Archives de l’auteur : Marc

Vient de paraître

2016-11-BC-Cover

Sommaire : Céline, paria et génie – Souffler avec justesse dans la flûte de Pan –  « L’Homme   libre » – Lapsus lectoris – Un entretien avec Laurent Simon – Des ordures au cochon en passant par… Montaigne

Scories

Il est sans doute vain d’épingler ici toutes les erreurs dont est truffé le texte d’Eugène Saccomano dans l’album Céline, paria et génie qui retrace la vie de l’écrivain ¹. Scorie déjà présente dans ses deux livres précédents sur Céline. Mais l’auteur prétextait alors avoir « pratiquement tout inventé » [sic] ², ce qui justifiait des erreurs qui n’en étaient pas à ses yeux. Prétexte inutilisable ici puisqu’il ne s’agit pas, cette fois, d’un roman. Cela étant, reconnaissons qu’il ne s’y trouve pas de bourde majeure. De toute façon, Saccomano n’aurait pu faire pire qu’en l’an 2000. Sur un plateau de télévision, il ne craignit pas alors d’affirmer ceci : « Ce qui est terrible, épouvantable et prémonitoire, c’est qu’il y a le mot “charnier” dans Bagatelles pour un massacre. » Quand on lui demanda de préciser ce que voulait signifier Céline, il enfonça le clou :« Tous les juifs doivent être jetés dans des charniers (!) » ³. C’était prendre à contresens une phrase dans laquelle le pamphlétaire évoquait le charnier des combattants français, conséquence d’une guerre qu’il voyait venir 4.

Plus léger : l’auteur se plaît à multiplier les passages lestes, allant même jusqu’à inventer des séquences de Mort à crédit qui n’y figurent pas (p. 10)  5  ou à faire dire à  Évelyne Pollet des propos graveleux qu’elle n’a jamais tenus (p. 13).

En fait, cet album vaut surtout pour le travail de Philippe Lorin qui a su diversifier les approches graphiques grâce à une technique éprouvée. Cela nous vaut des aquarelles de toute beauté (la Medway, la forêt équatoriale, Central Park). La rigueur de certaines compositions (passage Choiseul, rue Lepic, route des Gardes), réalisées à partir de croquis faits sur place, nous rappelle que Lorin entreprit d’abord des études d’architecture. Et s’il n’égale pas le réalisme d’un José Correa dans ce domaine, ses portraits de Céline, faits eux aussi à partir de photographies, sont évocateurs. Images superbes enfin que le château de Sigmaringen sous la neige ou, dans un autre genre, le bombardement de Montmartre dessiné à l’encre de chine et rehaussé d’un pastel rouge sang. L’iconographie célinienne se trouve ainsi enrichie de belle façon.

• Eugène SACCOMANO et Philippe LORIN, Céline, paria et génie, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, coll. « Beaux livres », 2016, 124 p.

  1. Relevons en tout de même quelques unes : Louis Destouches ne rencontra pas Joseph Garcin alors qu’il était à Londres pendant la première guerre mondiale mais vers 1929 à Paris (p. 20) ; le haut de la rue Lepic, où Céline emménagea la même année, n’est pas situé « à deux pas de Montmartre » [sic] : c’est l’artère la plus célèbre de la Butte (p. 38) ; il ne fit pas la connaissance d’Arletty au Conservatoire mais dans le salon de Josée Laval (p. 76) ; l’édition illustrée de Voyage par Gen Paul ne date pas de 1932 mais de 1942 (p. 48) ; Mort à crédit (35.000 exemplaires vendus dans un contexte économique difficile) ne fut pas un échec « retentissant » sur le plan commercial (p. 53) ; « Mlle de Chamarande » (personnage inspiré par Maud de Belleroche dans Nord), n’y est pas prénommée « Régine » (p. 92) ; etc. Plus irritant : Saccomano commet les mêmes erreurs dans les patronymes (Sheleman, La Roque, [Fondation] Rockfeller,…) que celles qui lui avaient été signalées à la parution de son Céline coupé en deux (cf. Le Bulletin célinien, n° 349, février 2013, p. 3).
  2. « Eugène Saccomano nous écrit », Le Bulletin célinien, n° 350, mars 2013, p. 23.
  3. Émission « La Culture aussi » animée par Daniela Lumbroso : « Céline et l’antisémitisme ». Avec Fr. Gibault, É. Saccomano et Ph. Alméras, LCI, 28 septembre 2000. [https://www.youtube.com/watch?v=06xvZwkHhp0&t=950s]
  4. Ce passage se trouve à la page 65 de l’édition « canadienne » des pamphlets, Écrits polémiques, Éditions Huit, 2012.
  5. Par exemple, ceci, pure invention de l’auteur : « “Avec les belles jambes musclées que tu as, tu devrais t’inscrire dans notre équipe de foot“, lui dit-elle [Nora Merrywin, ndlr] en laissant sa main s’égarer sous son short… ».

Vient de paraître

2016-10-BC-Cover

Sommaire : Céline sur le front – Un débat sur Céline à l’O.R.T.F. (1967) – La mère de Charles Trenet, lectrice de Voyage – Une attraction de Céline : la panthère Drena Beach

Bobards

Avec le livre d’Annie Lacroix-Riz, on se croirait revenu aux heures glorieuses du P.C.F. Rien d’étonnant à cela : cette révisionniste stalinienne, adhérente au « Pôle de renaissance communiste en France » (P.R.C.F.), constitue un beau spécimen d’historienne militante. Ce qu’elle écrit sur Céline rappelle un article de Pierre Hervé paru en janvier 1950 dans L’Humanité : « L.-F. Céline était agent de la Gestapo » ¹. Origine du canard : désireux de se rendre en vacances à Saint-Malo (zone interdite sous l’Occupation), Céline avait approché, via un autonomiste breton, l’adjudant-chef Hans Grimm qui lui avait accordé l’autorisation. Pour l’en remercier, Céline lui offrit un exemplaire de luxe d’un de ses romans. Dans son livre sur Le Procès de Céline, Gaël Richard évoque « l’acharnement de la presse communiste distillant les bobards à son endroit ». Ce bobard fait partie du nombre. Il en existe un autre qui a accrédité l’idée que Céline était un affidé de l’Allemagne. Après la guerre on découvrit dans les papiers de Knochen, chef du S.D., copie d’une note destinée à l’ambassadeur Abetz dans laquelle Céline est cité, à son corps défendant, comme personnalité compétente en matière d’antisémitisme. François Gibault, qui offre l’avantage d’être biographe et juriste, a fait litière de cette accusation : « document sans aucune valeur de preuve » ². Lacroix-Riz ne consacre que deux pages à Céline ; elle n’a manifestement pas lu ni ses biographes ni les travaux de Gaël Richard. Cela ne l’empêche pas d’affirmer, sans critique de provenance des documents consultés, que Céline était « un collaborateur de Dannecker,  un agent du SD  et  un acteur de la “Solution finale” » [sic] ³. Le procès de Céline a eu lieu il y a plus d’un demi-siècle. Il ne s’agit dès lors pas de le défendre ni de nier les évidences : l’auteur de L’École des cadavres était en phase avec une part de l’idéologie national-socialiste et espérait la victoire de l’Axe. Il est également avéré qu’il fréquentait le petit monde de la collaboration parisienne et qu’il lui arriva de rencontrer des officiers allemands. Ce qu’il aurait pu éviter même si ces contacts étaient établis à des fins personnelles : séjourner sur la côte bretonne, récupérer son or saisi aux Pays-Bas ou obtenir un visa. Parfois aussi, il est vrai, pour s’entretenir de manière informelle de la situation politique, comme l’a relaté Hermann Bickler 4. Certaines de ces mauvaises fréquentations, attestées par des documents, lui revinrent à la figure lors du procès de 1950. …Et lors du procès posthume qu’on se plaît à lui intenter de manière perpétuelle 5. Céline l’a, il est vrai, bien cherché. Est-il pour autant légitime de déverser sur lui un torrent d’accusations infondées ? Situation périlleuse : si l’on démontre l’inanité de ces accusations, on passe pour un inconditionnel de Céline, voire pire encore. En réalité, on ne comprend rien à son attitude sous l’Occupation si l’on n’a pas à l’esprit qu’il se comporta en électron libre, inféodé à aucun pouvoir ni à aucune coterie.

• Annie LACROIX-RIZ, Les élites françaises entre 1940 et 1944. De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Armand Colin, 2016, 496 p. (29 €)

  1. Article reproduit par François Gibault in Céline (2e partie : Délires et persécutions, 1932-1944), Mercure de France, 1985, p. 312.
  2. Ibidem, p. 257.
  3. Allégation imprudemment reprise par Pierre-Yves Rougeyron, président du « Cercle Aristote », dans un entretien accordé en juillet dernier. [ http://cerclearistote.com/le-grand-entretien-de-juillet-2016-avec-pierre-yves-rougeyron ]
  4. Rapport inédit rédigé en 1979 à partir de notes prises en 1948, extrait cité par Gibault, op. cit., pp. 261-263.
  5. À titre d’exemple : Le procès Céline d’Alain Moreau (réalisation Antoine de Meaux), Arte, 2011.

Vient de paraître

2016-09-BC-Cover

Sommaire : Luchini, un grand célinien – Bernanos et Céline – Philippe d’Hugues, la Nouvelle Vague et Céline – Andrea Lombardi érige un monument à Céline – Cousteau contre Céline – « L’Année Céline 2015 » – In memoriam Elsa Marianne von Rosen.

A comme Assouline (et Alméras)

Certains reprochent à Pierre Assouline, juif sépharade, – circonstance aggravante à leurs yeux – son « indulgence » envers Céline. Le fait que sa famille échappa aux persécutions nazies peut en partie, mais en partie seulement, expliquer qu’il soit capable d’admirer l’écrivain malgré son antisémitisme. On sait qu’il noua par ailleurs des liens d’amitié avec Lucien Combelle, l’éditorialiste déterminé de Révolution Nationale. C’est sa foncière rectitude qui le conduit à porter sur tout individu, fût-il écrivain honni, une appréciation nuancée. Des lecteurs de son roman Sigmaringen lui ont fait grief du portrait favorable qu’il y dresse de  Céline.  Dans son récent Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, il persiste et signe : « Durant son séjour dans cette ville du Wurtemberg, de novembre 1944 à mars 1945, Céline eut une attitude irréprochable, ce qui est assez rare dans sa vie pour être remarqué ». (Un Paraz n’eût pas manqué de relever que trente ans auparavant, Louis Destouches eut une attitude tout aussi irréprochable.)En ce qui concerne l’œuvre elle-même, Assouline se situe dans une démarche qui tente de percer l’origine de cet antisémitisme plutôt que de rejeter l’écrivain pour des raisons morales, comme cela se fait encore trop souvent. D’autant qu’« un écrivain est un bloc » et qu’il n’y a « rien à jeter ». Et pour Assouline, l’origine du mal, c’est la guerre dont Céline ne revint pas indemne. Au début des années soixante, Pol Vandromme ¹ consacrait déjà tout un chapitre de sa monographie à cet épisode décisif. On n’en a certes pas fini de gloser sur l’écrivain paradoxal qu’est Céline. En réécoutant une émission ² dans laquelle Philippe Alméras (qui va publier ses mémoires ³) présentait sa biographie, on peut voir combien les appréciations sont diverses. La thèse est connue : fasciné par la biologie durant ses études de médecine, Louis Destouches trouva dans cette science « une façon de résoudre son personnage ». D’où ce « racisme biologique », l’antisémitisme étant l’arbre qui cache la forêt. Mieux : cet antisémitisme, perçu comme un « gagne-pain », ne serait que guignol, vaste comédie. Laquelle se déploie dans  Bagatelles  pour  un massacre.  Dans  son dictionnaire, Assouline consacre précisément une entrée à la réception critique de ce livre. Et rejoint une observation d’Alméras selon laquelle ses lecteurs ne furent à l’époque pas aussi massivement choqués qu’on ne l’a dit depuis. Ainsi, le libertaire Jules Rivet dans Le Canard enchaîné l’estimait « plus grand et plus pur qu’un chef-d’œuvre » et Marcel Arland dans la Nouvelle revue française jugeait ce réquisitoire « solide ».  Sur l’écrivain il y a en revanche unanimité : Alméras le définit comme un génie verbal quand Assouline décèle, « sous l’ordure, la grossièreté et la violence, des trésors de finesse, de subtilité et de profondeur. » Le hic c’est que, dans les pamphlets aussi, on trouve de tels trésors. Tel l’épilogue des Beaux draps, morceau d’anthologie qui a partie liée avec le reste. Avec lui, rien n’est simple décidément. Assouline déclare aimer Céline malgré lui. Faut-il pour autant mépriser l’homme tout en portant l’écrivain aux nues, comme il l’affirme ? Pas sûr que les lecteurs du BC le suivent sur ce terrain.

• Pierre ASSOULINE, Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, Plon, 2016, 882 p. (25 €)

  1. Un dossier lui est consacré dans la dernière livraison de la revue Livr’Arbitres (voir p. 24)
  2. Émission « Bouillon de culture », Antenne 2, 14 janvier 1994. [ https://www.youtube.com/watch?v=Y8oqiwGwBtQ ]
  3. Mémoires d’un siècle et de deux continents (à paraître aux Éd. de Paris / Max Chaleil).