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Vient de paraître

2018-03-BC-Cover

Sommaire : Lucette, entre toutes les femmes – Céline et le Comité de Prévoyance et d’Action sociale – Misère de la condition humaine chez Céline – Galtier-Boissière – Céline à Leningrad

Robert Denoël

Faut-il que la gloire posthume de Céline insupporte certains ! Dans un roman aussi pesant que touffu, Maxime Benoît-Jeannin raconte les liens professionnels et privés qui unirent, sous l’Occupation, deux personnalités aussi affirmées que Dominique Rolin et Jeanne Loviton à Robert Denoël. Céline, son auteur  fétiche, apparaît à plusieurs reprises. Paranoïaque, veule et bien entendu partisan de l’extermination de la race élue ¹, c’est ainsi que ce romancier le dépeint sans nuance. En revanche,  il a pour Sartre les yeux de Chimène,  se gardant bien de rappeler que celui-ci se compromit avec un autre totalitarisme ². Et de dénoncer dans l’épilogue  « un Sartre bashing frénétique qui touche tous les milieux » ainsi que « cette haine pathologique pour le philosophe français le plus important depuis Descartes [sic] ». Pour en arriver à déplorer que « du coup, la commémoration du centenaire de sa naissance se fit a minima. » La phrase qui suit est édifiante à souhait : « Parallèlement, la gloire de Céline monte encore en puissance, son lectorat ne cesse de grandir. » …Voilà qui est assurément insupportable.

Quant à ce roman, gageons qu’il découragera plus d’un lecteur s’intéressant à cette période. Tant de personnages défilent qu’on ne parvient à s’attacher à aucun d’entre eux. On a en outre l’impression que l’auteur a voulu y fourguer toute sa documentation. Elle est d’autant plus vaste qu’il l’a largement puisée sur un site internet en libre accès: celui qu’Henri Thyssens consacre depuis 2005 à Robert Denoël. Mais on est loin de l’élégance d’un Pierre Assouline qui, à la fin de son roman Sigmaringen, tint à citer ses sources. Le travail de Thyssens est ici sommairement mentionné au détour d’une page alors que, sans les recherches qu’il a accumulées pendant vingt ans, ce roman n’existerait tout simplement pas. Quant au chercheur il est qualifié d’« admirateur de Louis-Ferdinand Céline », ce qui, dans l’esprit de l’auteur, doit être un tantinet suspect.

Dans la presse Benoît-Jeannin se défend d’être manichéen mais le lecteur constate qu’il n’a que profond mépris pour tous les écrivains qui se sont engagés dans la voie de la Collaboration. C’est dire si l’on s’écarte du jugement d’un Malraux qui considérait Drieu comme « l’un des êtres les plus nobles qu’[il ait] rencontrés ». Ici, tous ceux qui étaient dans le mauvais camp sont jugés à l’aune de la même toise. C’est tellement plus simple ainsi.

Reste l’énigme du meurtre de Robert Denoël. L’auteur y voit la conséquence d’une altercation qui aurait mal tourné entre un résistant revenu des camps et Denoël qui lui aurait demandé son appui pour le procès dont il était menacé. Hypothèse qui paraît un peu alambiquée. Une seule chose est sûre : on n’a pas fini de gloser sur cette affaire vieille de plus d’un demi-siècle.

• Maxime BENOÎT-JEANNIN, Brouillards de guerre (roman), Éditions Samsa, 2017, 500 p. (26 €)

  1. Ne nous lassons pas de rappeler que les meilleurs connaisseurs de Céline, de Henri Godard à Régis Tettamanzi en passant par Jean-Paul Louis, Éric Mazet ou François Gibault, estiment que  c’est interpréter  erronément  le langage paroxystique de l’écrivain que d’énoncer semblable allégation.
  2. Rappelons aussi que Sartre est l’immortel auteur de cette phrase prononcée en 1965 (!) : « Tout anticommuniste est un chien. Je n’en démords pas et n’en démordrai jamais.». Plus tard, Sartre sera, comme on sait, un compagnon de route des maoïstes français et l’apologiste de la bande à Baader.

Vient de paraître

2018-02-BC-Cover

Sommaire : Une réédition censurée – Ce qu’en pense la traductrice israélienne de Céline – Ce qu’en pense Marc-Édouard Nabe – Polémique pour une autre fois – Rééditer les pamphlets ? C’est déjà fait ! – Céline sur les planches.

Une occasion manquée

De l’utilité du conditionnel. Dans le Bulletin de janvier, j’aurais dû écrire : « les pamphlets pourraient être réédités par les éditions Gallimard ». Ce numéro fut envoyé aux abonnés le 10 janvier. Le lendemain même, on apprenait qu’Antoine Gallimard jetait l’éponge. C’était à prévoir: les pressions en tous genres furent trop fortes. Dans ce numéro, je rappelle la chronologie des évènements. Ce qui est navrant, c’est qu’en faisant preuve de discrétion, ce naufrage aurait sans doute pu être évité. Il est à relever que l’échéance de mai 2018 circula dans la presse comme date de sortie du volume. Sans doute parce qu’il s’agissait initialement de reprendre tel quel l’appareil critique de l’édition “canadienne” et d’y adjoindre seulement une préface de Pierre Assouline. Certes Sollers commit une indiscrétion en annonçant durant l’été cette réédition. Mais cette confidence n’eut aucun écho car diffusée sur un site internet confidentiel. Lorsque l’information fut reprise sur celui d’un mensuel, il en alla tout autrement. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre et les groupes de pression se mirent en branle avec le succès que l’on sait.

Tout se serait donc passé autrement si le projet n’avait pas été ébruité. Il aurait fallu simplement veiller à ce qu’il n’y ait aucune fuite. Un fort volume serait sorti dans les “Cahiers de la Nrf” ou dans une autre collection et les opposants eussent été mis devant le fait accompli. Au lieu de cela les groupes de pression ont largement eu le temps de s’organiser, de se concerter et finalement d’empêcher que ce projet éditorial aboutisse. Cette affaire a permis, par ailleurs, d’observer de multiples divisions. Ainsi, au sein du CRIF, plusieurs militants étaient partisans d’une réédition encadrée par un collectif d’historiens alors que le président de cette organisation, après avoir hésité, s’est finalement rallié à la position de Klarsfeld. Les historiens eux-mêmes n’étaient pas d’accord entre eux : Taguieff fit circuler un appel favorable à une réédition contrôlée par eux (appel signé notamment par Laurent Joly, Grégoire Kaufmann, Annette Becker et Odile Roynette) alors qu’un autre collectif d’historiens (Alya Aglan, Tal Bruttman, Éric Fournier, André Loez) se déclarait, lui, partisan de l’interdiction. Du côté politique, même chose: si le Premier Ministre était pour, plusieurs députés (Alexis Corbière mais aussi plusieurs élus de la majorité) étaient hostiles. Même division dans le milieu littéraire : les uns (Moix, Sansal, Jourde, Millet  et Maulin)  estimaient cette édition utile,  alors que les autres (Modiano, Angot, Ernaux et même Vitoux)  y étaient opposés. Une fois encore, Céline a suscité post-mortem un joli barouf, ce qui est somme toute très célinien. Un esprit libre comme Philippe Bilger a su poser le problème en termes pertinents : « Derrière ces joutes aussi bien intellectuelles que politiques, prônant l’emprise d’un passé tragique sur le présent ou un présent libre mais non oublieux, il y a toujours la même hantise, la même crainte, presque le même mépris. À quel titre prétend-on se mêler de ce qui regarde le citoyen, le lecteur, de son choix et de son intelligence ? (…) N’aurait-il pas été concevable, convenable de rééditer ces textes et de laisser tous ceux qui admirent Céline pour partie ou pour le tout, qui le détestent pour le tout ou pour partie ou qui sont tout simplement curieux de l’ensemble se forger leur opinion, élaborer leur conviction et prendre un parti ? Faut-il donc toujours les prévenir, les alerter, les dissuader, leur enjoindre, les priver AVANT au lieu de les laisser lire, vivre ? » ¹. On peut raisonnablement penser que les lecteurs du Bulletin partagent cette opinion.

  1. Philippe Bilger, « Pour Céline tout entier ! », Justice au Singulier, 4 janvier 2018 [http://www.philippebilger.com]

Vient de paraître

2018-01-BC-Cover

Sommaire : Une réédition sous surveillance – Klarsfeld réclame l’interdiction des pamphlets – Un poème d’Auguste Destouches – Le docteur Clément Camus (2e partie) – Théâtre : La Ballade du soldat Bardamu.

Réédition des pamphlets

C’est confirmé: les pamphlets vont être réédités par les éditions Gallimard à la fin de cette année, voire au début de la suivante. Le préfacier en sera Pierre Assouline. Ce volume paraîtra dans les “Cahiers de la N.R.F.” ou hors collection,  la décision n’est pas encore prise. Ironie du destin: cette édition reprendra l’appareil critique établi pour l’édition canadienne sortie en 2012, celle-là même contre laquelle François Gibault ferrailla lors de sa parution. À l’époque, il avait protesté contre cette initiative qui portait atteinte non seulement aux droits patrimoniaux de Lucette Destouches mais aussi au droit moral attaché à l’œuvre de Céline dont elle est détentrice. Par ailleurs, l’avocat avait fermement rappelé à l’éditeur canadien l’interdiction, sous peine de poursuites, de commercialiser cette édition en France et dans tous les pays où ces droits sont protégés — ce qui n’est pas le cas au  Canada où les œuvres tombent dans le domaine public cinquante ans seulement après le décès de l’auteur.Qu’est-ce qui a donc motivé ce revirement d’attitude ? Le fait qu’il y a deux ans une réédition des Décombres se passa sans encombre a certainement joué un rôle. Mais aussi le fait que cette édition canadienne n’a guère suscité de remous outre-Atlantique : cette relative sérénité, explique François Gibault, semble traduire que l’époque est mûre pour envisager ces textes avec la distance nécessaire. Par ailleurs, le 1er janvier 2032 (la durée de 70 ans étant décomptée à partir du 1er janvier de l’année qui suit la mort de l’année de l’auteur, en années civiles pleines), les pamphlets tomberont dans le domaine public, ce qui pourrait avoir comme conséquence de voir se multiplier les rééditions sauvages. Autant imposer, avant cette échéance, une édition de référence qui fasse autorité. Une autre raison, plus prosaïque, justifierait cette réédition en France: à 105 ans, Lucette Destouches a besoin d’une assistance médicalisée 24 heures sur 24, ce qui nécessite de rémunérer trois personnes à temps plein. Or les droits d’auteurs générés par l’œuvre de Céline, essentiellement vendue en collection de poche, ne suffisent pas à financer ce personnel.Cette édition collective fera-t-elle problème ? Déjà le Conseil représentatif des institutions juives de France s’est dit hostile à cette initiative, considérant que cette réédition n’est rien d’autre qu’une « réhabilitation des idées nauséabondes de l’auteur de Voyage au bout de la nuit. » Francis Kalifat, président du CRIF, ajoute que son organisation restera vigilante quant à la mise en perspective historique ajoutée  à cette réédition, tout autant qu’à la qualité de l’appareil critique. Quant aux célinistes, on sait qu’ils sont quasi tous favorables à cette réédition. En 1984, le BC avait notamment cité l’avis de Philippe Alméras, premier président de la Société d’Études céliniennes : « D’une part on a bien tort de donner à tout un secteur du corpus célinien l’attrait de l’interdit, d’autre part si cette pensée est aussi “bête”, “aberrante”, “incohérente” qu’on le dit, pourquoi ne pas l’étaler  et  la laisser se détruire  toute seule ? ». Quant à Henri Godard, il estimait que « plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques » ¹. Dans un livre plus récent, il observait que l’amateur de Céline, découvrant aujourd’hui ces écrits polémiques, a inévitablement deux types de réactions : « Tantôt : je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir de telles horreurs. Tantôt : je n’imaginais pas qu’il y avait de si beaux passages, ou si drôles ². » Tout est dit.
  1. Marc Laudelout, « Tout Céline ? », Le Bulletin célinien, n° 27, novembre 1984, p. 3-4. Voir aussi infra, p. 4-8.
  2. Henri Godard, « Postface » à la réédition de Céline scandale, Gallimard, coll. « Folio », 1998, p. 168.