Archives de l’auteur : Marc

Vient de paraître

2015-10-BC-Cover

Sommaire : Bloc-notes – Une lettre de candidature de Céline à la mairie de Versailles (1927) – D’un exode l’autre (les souvenirs de Thérèse Héritier) – Céline dans L’Illustré national – Céline contre Chronos.

Céline cuirassier

Il y a trente-quatre ans, je publiais dans La Revue célinienne un article d’un jeune chercheur, Daniel Bordet (qu’est-il devenu ?) : « Fin d’une autre légende. Céline  n’a  jamais  fait  la une de L’Illustré national. » ¹.  À l’époque,  aucun célinien n’avait eu en mains le numéro aujourd’hui  centenaire  de  cette revue  éditée par Tallandier. Certains furent abusés par le montage réalisé par le père de Louis Destouches ². Dans la première édition de sa bibliographie célinienne, parue quelques années auparavant, Jean-Pierre Dauphin indiquait que ce dessin avait paru en première page et le datait de décembre 1914 alors qu’il parut près d’un an plus tard, en novembre 1915 ³. C’est que la collection de cette revue n’était alors consultable ni à la Bibliothèque nationale, ni à la  Bibliothèque de l’Arsenal, ni même chez l’éditeur.

Odile Roynette, spécialiste de la Grande Guerre, revient dans un livre savant sur cet épisode glorieux de la vie de Céline et les répercussions qu’il eut dans la formation de sa personnalité. Il y est question de L’Illustré National (voir pp. 7-12) mais aussi de son engagement dans l’armée, de sa convalescence, du séjour en Afrique, et de l’impact de la guerre dans les pamphlets, puis dans sa défense lorsqu’il sera mis en accusation par la justice de son pays.

À la suite de Gaël Richard 4, mais à la différence des biographes même récents, elle précise que Louis Destouches n’a pas été blessé le 27 octobre 1914  mais  deux jours plus tôt,  le (dimanche) 25.  Et cela se serait passé « sur le champ de bataille d’Ypres, à une dizaine de kilomètres au nord-est de cette ville, à proximité de la commune de Poelkapelle. » En mai 1915, il est affecté, comme on sait, au  consulat général de France à Londres : « Une année a suffi pour que le jeune cavalier blessé dans les Flandres  retrouvât non seulement l’usage de son bras, mais sa pleine et entière liberté. Au plus fort de la tourmente, (…) Destouches, venu s’embusquer [sic] au Consulat français de Londres, parvenait à sortir de la nuit. »

Odile Roynette l’assure : Destouches, « opportuniste et adroit tacticien » [resic], eut bien de la veine. Vivant d’abord de manière très atténuée les brutalités de la vie de caserne, il subit, durant les premiers mois de la guerre, une blessure qui, pour être sérieuse, n’est pas grave. Ensuite il bénéficie de protections efficaces grâce auxquelles il quitte la zone de front pour le Val-de-Grâce et des hôpitaux annexes de Paris et sa banlieue. L’année suivante, à Londres, on lui accorde une réforme, dite n° 2, qui le dégage définitivement de toute obligation militaire. Décision  médicale  jugée « plus que complaisante » par l’auteur.

Cerise sur le gâteau : en 1939, il devint « réformé n° 1 », ce qui lui procure, outre quelques menus avantages matériels, le statut de mutilé ayant acquitté pour la nation l’impôt du sang. Honneur dont il se prévaut avec succès pour sa candidature à un humble poste de médecin dans la banlieue rouge. … Fortuné Ferdine !

• Odile ROYNETTE, Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945), Les Belles lettres, 2015.

  1. On l’aura compris : ce titre, choisi par la rédaction, était un clin d’œil à l’article de Jean A. Ducourneau, « C’est la fin d’une légende. Céline n’a jamais été trépané » paru le 17 octobre 1966 dans le Figaro littéraire.
  2. Fernand Destouches avait ajouté par collage le titre du journal (pris à la première page du numéro) ainsi qu’une photographie du cuirassier Destouches en médaillon.
  3. Jean-Pierre Dauphin, Essai de bibliographie des études en langue française consacrées à Louis-Ferdinand Céline, tome I : 1914-1944, Lettres Modernes-Minard, coll. « Calepins de bibliographie », n° 6, 1977, p. [10]. Il indiquait, par ailleurs, « n° 16 » alors qu’il s’agit, en réalité, de la page 16 du n° 52.
  4. Gaël Richard, « Le cuirassier blessé et ses médecins », L’Année Céline 2009, p. 190.

Vient de paraître

2015-09-BC-Cover

En couverture : Emmanuel Ratier (1957-2015) devant la villa « Maïtou », le 1er juillet 2011.

Sommaire : Drieu la Rochelle et Céline – Céline et les femmes – Pierre Mac Orlan et Céline – Bibliographie internationale de l’œuvre de Céline – Mythologie célinienne – In memoriam Emmanuel Ratier.

Drieu la Rochelle et Céline

Au cours d’une  récente  conférence,  Michel Draguet, historien de l’art, professeur d’université et académicien, a prononcé cette phrase : « L’exécution de Robert Brasillach, le 6 février 1945, conduit Drieu la Rochelle à paniquer dans sa cellule quelques jours plus tard et à se suicider ¹. » Soit deux erreurs dans la même phrase : Drieu n’a pas été emprisonné à la Libération et sa décision d’en finir n’était pas due à la panique ni liée à l’exécution de Brasillach (il fit deux tentatives de suicide en août 1944). Voilà bien le genre d’erreurs que l’on ne trouvera pas dans l’excellente monographie que lui consacre Frédéric Saenen.Il y est rappelé l’admiration de Drieu pour Voyage au bout de la nuit, ainsi que cet article pénétrant qu’il signa dans La Nouvelle Revue Française en mai 1941 ². Si leur mode de vie était différent, bien des aspects rapprochent ces deux figures de la même génération (Drieu est né en 1893), marquées à jamais par la Grande Guerre où ils se distinguèrent tous deux. Ce sont des individualistes obsédés par la décadence contemporaine, d’une part, et la montée des périls, d’autre part. Ni Drieu ni Céline ne crurent à l’issue positive des accords de Munich. L’avenir leur donnera raison mais ce qui les condamnera au regard de l’Histoire, c’est qu’ils se retrouvèrent dans le camp de ceux qui souhaitaient la victoire des forces de l’Axe. Ce qui les rapproche aussi, c’est l’anticommunisme et l’on sait que Drieu apprécia le témoignage vécu de Céline tel qu’il s’exprime dans Bagatelles pour un massacre. Lors d’une émission télévisée, Lucien Combelle, qui fut leur ami, affirma avec force que Drieu n’était pas antisémite ³.  Même  si son journal n’avait pas encore été publié, c’était nier l’évidence. Mais, si l’antisémitisme de Drieu était moins virulent (et surtout moins public) que celui de Céline, il n’en demeure pas moins qu’il était patent, les deux considérant que l’influence grandissante et, à leurs yeux, néfaste, des juifs était précisément un révélateur de la décadence européenne.

Sur un plan plus intime, on retrouve chez les deux hommes cet attrait pour la beauté de la femme américaine incarnée chez l’un par Elizabeth Craig et chez l’autre par Connie Wash. Dans une brillante communication, Julien Hervier a mis en valeur un autre élément commun : cette fascination pour le saphisme, regard solaire chez Céline et douloureux chez Drieu tant il s’y mêle quelque obsession masochiste 4.

On le voit, bien des points réunissent ces deux écrivains, à défaut du style tellement différent. Demeure, pour l’anecdote, ce fameux dîner à l’ambassade durant l’hiver 1944 alors que la défaite prévisible exacerbe la rancœur de Céline envers une armée qui n’amena pas « une Révolution avec elle » et qui, plus encore, avait perdu la partie. Les deux hommes en ont gagné une autre au regard de la littérature. La seule bataille qui compte pour des écrivains de cette envergure.

• Frédéric SAENEN, Drieu la Rochelle face à son œuvre, Éditions Infolio, 2015, 198 p. (24,90 €)

  1. Michel Draguet, « Dubuffet – Céline : une rencontre improbable », conférence prononcée le 5 mai 2015 au « Collège Belgique » (Palais des Académies, Bruxelles). [ http://www.academieroyale.be ]
  2. Drieu la Rochelle, « Un Homme, une femme », La Nouvelle Revue française, 1er mai 1941. Repris dans Sur les écrivains, Gallimard, coll. « Blanche », 1982 (nouvelle édition).
  3. Émission « Apostrophes » de Bernard Pivot : « Les intellectuels et la Collaboration», Antenne 2, 1er décembre 1978 (avec Henri Amouroux, Lucien Combelle, Dominique Desanti, Jean-Pierre Maxence, etc.)
  4. Julien Hervier, « Céline et Drieu : une rencontre à distance », Études céliniennes, n° 8, printemps 2013, pp. 53-63. (Communication au colloque « Autour de Céline » organisé le 9 novembre 2011 par la Fondation Singer-Polignac et la Société d’Études céliniennes.)

 

Vient de paraître

En couverture : illustration inédite de José Correa.

Sommaire : In memoriam Alphonse Juilland – Céline et Ramuz – La correspondance Chardonne-Morand (volume 2) – Céline dans Paroles françaises (II) – André Thérive : « Casse-pipe » (1950)

Céline repêché

Frères céliniens, qui après moi vivrez, peut-être ne connaîtrez vous jamais une ambiance chaleureuse comme celle qui réunit, le mois passé, quelques uns des co-auteurs (et lecteurs) du  Céline’s big band  publié  sous  les auspices  d’Émeric Cian-Grangé ¹. Singulière assemblée où personne n’entama l’antienne mille fois ressassée du « génial-écrivain-insondable-salaud » ².C’est dire si l’on n’était guère en communion d’esprit avec le sentencieux Régis Debray qui, le traitant de « salaud de première » [sic] ³, blâme la manière dont il est « repêché » par certains thuriféraires maladroits. Soit. Mais n’est-ce pas marginal ?  Écoute-t-il ou lit-il les mêmes commentaires que moi ? Est-il certain que l’on fasse preuve d’une grande magnanimité envers Céline alors même qu’on ne peut pas lire un article sur lui sans qu’il n’y soit systématiquement rappelé ses fautes ?  Lorsqu’il s’agit de le qualifier, Régis Debray, lui, enchaîne les clichés convenus, tel « cabotin de l’égout » qui était déjà l’expression qu’utilisait certain aristarque obtus à la parution de Mort à crédit. 

   Debray se voit en Candide. Il faut l’être assurément pour s’étonner que les génies soient rarement irréprochables sans être pour autant rejetés dans les ténèbres extérieures par leurs contemporains. Mais lorsqu’on a été complice de l’imposture communiste, puis castriste 4, est-on vraiment la personnalité idoine pour tancer d’illustres confrères ayant frayé avec l’inacceptable ?

Dans ce chapitre, Debray tacle aussi Philippe Sollers. Il devrait plutôt méditer l’édifiante (et humoristique) liste de proscription que celui-ci avait imaginée : « Gide, le pédophile Nobel ; Genet, le pédé ami des terroristes ; Henry Miller, le misogyne sénile ; Georges Bataille, l’extatique à tendance fasciste ; Antonin Artaud, l’antisocial frénétique ; Jean-Paul Sartre, le bénisseur des goulags, Louis Aragon, le faux hétérosexuel chantre du KGB ; Ezra Pound, le traître à sa patrie mussolinien chinois ; Hemingway, le machiste tueur d’animaux ; William Faulkner, le négrier alcoolique ; Nabokov, l’aristocrate papillonaire pédophile ; Voltaire, le hideux sourire de la raison dénigreur de la Bible et du Coran, totalitaire en puissance ; le marquis de Sade, le nazi primordial ; Dostoïevski, l’épileptique nationaliste ; Flaubert, le vieux garçon haïssant le peuple ; Baudelaire, le syphilitique lesbien ; Marcel Proust, l’inverti juif intégré ; Drieu La Rochelle, le dandy hitlérien ; Morand, l’ambassadeur collabo ; Shakespeare, l’antisémite de Venise ; Balzac, enfin, le réactionnaire fanatique du trône et de l’autel 4 ». Peu d’entre eux étaient des « salauds » mais quasi  tous étaient de grands écrivains. Debray constate qu’il n’y a pas de cause perdue en littérature. C’est heureux. Seule la postérité fait le tri. Le reste est l’affaire des biographes qui ne sont d’ailleurs pas tous d’accord entre eux.

  1. Émeric-Cian Grangé, Céline’s big band, Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2015.
  2. Cela se passait le 13 juin à la librairie-galerie « D’un Livre l’autre » d’Émile Brami, sise 2 rue Borda dans le 3ème arrondissement de Paris, à deux pas du square des Arts-et-métiers cher à Céline.
  3. Régis Debray, « Céline repêché » in Un Candide à sa fenêtre (Dégagements II), Gallimard, 2015, pp. 370-374.  Pour une réédition éventuelle, je lui signale que Céline écrit Bagatelles au pluriel. Et, accessoirement, que le nom de sa veuve s’écrit « Almanzor » (et non « Almenzor »).
  4. Reconnaissons que Debray est venu à résipiscence et porte désormais un regard sévère sur le communiste, le compagnon de route de Castro et Guevara, et le mitterrandiste déférent qu’il fut tour à tour.
  5. « Céline l’infréquentable », entretien avec Jean-Pierre Martin et Philippe Sollers in Alain Finkielkraut (sous la direction de), Ce que peut la littérature, Gallimard, coll. « Folio », 2008.