Archives de l’auteur : Marc

Vient de paraître

2016-04-BC-Cover

Sommaire : Lucette Almanzor dans Comœdia – Odette Subra et quelques autres – Dubuffet et Céline – Un caveau pour une autre fois (2) – Le colloque « Céline à l’épreuve »

Céline à l’écran

Le réalisateur, Emmanuel Bourdieu, ne s’en cache pas. Son Céline, librement adapté du livre de Milton Hindus, est une commande ¹. Elle émane de Jacques Kirsner, producteur animé autant par son amour du cinéma que par son militantisme ². « Quand on a été trotskiste, on le reste », affirme-t-il volontiers. Issu d’une famille originaire d’Europe centrale (en partie décimée sous l’Occupation), il a été l’un des principaux dirigeants du mouvement trotskiste lambertiste et de l’OCI (Organisation communiste internationaliste). Était-il la personne idoine pour produire un film équitable sur Céline ? Toujours est-il que cette réalisation constitue une charge sans nuances de l’écrivain en exil.  Denis Lavant  surjoue  à l’envi  un Céline simiesque, vociférateur et lubrique. Le  personnage est tellement caricatural qu’il en devient franchement  détestable ³. Objectif atteint. Par ailleurs, bien des libertés sont prises avec la vérité historique.  Ainsi,  la pétition qu’Hindus lança aux États-Unis est présentée comme ayant été décisive pour empêcher l’extradition de Céline. C’est pour le moins exagéré. Le personnage de Lucette (Géraldine Pailhas)  n’est pas davantage conforme  à ce qu’elle fut.  On la voit  menacer Céline de le quitter si Hindus s’en va de manière précipitée (!). Dans la réalité, Lucette fut aussi dévouée que soumise à son époux. Quant à Hindus (Philip Desmeules), il est le parangon du dévouement, alors qu’en fait, il n’hésita pas à rendre public un témoignage défavorable à Céline en attente de son jugement : « Je publie ce livre parce qu’il constitue, après dix ans, une réponse à la polémique que Céline a livrée à ma race ». Ce côté revanchard n’apparaît pas dans ce film dénaturé par un manichéisme sommaire. Un candide éperdu d’admiration face à un démon paranoïaque et sadique, c’est une trouvaille. Ceux qui ignorent tout de la personnalité de Céline, assurément complexe et ambivalente, vivront désormais avec une image bien peu avantageuse de lui, à la grande satisfaction de ses détracteurs ainsi confortés dans leur détestation. Ajoutons que la mise en scène est d’un académisme pesant, ce qui n’arrange rien. L’affiche est surchargée de sens et de symboles comme le film lui-même 4. Après la projection, le constat émis par l’écrivain à la fin de sa vie revient irrésistiblement à l’esprit : « Dieu qu’ils étaient lourds ! ».

• BOURDIEU, Emmanuel : Louis-Ferdinand Céline (Deux clowns pour une catastrophe). 1 h 37. Le film sera diffusé sur la troisième chaîne de la télévision française. Le livre de Milton Hindus a été réédité en 2008 sous le titre (fallacieux) Rencontre à Copenhague (L’Herne).

  1. Ce n’est pas la première. Jacques Kirsner lui avait déjà commandé un film pour la télévision : Drumont, histoire d’un antisémite français (2013).
  2. Dans le second tome de son Encyclopédie politique française (2005), le regretté Emmanuel Ratier lui consacre une notice aussi substantielle qu’édifiante.
  3. Frédéric Vitoux, biographe de Céline, n’est pas moins sévère : « Que nous montre Bourdieu, en somme ? Un petit vieillard fébrile, éructant, gâteux, paranoïaque, voyeur et parfaitement repoussant. Qu’importe si Céline, âgé de 54 ans, était grand et si, même sous ses dehors clochardisants, il témoignait d’une véritable beauté lorsque ses douleurs physiques lui laissaient un instant de répit ! Denis Lavant déploie bien des efforts pour insuffler une forme de pathétique tension à cet homme si contradictoire. Mais où sont les prodigieux monologues de Céline, souvent cocasses, quand il se laissait emporter par son flot oratoire, comme dans un état inspiré où se faisait entendre l’écho ou l’ébauche de ses futurs écrits ? Ils ont disparu avec lui. Restent de pauvres dialogues qui ne sonnent pas juste. » (Le Figaro, 9 mars 2016).
  4. J’emprunte la formule à Pierre Assouline : « Quel célinéma ! », La République des livres, 5 mars 2016.

Vient de paraître

2016-03-BC-Cover
Sommaire : « L’Affaire Céline », polar québecois – Bardamu au féminin : « Voyage au bout de la nuit » adapté par Philippe Sireuil et interprété par Hélène Firla – Un caveau pour une autre fois.

Les fins dernières

Coïncidence : deux livres abordent un thème commun. Les derniers jours, pour l’un, les dernières heures, pour l’autre, d’écrivains réprouvés pour leur engagement politique : Drieu et Céline. Paradoxalement, vous lirez sans doute le premier avec plus d’intérêt que le second. C’est que le livre d’Isabelle Bunisset, écrit comme les romans de Céline à la première personne, ne constitue qu’un démarquage de son œuvre, correspondance et entretiens inclus. Si elle lui accole (dans le prière d’insérer) le sempiternel adjectif « nauséabond », il faut lui reconnaître une certaine empathie envers le personnage, ce qui n’est pas banal par les temps qui courent ¹. Pour lui avoir consacré sa thèse de doctorat il y a quinze ans (sans être revenue sur le sujet depuis), elle est présentée comme une spécialiste de Céline. Le lecteur du BC s’amusera des bourdes dont est truffé ce mince volume de 130 pages. Ainsi, contrairement à ce qui y est affirmé,  Céline n’a pas fait  partie  de l’armée française d’Afrique (p. 29), n’a jamais pratiqué la médecine à Detroit (p. 72), ne se retrouvait pas « chaque dimanche matin » dans l’atelier (?) d’Henri Mahé (confusion manifeste avec Gen Paul), etc.  Ajoutons qu’une céliniste patentée n’aurait pas confondu Le Petit journal illustré (p. 128) avec L’Illustré national dont Louis Destouches fit la quatrième de couverture — et non la « première page », comme erronément indiqué. Par ailleurs, Milton Hindus n’a pas écrit de thèse de doctorat sur Céline (p. 38) et ce n’est pas Madeleine Chapsal (p. 52) qui titra « Voyage au bout de la haine »  sa  fameuse interview de 1957. Certes,  ces erreurs pourront être attribuées au narrateur plutôt qu’à l’auteur mais que penser alors des coquilles qui parsèment l’ouvrage : Brion (au lieu de Brinon, p. 33), Rivol (au lieu de Révol, p. 108), Hubert (au lieu de Hébert, ibid.), Vestre Foengsel (au lieu de Vestre Fængsel, p. 28) ? Tout cela manque assurément de rigueur mais il est vrai que ce « roman » ne s’adresse pas  prioritairement aux céliniens qui estimeront l’initiative assez vaine.L’ouvrage consacré aux derniers jours de Drieu est  plus  intéressant :  il éclaire l’évolution de  cet écrivain attiré par les sirènes de la politique pour mieux résoudre son équation personnelle. Mais pourquoi faut-il qu’à l’occasion de cette parution, un folliculaire, né l’année de la mort de Drieu, le considère  comme  « l’un des plus grands ratages littéraires du dernier siècle » [sic] ² ? À l’instar de tel historien sectaire, il estime son entrée dans la Pléiade usurpée. S’il n’a pas le génie de Céline, Drieu n’en demeure pas moins un romancier au charme certain, faisant preuve d’un véritable sens du style, de l’image et du rythme. Il se trouve qu’un pionnier de la critique célinienne a également été le maître d’œuvre du Cahier de l’Herne consacré à Drieu. Vous aurez reconnu Marc Hanrez.  Lequel fut animé par la volonté de faire apparaître l’écrivain que masquait sa mythologie sulfureuse. Pari réussi et qui a précisément ouvert la voie à son intronisation dans la Bibliothèque de la Pléiade.

• Isabelle BUNISSET, Vers la nuit, Flammarion, 2016, 135 p. (15 €)
• Aude TERRAY, Les derniers jours de Drieu la Rochelle, Grasset, 2016, 234 p. (18 €)

  1. Et son admiration pour l’écrivain n’est pas feinte : « Je voudrais que le lecteur aime son écriture autant que je l’ai aimée. Elle m’a tout donné. Tant d’émotions, tant de poésie… » (Page des Libraires, n° 176, hiver 2016, pp. 10-11).
  2. L’Académie belge serait-elle plus réceptive envers les « maudits » que celle du quai Conti ? Après deux conférences sur Céline l’année passée, elle en accueillera une sur Brasillach (le 19 avril) et une autre sur Drieu la Rochelle (le 18 mai). Elles seront respectivement prononcées par Pierre Somville et Frédéric Saenen, auteur d’une excellente monographie sur Drieu la Rochelle (Infolio, 2015). Signalons par ailleurs la parution de Chroniques des années 30, recueil de textes inédits ou oubliés de Drieu, préfacé par Christian Dedet (Les Éditions de Paris / Max Chaleil).

Vient de paraître

2016-02-BC-Cover

Sommaire : Dictionnaire amoureux de Paris – “Le Masque” et Céline – Céline aux éclats – Céline, lecteur de Nadar – Actualité célinienne

Céline et Marcel Aymé

C’est un fort beau livre, érudit et sensible, que Bernard Morlino consacre aux amitiés littéraires. Il y a plus de trente chapitres. Citons en quelques uns : Rousseau-Diderot ; Huysmans-Descaves ; Péguy-Lotte ; Fargue-Larbaud ; Apollinaire-Rouveyre ; Calet-Guérin ; Blondin-Nimier,… Passionné par l’histoire littéraire, l’auteur parvient à nous rendre vivantes ces amitiés d’autant plus précieuses qu’elles fleurirent dans un monde où l’on se déteste souvent avec passion. Et où la jalousie règne en maître. « Le succès des autres me gêne, mais beaucoup moins que s’il était mérité. », confessait Jules Renard. Le  chapitre qui intéressera particulièrement les lecteurs du BC est celui consacré à Céline et Marcel Aymé.  Bien documenté, Bernard Morlino retrace avec précision l’histoire de cette amitié dont on peut situer l’origine vers 1934 dans l’atelier de Gen Paul. Décor immortalisé par Marcel Aymé dans « Avenue Junot ». Après la guerre, Céline confondait sans doute la teneur de cette nouvelle  (parue en août 1943 dans Je suis partout) avec celle intitulée « La Carte » (parue en avril 1942 dans La Gerbe mais publiée l’année suivante en recueil) car c’est dans celle-ci qu’il est dépeint en antisémite acrimonieux. Céline interpréta ce traitement de Marcel Aymé comme une manœuvre pour se distancier de lui. À tort. L’auteur de La Vouivre continuera par ailleurs à donner des textes (littéraires) à la presse collaborationniste jusqu’en juin 1944 ¹. Mais c’est pour avoir vendu un scénario à la firme allemande « Continental » qu’il écopa d’un blâme à la Libération.

Bernard Morlino voit juste lorsqu’il écrit que « Marcel Aymé fut un ami parfait pour Céline parce qu’il ne l’a jamais jugé et encore moins condamné ». De son côté, Céline l’appréciait et surtout estimait son talent. « Le plus fin des conteurs français actuels », écrira-t-il à l’un de ses correspondants. Ailleurs, il le situe au même rang littéraire que Maupassant. Ce n’est pas rien, d’autant que les compliments envers ses pairs étaient rares sous sa plume. Morlino n’évoque pas l’éloge décerné dans Féerie pour une autre fois (« un ami magnifique ! ») , mais on ne peut tout citer… Ce qui les rapprocha aussi, c’est cet attachement à Montmartre. Céline y eut deux adresses (rue Lepic, puis rue Girardon) ; Marcel Aymé, en eut trois (rue du Square-Carpeaux, rue Paul Féval, puis rue Norvins où il vécut jusqu’à sa mort). Ces rues appartiennent désormais à l’histoire littéraire, ainsi que le fameux square Junot. L’auteur relève opportunément qu’aucune plaque commémorative ne rappelle que Céline habita les lieux, alors que les domiciles de Gen Paul et Marcel Aymé sont signalés aux touristes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Après deux vaines tentatives, la première en 1984, la suivante huit ans plus tard, j’ai jeté l’éponge. Certes il y aura toujours des céliniens pour trouver qu’il est fort bien qu’il en soit ainsi. Idem pour son éviction des « Célébrations nationales » en 2011, idem pour le refus préfectoral de classement de sa maison comme « lieu de mémoire » en 1992, etc. Au moins est-il célébré dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Qui l’est peut-être un petit peu moins depuis qu’une fausse valeur académique l’a intégrée de son vivant.

• Bernard MORLINO. Parce que c’était lui (Les amitiés littéraires de Montaigne et La Boétie à Boudard et Nucéra), Écriture, 2015, 382 p. (24,95 €)

  1. Sur cette période, on peut ne pas être d’accord avec l’auteur lorsqu’à propos d’un voyage d’écrivains français en Allemagne, il évoque, page 179, un « Goebbels, ravi de voir se traîner à ses pieds Drieu la Rochelle, Chardonne et Brasillach, entre autres champions de la reptation [sic]. » Formule d’autant plus excessive que c’est mettre ces trois écrivains dans le même sac alors que les cas ne sont pas comparables.