Archives de l’auteur : Marc

Vient de paraître

2018-10-BC-Cover

Sommaire : Céline en Italie. Rencontre avec Valeria Ferretti – Une « dénonciation oubliée » – Actualité célinienne – « Céline & Céline » de Michel Ruffin.

Héritage

Jean-Luc Barré, qui dirige depuis une dizaine d’années la collection « Bouquins » chez Robert Laffont, accomplit une partie de la mission  que  n’assure plus Antoine Gallimard pour la « Bibliothèque de la Pléiade ».  Celle-ci  se targue d’être  « un héritage augmenté des chefs-d’œuvre de notre temps ». Pour des raisons de toute évidence idéologiques, la maison Gallimard refuse une part de cet héritage. Ni Barrès, ni Bainville, ni Maurras n’y ont droit de cité. Tous trois réédités, en revanche, dans la collection « Bouquins ». On peut naturellement penser ce que l’on veut du maître de Martigues mais nier qu’il ait exercé, pendant près d’un demi-siècle, un magistère intellectuel sur ses contemporains serait grotesque. Dans un fort volume de plus d’un millier de pages, les éditions Robert Laffont rééditent donc ses grands textes, de L’Avenir de l’intelligence à Kiel et Tanger sans oublier ceux sur l’esthétique ainsi que sa poésie dont de superbes textes érotiques inédits.

Il est sans doute inutile de rappeler ici à quel point les tropismes céliniens diffèrent des tropismes maurrassiens. Attiré par la Méditerranée et l’Antiquité gréco-latine, Maurras eut une inclination pour le fascisme italien tout en vitupérant contre l’Allemagne dont il fut, tout au long de sa vie, un farouche adversaire. Alors même que Céline considérait cette germanophobie contre nature et porteuse de nouveaux périls. Dans un article paru en 1942, « La France de M. Maurras », son ami Lucien Combelle stigmatisait, lui aussi, cette germanophobie. Ce qui lui attira un commentaire acerbe de Céline lui reprochant de passer à côté de ce qui était pour lui l’essentiel : l’antiracisme de Maurras déjà tancé quatre ans auparavant dans L’École des cadavres. À la suite d’Urbain Gohier, Céline soupçonnait même des origines sémites au leader de l’Action Française.

À ce propos, signalons que l’unique livre consacré à Combelle vient d’être réédité dans cette même collection « Bouquins » avec d’autres livres de Pierre Assouline sur la période de l’Occupation : ses romans (La cliente, Lutetia, Sigmaringen), sa biographie de Jean Jardin et son essai sur l’épuration des intellectuels. C’est dire si cette période fascine depuis toujours Assouline qui s’en explique dans une préface inédite, « Apologie de la zone grise ». Il y évoque avec nuance sa relation à cette histoire complexe. Laquelle n’était pas faite que de héros et de salauds. Comment d’ailleurs qualifier un jeune Français d’une vingtaine d’années acceptant de risquer sa vie sur le front de l’Est pour des idées qu’il croit justes ? Le juif sépharade qu’est Assouline fut l’ami de Combelle qui, non seulement crut au fascisme, mais en fut un ardent militant jusqu’en juillet 1944. Cette amitié l’honore, cela va sans dire, mais ce qui le distingue encore davantage de la plupart de ses confrères, c’est le refus de tout manichéisme. Et le goût de comprendre avant de juger.

  1. Charles MAURRAS, L’Avenir de l’intelligence et autres textes (édition établie et présentée par Martin Motte ; préface de Jean-Christophe Buisson), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2018, 1225 p. ; Pierre ASSOULINE, Occupation (romans et biographies), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2018, 1317 p.

La correspondance de Céline à Combelle a été éditée par Éric Mazet dans L’Année Céline 1995 (Du Lérot, 1996, pp. 68-156). Signalons aussi l’émission télévisée de Bernard Pivot sur « Les intellectuels et la Collaboration » (Apostrophes, 1er décembre 1978) à laquelle Combelle participa [https://www.youtube.com/watch?v=IcgWGFwt7nQ] et la série d’entretiens que Pierre Assouline eut avec lui (À voix nue, France Culture, 25-29 juillet 1988) [https://www.youtube.com/watch?v=D6rWO3pEPdc].

Vient de paraître

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Sommaire : Céline et Joyce – Un débat sur la réédition des pamphlets – Clément Rosset et Céline – Maurice Lemaître et l’ “Association israélite pour la réconciliation des Français” – Un grand livre sur Roger Nimier

Le colloque de la S.E.C.

Le vingt-deuxième colloque de la Société des études céliniennes (sur le thème « Céline et le politique ») s’est donc tenu durant la première semaine de juillet à Paris. On pouvait y rencontrer des célinistes de divers pays et quelques lecteurs du BC. Il faut dire qu’il fallait, par cette chaleur accablante, une certaine abnégation pour s’enfermer dans une salle non climatisée de Sciences-Po. Ce colloque n’a pas failli à la règle: les communications intéressantes (Lavenne, Haenggli, Ifri, Tettamanzi, Miroux…) alternaient avec des interventions byzantines ou sans grand relief. Un célinien de la nouvelle génération s’est ému, lui, de voir le projet de communication d’un vétéran du célinisme être purement et simplement rejeté. D’autant que ce refus fut précédé de bien mauvaises manières ¹.Ce qui me fascine toujours dans la démarche de certains spécialistes, c’est le fait de porter continûment un jugement globalement négatif sur un homme qu’ils accablent du plus profond mépris. Le voit-on, alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années, s’approprier des pensées d’écrivains afin de briller auprès d’une amie de son âge qu’on en tire des conclusions générales dépréciatives ². Quant à la période la plus problématique (celle de l’Occupation), d’autres émettent, dans la foulée du tandem Taguieff-Duraffour, l’hypothèse que Céline était au courant de la « solution finale », voire même qu’il l’appelait de ses vœux. Et, lorsqu’on évoque la fameuse réunion de décembre 1941, où il convoqua journalistes et politiques, on évite de rappeler son préambule : « Aucune haine contre le Juif, simplement la volonté de l’éliminer de la vie française. » Cela n’exonère en rien Céline de sa responsabilité qui n’est pas mince mais pourquoi ne pas préciser les choses ?

En arrière-plan de ce colloque : la polémique suscitée par le projet de réédition des pamphlets par les éditions Gallimard. Une table ronde réunissant diverses personnalités fut organisée en ouverture du colloque. Nous en rendons compte dans ce numéro. À l’exception notable de Philippe Roussin, directeur de recherches au CNRS, il faut noter que tous les spécialistes de Céline sont favorables à cette réédition. Hormis François Gibault, qui s’est fait durant un demi-siècle le porte-parole de l’ayant droit ³, observons que cela a toujours été le cas.  Il y a plus de trente ans déjà, nous avons publié ici leurs appréciations 4. Dont celle de Henri Godard qui, contrairement à ce qui fut sous-entendu lors de cette  table ronde, s’exprima  dès le début de manière claire : « Plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques. »

  1. Dans une lettre adressée au Président et à la Secrétaire de la Société des Études céliniennes, Émeric Cian-Grangé écrit : « (…) Je m’interroge sur les moyens, les raisons et les motivations qui, in fine, vous ont permis d’écarter Philippe Alméras, empêchant ainsi les auditeurs d’avoir la possibilité d’apprécier la communication de l’auteur des Idées de Céline. Mon premier étonnement concerne votre choix, Madame la Secrétaire, d’avoir demandé à Philippe Alméras la rédaction d’une lettre motivée afin de pouvoir réintégrer la SEC. Mon deuxième étonnement porte sur le bien-fondé de votre proposition, finalement rejetée, de réclamer à Philippe Alméras l’intégralité des cotisations antérieures impayée depuis son départ de la SEC. Comment par ailleurs ne pas être surpris par votre décision, Monsieur le Président, d’écarter la communication de Philippe Alméras alors qu’il suffit, pour faire partie des intervenants, d’envoyer un résumé et d’être membre de la SEC à jour de cotisation ? En conséquence, permettez-moi de mettre en doute la capacité de la SEC à “réunir, en dehors de toutes passions politiques ou partisanes, tous ceux qui, lecteurs, collectionneurs ou chercheurs s’intéressent à l’œuvre de L.-F. Céline”, ce qui est pourtant sa mission première. »
  2. Rémi Wallon, « Louis Destouches en Afrique : une politique d’emprunt ? ». À comparer, sur le même thème, avec la teneur de l’article de Gilles Roques, « Quelques lectures de Céline au Cameroun en décembre 1916 », Le Bulletin célinien, n° 318, avril 2010.
  3. C’est en 1968 que François Gibault est devenu le conseil de Lucie Destouches.
  4. Marc Laudelout, « Tout Céline ? », Le Bulletin célinien, n° 27, novembre 1984.

Vient de paraître

 2018-07-BC-Cover

Sommaire : Une biographie qui divise – Entretien avec Philippe Alméras – Céline et le/la politique ou Le reste est littérature – Alméras, de Céline à Pétain et retour – « Fichu maladroit » et « faux diable » – Itinéraire d’un céliniste.

Philippe Alméras

Philippe Alméras n’est pas bien vu par les céliniens. Les raisons selon lui ? « Je ne maquille ni son antisémitisme ni sa collaboration. Je récuse l’alibi de la folie. Surtout je me refuse à la récupération sociale-démocrate du “Céline au langage révolutionnaire malgré lui”. Je reste surtout celui qui a fait l’inventaire des “idées de Céline”. Voici donc toutes mes médailles. ¹ » Il est vrai que les admirateurs de l’écrivain ont tendance à évacuer ses choix partisans en les réduisant à des élucubrations mentales à ne pas prendre au sérieux. Tendance naturelle à défendre un écrivain que l’on aime. À l’autre bout de la chaîne, Alméras force le trait : « Pas très médecin, pas tellement compatissant, pas mal pleutre ² ». Et escamote l’artiste. Or Céline fut davantage obnubilé par sa création littéraire que par le reste. Durant l’Occupation, il consacre bien plus de temps à rédiger Guignol’s band (dont il entame la rédaction à l’automne 1940) qu’à fréquenter le petit milieu de la collaboration et à réagir aux articles des journaux. Certes l’idéologie n’est absente ni de ce troisième roman ni surtout de ceux d’après-guerre mais celle-ci y apparaît par la force des choses et non de manière délibérée. À lire Alméras, on a, au contraire, l’impression d’un idéologue constamment mû par son obsession racialiste. Laquelle n’est pas contestable mais ce constat doit-il nécessairement conduire à la partialité ? « Testis unus, testis nullus »  s’exclame Alméras pour récuser un témoignage attestant l’indépendance de Céline (Benoist-Méchin) alors que, dans le même temps, il en avalise un autre sans barguigner mais à charge celui-là (Jünger).  Détail qui atteste d’une volonté démonstrative ne s’embarrassant guère de méthodologie. L’idéologie célinienne vue par Alméras ? Une vision Nord-Sud impliquant une polarisation ethnique antérieure à Voyage, ce qui est discutable, et un racisme biologique plus prégnant que son antisémitisme, ce qui est avéré. Un pionnier du célinisme est monté au créneau pour fustiger « la tribu querelleuse des céliniens qui, dans son ésotérisme acariâtre, lui a parfois cherché des crosses ³ ». De quoi panser quelques plaies… Lesquelles sont parfois ravivées. Ainsi, le projet de communication qu’Alméras destinait au colloque « Céline et le politique », s’est vu refuser par le bureau de la Société d’Études céliniennes 4. Si ce refus se justifie par le fait que cette contribution n’apporte strictement rien de neuf à ses précédentes études sur le sujet – c’en est même la synthèse parfaite –,  davantage d’égards eussent pu être pris envers ce quasi nonagénaire qui fut l’un des co-fondateurs de la S.E.C. et son premier président. Raison suffisante pour accueillir ici cette communication. Le lecteur jugera ainsi sur pièce.

Philippe Muray força jadis son talent en traitant Alméras de « doyen de la Confrérie des célinophobes » car son admiration pour l’écrivain n’est pas feinte même si, dans sa logique apodictique, il donne l’impression d’admirer essentiellement en lui le génie verbal alors que la poétique célinienne dépasse de beaucoup cette dimension.

Au moins s’accordera-t-on à reconnaître les mérites de l’auteur décapant de De Gaulle à Londres et de Vichy-Londres-Paris 5. Sa volonté opiniâtre de basculer les légendes ne s’arrêtant évidemment pas à Céline.

  1. Propos recueillis par Pierre Chalmin in Éléments, hiver 2004-2005.
  2. Philippe Alméras, « Cent ans après » in Sur Céline, Éditions de Paris, 2008, p. 250.
  3. Pol Vandromme, « Promenade en terres céliniennes », Valeurs actuelles, 21 janvier 2005.
  4. Ce colloque aura lieu du 4 au 6 juillet à Sciences-Po (Paris). Voir : https://celine-etudes.org.
  5. Tous deux parus aux éditions Dualpha.