Archives de l’auteur : Marc

Vient de paraître

2018-06-BC

Sommaire : En marge des “Lettres familières” – Céline, le négatif et le trait d’union – Enquête sur le procès Céline [1950] – Lettres d’Alphonse Juilland à Éric Mazet (2) – Antoine Gallimard et Pierre Assouline parlent.

Réprouvés, bannis, infréquentables

Sous le titre Réprouvés, bannis, infréquentables, Angie David publie un recueil de portraits d’écrivains, morts ou vivants, qui ont eu maille à partir avec la censure ou les tribunaux. Des auteurs aussi différents que Boutang, Debord, Handke, Millet, Houellebecq, Nabe ou Camus (Renaud). « Ce n’est plus un rassemblement : c’est une rafle. Céline y a échappé par miracle et on ne peut que s’en féliciter », a raillé Pierre Assouline dans une chronique intitulée « Il n’y a pas d’écrivains maudits » ¹. Cela suscite deux observations.  La première,  c’est  que cet adjectif-là ne figure précisément pas dans le titre du livre. Mais on peut difficilement contester qu’à un moment de leur carrière, ces écrivains ont bien été soit réprouvés (par leurs confrères), soit bannis (par leur maison d’édition), soit jugés infréquentables (par la société). Ce qui ne signifie pas qu’ils l’aient toujours été ni qu’ils le soient encore, la récupération faisant son œuvre. Quant à Céline, il est loin, en effet, d’être un écrivain maudit puisque tous ses romans sont disponibles en collection de poche ainsi que dans la Pléiade. Il est, par ailleurs, reconnu comme l’un des écrivains majeurs du XXe siècle sur plus d’un continent. En revanche, une part de son œuvre est assurément maudite au point qu’un projet de réédition a suscité de vives réactions que la plus haute autorité de l’État a estimé légitimes. La plupart des célinistes, eux, ressassent la même antienne : certes ces écrits sont intolérables mais certains passages peuvent en être sauvés. Et de citer invariablement la description de Leningrad dans Bagatelles et l’épilogue des Beaux draps. C’est perdre de vue que Céline ne perd nullement son talent dans l’invective même lorsqu’il est outrancier. Si l’on se reporte au dossier de presse de Bagatelles, on voit, au-delà des clivages idéologiques, à quel point les critiques littéraires pouvaient alors le reconnaître. « La frénésie, l’éloquence, les trouvailles de mots, le lyrisme enfin sont très souvent étonnants », relevait Marcel Arland dans La Nouvelle Revue Française. Charles Plisnier, peu suspect de complaisance envers l’antisémitisme, évoquait « un chef-d’œuvre de la plus haute classe » ². Dans une récente émission télévisée, un célinien en lut plusieurs extraits qu’il jugeait littérairement réussis, notamment l’un daubant la Russie soviétique. Passage coupé au montage. Seule la description  de Leningrad  a  précisément  été retenue.

Autre réflexion: si Céline est reconnu comme un écrivain important, il n’en demeure pas moins qu’il est tenu à l’écart par l’école et l’université. Hormis Voyage au bout de la nuit et, dans une moindre mesure Mort à crédit, ses romans sont absents des programmes scolaires. Quant à l’université, on doit bien constater qu’elle organise très peu de séminaires sur son œuvre et que, parmi les universitaires habilités à diriger des recherches, rares sont ceux qui acceptent de diriger un travail sur Céline. Conséquence : le nombre de thèses à lui consacrées est en nette baisse par rapport au siècle précédent. On se croirait revenu aux années où Frédéric Vitoux puis Henri Godard rencontrèrent tous deux des difficultés à trouver un directeur de thèse.  Et cela ne risque pas de s’arranger dans les années à venir.

• Angie DAVID (éd.), Réprouvés, bannis, infréquentables, Éditions Léo Scheer, 2018, 275 p. (20 €).

  1. Pierre Assouline, « Il n’y a pas d’écrivains maudits », La République des livres, 25 mars 2018 [http://larepubliquedeslivres.com/il-ny-pas-decrivains-maudits]
  2. Le dossier de presse a été procuré par André Derval in L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre, Écriture, 2010.

Vient de paraître

2018-05-BC-Cover

Sommaire : Entretien avec Henri Godard – Éditeur de Céline – L’intercesseur – Quarante années de recherches céliniennes.

Henri Godard

La dette que les céliniens ont contractée envers Henri Godard est considérable. On songe évidemment en premier lieu à cette magistrale édition critique de l’œuvre romanesque dans la Pléiade.  Que  ce  soit sur la génétique des textes,  l’établissement des variantes, les liens entre  création et  expérience vécue, l’étude narrative et stylistique, il a accompli un travail à la fois rigoureux et éclairant. De sa thèse de doctorat sur la poétique de Céline soutenue il y a plus de trente ans à sa biographie qui vient d’être rééditée en collection de poche ¹, il aura sans nul doute été l’exégète le plus pénétrant de Céline. Et il a constamment mis l’accent sur l’unité d’une œuvre qui « contrairement à l’impression générale, demeure assez mal connue dans son ensemble comme dans sa distribution ² ».

« Nous avons en commun de travailler à donner à Céline, en dépit des handicaps, toute la place qui est la sienne », m’a-t-il écrit un jour. C’était aussi reconnaître implicitement tout ce qui nous sépare. L’un des mérites d’Henri Godard aura été de surmonter ce qui aurait pu l’empêcher de vouer une grande partie de sa carrière à l’œuvre d’un homme dont il est si éloigné. Dans son dernier livre sur Céline, il ne dissimule pas les tourments que cela a pu susciter sur le plan personnel : « Autour de moi, dans mon entourage proche, même si on a depuis longtemps cessé de me le dire, pour certains – mes amis juifs naturellement en particulier –, ce choix n’en continue pas moins à faire problème. Ils auraient préféré que je m’attache à un autre auteur. Entre eux et moi, par intermittence, à l’occasion d’une nouvelle publication par exemple, je sens passer une onde à peine perceptible de gêne. »  Et  les choses vont parfois plus loin comme lorsque l’un de ses pairs l’accuse de complaisance envers l’écrivain ³.

Henri Godard n’écrira plus sur Céline. Il considère qu’il a dit sur le sujet tout ce qu’il avait à dire. Il n’était que temps de lui rendre hommage et de lui exprimer notre gratitude. En publiant la transcription d’un des plus intéressants entretiens qu’il ait donnés à la presse radiophonique. Plus loin, deux céliniens de la nouvelle génération saluent avec reconnaissance leur aîné tandis que Jean-Paul Louis, avec lequel il fonda la revue L’Année Céline, explique pertinemment en quoi son travail d’éditeur dans la Pléiade est digne de tous les éloges.

Ce passionné de littérature n’a jamais méconnu le pamphlétaire intraitable que fut Céline. En revanche il s’est toujours insurgé lorsque certains voulaient le repeindre en « un second Drumont », c’est-à-dire « un individu qui n’[aurait] jamais pensé qu’à propager son credo raciste, utilisant  à l’occasion  pour cela la voie indirecte  ou  camouflée du roman 4. » C’est tout l’honneur d’Henri Godard d’avoir défendu l’écrivain malgré les préventions, les embûches et les dénigreurs de tout acabit.

  1. Henri Godard, Céline, Gallimard, coll. « Folio », 2018, 820 p.
  2. La formule, hélas toujours actuelle, est de Jean-Pierre Dauphin (†), fondateur avec Henri Godard, des Cahiers Céline (Les critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976).
  3. Jérôme Meizoz, « Richard Millet : le scénario Céline » in Pascal Durand & Sarah Sindaco (dir.), Le Discours « néo-réactionnaire », CNRS Éditions, 2015. Le tandem Taguieff-Duraffour, lui, ne craint pas d’écrire à son propos que « dans le célinologue perce le célinophile, voir le célinolâtre», ce qui est, concernant Godard, tout à fait grotesque.
  4. Note critique de Henri Godard relative à la biographie de Philippe Alméras, Céline : entre haines et passion in L’Année Céline 1994, Du Lérot – Imec Éditions, 1995, p. 141.

Vient de paraître

2018-04-BC-Cover

Sommaire : Élizabeth, une vie célinienne – Rencontre avec Jean Monnier – Le bras de fer entre Gallimard et le Crif continue – La nouvelle épuration littéraire – Lettres d’Alphonse Juilland à Éric Mazet (I).

Édith et Colette

C’est une sorte de miracle: à la fin de l’année passée, Rémi Ferland, l’éditeur des Écrits polémiques, découvre au marché aux puces de Québec quelques exemplaires d’une brochure à la couverture bleu ciel: L.-F. Céline / Lettres familières. Au sommaire: trente-deux lettres, soit onze à sa fille Colette et vingt et une à Édith Follet, sa deuxième épouse. Toutes écrites après la guerre : les premières du Danemark, les suivantes de Meudon. La composition, réalisée à l’aide d’une machine à écrire électrique, est rudimentaire. Guère d’indication si ce n’est une mention anonyme d’éditeur : « Petits papiers / près Halifax / chez la Belle Hortense (sur le port) ». Qui a donc pu publier outre-Atlantique ce modeste recueil recelant de vrais trésors ? Le mystère est entier… Toujours est-il que Ferland a eu la bonne idée de rééditer cette correspondance sous la forme d’une élégante plaquette avec, cette fois, comme titre Lettres à Édith et à Colette (voir en dernière page). Dans sa biographie, François Gibault nous en avait déjà révélé quelques unes et il n’avait certes pas eu tort d’écrire que beaucoup de celles adressées à Édith « sont de véritables lettres d’amour ». En témoigne notamment cette lettre qui commence ainsi : « Que tu le veuilles ou non tu seras mon Édith chérie jusqu’à la mort et au-delà ! » et où percent, comme dans bien d’autres, le remords et les regrets: « Mon Édith chérie encore bien pardon je suis bien marri et j’ai bien souffert je t’assure et je suis bien malheureux de penser à ma sottise. » C’est assurément un Céline bien différent de celui que l’on nous dépeint aujourd’hui qui apparaît dans cette correspondance. Un être tout en sensibilité, d’une grande finesse et maniant un humour subtil, comme dans cette lettre où il se plaît à pasticher Mme de Sévigné : « Ma très chère, ma mie, mon cœur, je vais vous narrer une nouvelle, dont tout Versailles est bouleversé, le roi en a tenu Conseil de n’en savoir autant, voici en mille mots, non en dix ! ce qu’il faut que vous gardiez secret… » Et d’enchaîner avec cette observation prosaïque : « Votre plante bretonne, fougère d’eau, a été dépotée, et mise en terre, parfaitement, et paraît s’en trouver très bien… ne le dites à âme qui soit ! La pluie aidant vous la retrouverez géante. » Les lettres à sa fille, écrites en exil, ne sont pas moins émouvantes.  L’une d’entre elles se conclut ainsi : « Oh pas de cadeaux ! pas d’envois ! Je les laisse à la douane ! Des baisers ! Des baisers ! C’est tout ! Des paroles d’espoir aussi bien que j’en tienne vraiment une immense provision en stock ! à l’écœurement ! (…) Toute mon affection à tes enfants, à toi. Ton papa. Louis. »  Certains  n’ont pas compris que Céline, fuyant de nouvelles affections car trop émotif, n’ait pas souhaité rencontrer ses petits-enfants à Meudon. Quant à Colette, on sait que sur le conseil de son avocat, elle renonça à l’héritage de son père. Celui qu’il eût fallu conserver précieusement c’est la correspondance qu’elle reçut de lui lorsqu’elle était enfant. Et Édith, les très nombreuses lettres qu’elle eut de Louis Destouches avant leur mariage. …Hélas !
• Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Édith et à Colette, Éditions 8, collection “Anciens”, n° 20, 2018, 58 p. Cette plaquette hors commerce est réservée aux membres de l’Association des Amis de l’Édition Huit. La cotisation s’élève à 50 $ canadiens (soit environ 32 €). Plus de renseignements sur le site de l’éditeur : https://www.editionshuit.com. Ou écrire à l’éditeur, 747 rue des Mélèzes, Québec (Québec) G1X 3C8.
À noter que deux lettres figurant dans le tome III de la biographie de François Gibault ne sont pas reprises dans cette plaquette ; en revanche, les deux lettres adressées à Colette publiées dans Études céliniennes (n° 5, hiver 2009-2010) et Le Bulletin célinien (n° 331, juin 2011) y figurent. Une édition scientifique de ces lettres, avec datation de celles-ci et appareil critique consistant, reste à faire.