Sommaire : Entretien avec Guy Mazeline (1968) – Automne 1932 : Céline et le Goncourt – Dessinateurs de Céline – Le retour de Lucien Rebatet
Archives de l’auteur : Marc
Jean Rouaud (bis)
Jean Rouaud, titulaire d’une chronique hebdomadaire dans L’Humanité, a encore frappé ¹. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » (Talleyrand). Dans le genre, Rouaud excelle, jugez en : « Concernant le nazi de Meudon [sic], il faut être sot ou de mauvaise foi, l’un n’empêchant pas l’autre, pour prétendre qu’une cloison étanche empêcherait la contamination des romans par les pamphlets. Comme si la forme était une enveloppe vierge, et non le gabarit d’une morale. On pourrait ainsi en toute impunité crier au génie pour les romans et à l’abomination pour les pamphlets ? De la littérature sous préservatif ? On a vu comment ce refoulé, soixante-dix ans après Auschwitz, avait refait surface. On a assisté à cette renaissance impensable, à la banalisation progressive des thèses du FN relayées par ses compagnons de déroute : Soral, Dieudonné, Buisson, Zemmour, Ménard, Wauquiez, la Droite forte, Sens commun, Causeur et les idiots inutiles. » Amalgame mirobolant qui met la sioniste Élisabeth Lévy, directrice de Causeur, dans le même camp (du Mal) que l’auteur de Bagatelles. Nul doute qu’elle appréciera ! Tout cela est tellement bouffon que je m’abstiendrai de commenter plus avant.
Cela étant, c’est sans doute l’occasion de souligner qu’en effet Céline constitue un bloc et qu’il est vain de vouloir dissocier les écrits dits « polémiques » du reste de l’œuvre. D’autant qu’à sa manière Voyage au bout de la nuit est aussi une satire. Et que dire de Féerie pour une autre fois qui est également une diatribe contre l’épuration et tous ceux qui, dans le petit monde littéraire, tenaient alors le haut du pavé ? Dont Claudel épinglé à la fois pour l’opportunisme de ses odes à Pétain, puis à de Gaulle, et pour son appartenance au conseil d’administration d’une société qui fabriquait pendant la guerre des moteurs d’avion pour l’Allemagne. Les romans de Céline ne sont donc pas “contaminés” par les pamphlets mais, étant l’œuvre du même auteur, reflètent peu ou prou ce qu’il pense. Devinette. De quel livre est extraite cette profession de foi contre le métissage : « Moi qui suis extrêmement raciste, je me méfie, et l’avenir me donnera raison, des extravagances, des croisements… » Bagatelles ? L’École ? Eh non, c’est dans D’un château l’autre. J’observe que, si Rouaud est sévère pour l’idéologue, jamais il ne se prononce sur l’artiste. C’est que, pour lui, l’un et l’autre se confondent. Un écrivain qui pense mal doit nécessairement être rejeté dans les ténèbres extérieures. Le raisonnement est d’un simplisme confondant : si un auteur a pu exprimer des idées “nauséabondes”, le style qu’il a utilisé est forcément délétère. Comme je l’ai déjà écrit ici, il eût été préférable, pour sa mémoire, que Céline – je ne cite que cet exemple – s’abstînt sous l’Occupation d’adresser des lettres-articles à des officines de délation, tel Au Pilori dont les rédacteurs suscitaient même le mépris d’un Cousteau ². Céline n’avait d’ailleurs aucune illusion sur l’intégrité de ces folliculaires mais considérait leurs journaux comme des “colonnes Morris” où il “coll[ait] une lettre”. Ce n’en est pas moins désolant. Mais cela relève du domaine moral et non du jugement esthétique que l’on doit porter sur une œuvre qui est, quoiqu’en disent ses contempteurs, essentiellement littéraire et non politique.
- Jean Rouaud, « Devoir d’inventaire », L’Humanité, 12 septembre 2017. Voir aussi notre commentaire paru dans le BC de mai 2017, p. 3 : [ https://bulletincelinien.com/jean-rouaud ]
- Il le qualifiait de « méprisable journal de chantage ». Cf. Marc Laudelout, « Rebatet et Cousteau jugent Céline », Le Bulletin célinien, n° 379, novembre 2015, p. 7-15.
Vient de paraître
Emmanuel Berl
Tous ces faits, et bien d’autres, sont rappelés dans une passionnante biographie de Berl qui est loin d’être complaisante.
• Olivier PHILIPPONNAT et Patrick LIENHARDT, Emmanuel Berl. Cavalier seul (préface de Jean d’Ormesson), La Librairie Vuibert, 2017, 497 p. (27 €)
Vient de paraître
400
Tel quel, le Bulletin se veut un lien régulier avec ceux que l’on appelle les « céliniens ». Qui ne sont pas tous « célinistes », ce terme désignant en principe ceux qui travaillent sur le sujet qu’ils soient universitaires distingués ou amateurs éclairés. Que cela soit pour moi l’occasion de rendre hommage à la petite cohorte de pionniers : Nicole Debrie, Jean Guenot, Marc Hanrez, Dominique de Roux (†) et Pol Vandromme (†). Lesquels ont précédé la deuxième vague composée de Philippe Alméras, Jean-Pierre Dauphin (†), François Gibault, Henri Godard (fondateurs en 1976 de la Société d’Études céliniennes), Alphonse Juilland (†), Frédéric Vitoux, Henri Thyssens, Éric Mazet et quelques autres. Depuis lors, la vision que le public a de Céline s’est dégradée avec la parution d’ouvrages ayant pour but d’en faire un propagandiste stipendié. Si son importance littéraire n’est généralement pas remise en question, le portrait diffamant que l’on fait de l’écrivain n’est pas sans conséquence. Dans la bibliographie célinienne – devenue mythique à force de voir sa parution reportée – qu’Arina Istratova et moi finalisons, nous observons la baisse de travaux universitaires à lui consacrés. C’est qu’il devient périlleux de prendre Céline comme sujet de thèse (ou d’en assurer la direction) tant il apparaît aux yeux de certains comme éminemment sulfureux. Jean-Paul Louis, éditeur de la revue L’Année Céline, fustige à juste titre ceux qui veulent « mettre au pas le créateur coupable de déviances et d’expressions trop libres ». Le rêve inavoué étant de « l’exclure de l’histoire littéraire » ¹. Pour cela, certains détracteurs n’hésitent pas à minorer sa valeur. Et posent cette question insidieuse : « Pourquoi l’œuvre de Céline, contrairement à celles de Chateaubriand, de Balzac, de Flaubert ou de Proust, n’a-t-elle pas attiré de grands spécialistes universitaires, pourquoi a-t-elle été négligée par les critiques de haut vol ? ² » Poser la question c’est y répondre. Dans le sérail universitaire, se vouer à Céline suscite ipso facto la suspicion même si l’on affiche un brevet de civisme républicain. Henri Godard, pour ne citer que lui, en sait quelque chose ³.
N’en déplaise à ses contempteurs, l’œuvre de Céline est considérable. Assurée d’une postérité inaltérable – même si elle pourrait dans l’avenir être moins lue qu’aujourd’hui –, elle défie les siècles à l’égal de celle d’un Rabelais.
- Jean-Paul Louis, L’Année Céline 2016, Du Lérot, 2017, p. 7.
- Annick Duraffour & Pierre-André Taguieff, Céline, la race, le juif, Fayard, 2017, p. 742.
- Voir le chapitre « À cheval sur un hippogriffe » in Henri Godard, À travers Céline, la littérature, Gallimard, 2014, pp. 122-141.