ». Si Proust est unanimement reconnu aujourd’hui comme un monument, la stature de Céline, elle, a été récemment mise en question par certains qui lui dénient même sa qualité d’écrivain. Avec une argumentation parfois absurde : le fait, par exemple, que les études céliniennes n’aient pas leur Thibaudet, leur Starobinski, leur Fumaroli ou leur Steiner. C’est oublier que, d’une part, les agrégés de lettres classiques et autres lettrés certifiés ont généralement peu d’attrait pour les écritures avant-gardistes et, d’autre part, qu’une carrière universitaire ne se bâtit pas sur terrain miné. C’est d’ailleurs ce que reconnaît un céliniste de la nouvelle génération dans cet ouvrage : « Faire une thèse sur Céline n’est pas forcément la meilleure des idées si l’on envisage une carrière à l’université ! (…) J’entends des étudiants se plaindre d’essuyer de nombreux refus lorsqu’ils cherchent des directeurs de thèse ou de mémoire sur Céline. » Cette confidence en dit long sur la manière dont l’Alma mater traite aujourd’hui l’un des écrivains majeurs du siècle dernier pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la littérature. Et cela transpire également dans les médias. Cet été, France-Culture a consacré une émission d’une dizaine d’heures à Céline ; l’un de ses meilleurs exégètes fut sollicité pour trois heures d’entretien. À la diffusion, seules quelques minutes furent retenues. Le constat, dépourvu de tout dépit, que m’adressa l’intéressé est tangible : « Pas l’ébauche d’un commentaire qui tenterait de faire comprendre aux auditeurs qui ne connaissent pas l’œuvre sa nouveauté et sa puissance », la majeure partie de l’émission étant consacrée à l’idéologie. C’est dire si cet ouvrage constitue à lui seul une réponse magistrale à ceux qui entendent contester l’importance littéraire de Céline. Un écrivain de peu d’envergure susciterait-il autant d’appréciations apologiques ? Poser la question c’est y répondre. Outre les réponses des lecteurs, Cian-Grangé a eu la bonne idée de reproduire également des avis (contrastés) de critiques littéraires mais aussi de personnalités du spectacle, de la politique ou du journalisme. Certains points de vue déconcertent tant ils sont entachés d’un ressentiment qui, s’il est parfois légitime, confine à l’aveuglement. « Il est très naturel de ne pas aimer Céline » écrivait Roger Nimier. Mais comment ne pas voir qu’on est en présence d’une œuvre considérable qui s’est renouvelée tout au long du parcours de l’écrivain ? Le cas Céline est aussi fait de cette incompréhension.
• Émeric CIAN-GRANGÉ (éd.), D’un lecteur l’autre (Louis-Ferdinand Céline à travers ses lecteurs), Krisis, 2019, 337 p. (préface de Philippe Alméras, couverture de Jacques Terpant & portraits à l’encre de Éric Heidenkopf).