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Dénigrement

Il ne faut pas s’y tromper. Nonobstant sa consécration dans La Pléiade et la multiplication de « hors-série » à lui consacrés ¹, une hostilité latente envers Céline se profile dans le milieu universitaire. Les étudiants qui souhaitent entreprendre une thèse sur l’écrivain rencontrent de plus en plus de difficultés à trouver un professeur qui accepte de patronner et diriger leur travail. Récemment, un professeur de faculté n’a-t-il pas répondu à une étudiante qui le sollicitait : « Si vous vous intéressez à Céline, c’est que vous êtes antisémite. » [sic] ?  Le cas n’est pas isolé et atteste d’une régression manifeste.

Il ne s’agit pas seulement de condamner l’individu-Céline mais aussi de contester sa valeur d’écrivain. Ainsi, dans un dossier consacré à la droite radicale, une journaliste du Monde diplomatique s’en prend à tous ceux qui, de Kundera à Sollers en passant par Godard ou Zagdanski, défendent l’écrivain au-delà des positions idéologiques qu’il a prises dans les années trente et quarante ². Il y a bien ici une volonté affirmée de contester l’importance de l’œuvre, allant même, dans sa conclusion, jusqu’à faire sienne l’appréciation d’un Houellebecq : « Je ne tiens pas Céline pour un génie, mais pour un bon auteur un peu surfait, assez péniblement maniériste sur la fin. » Il faut noter que Céline n’est pas le seul objet de l’aversion de cette journaliste : dans le même article, elle s’étonne de l’entrée dans La Pléiade de Drieu La Rochelle, qualifié d’écrivain « fluet » et « ressasseur » (?) et n’a que mépris pour « les petits Jacques Chardonne et Paul Morand ». Où l’on voit que les convictions militantes entravent un jugement littéraire serein.

Paradoxalement, cette dépréciation n’échappe pas aux cénacles céliniens. Lors du dernier colloque de la Société d’études céliniennes, une doctoresse bardée de diplômes n’a-t-elle pas qualifié Céline de « bateleur » ?  Ce terme, un tantinet péjoratif, est-il le plus adéquat pour définir l’auteur de Nord ?  Là, où c’est plus tendancieux, c’est lorsqu’elle affirme de manière péremptoire que Céline « tapa dans la caisse de la S.D.N. » [sic].  Les reproches qui peuvent légitimement être adressés au citoyen Destouches ne sont-ils pas assez graves qu’il faille en ajouter d’autres, non étayés ? À la suite de François Gibault et d’Éric Mazet ³, rappelons que la S.D.N. se borna à lui demander de justifier des comptes au retour d’Amérique et d’Afrique (1925), suite à la défection d’un confrère sud-américain. Si Destouches avait commis une malversation, la S.D.N.  lui aurait-elle  par la suite  confié d’autres missions ?  Poser la question c’est y répondre 4.

Une  lecture singulière du corpus litigieux amène par ailleurs cette céliniste à considérer que Céline fit preuve d’« opportunisme » en écrivant Les Beaux draps. Dès le prologue, dauber sur Vichy – et donc Pétain alors au faîte de sa popularité –, était-ce vraiment faire preuve d’opportunisme ? Cela se discute…

Ce qui est plus complexe à appréhender, ce sont  les ressorts du dénigrement systématique de Céline dans toutes les étapes de sa vie d’homme.

  1. Le dernier en date : « Céline. Entre génie et provocation » (Le Monde, « Une vie, une œuvre ») [sous la direction d’Émile Brami], juillet-août 2014, 122 p., ill. Prix : 7,90 €
  2. Évelyne Pieiller, « Céline mis à nu par ses admirateurs, même » in Agone [Histoire, politique, sociologie], n° 54 (« Les beaux quartiers de l’extrême droite »), 2014, pp. 147-159. Prix : 20 €.
  3. Cf. Éric Mazet, « Voyages », BC n° 364 (juin 2014), pp. 10-23 & n° 365 (juillet-août 2014), pp. 11-23.
  4. Par ailleurs, si le capitaine Johnston-Watson, gestionnaire de la Section d’Hygiène de la SDN, avait constaté des malversations, aurait-il conservé de confiantes relations avec Louis Destouches, allant même jusqu’à permettre le financement, en 1930, de voyages de celui-ci en Scandinavie alors qu’il avait quitté la SDN ?

Céliniens historiques

Au moment où ce Bulletin vous parvient, le colloque Louis-Ferdinand Céline se tient à Paris. Cette 20ème édition m’offre l’occasion de saluer, une fois encore, ces céliniens émérites qui, à la suite d’un colloque oxfordien (1975), décidèrent de créer, l’année suivante, une Société d’études céliniennes. Son but ? « Réunir, en dehors de toutes passions politiques ou partisanes, tous ceux qui, lecteurs, collectionneurs ou chercheurs, s’intéressent à l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline et de favoriser par tous moyens la connaissance de l’œuvre de l’écrivain ».

Outre Antoine Gallimard, quatre personnalités (qualifiées depuis  « céliniens historiques ») en furent les fondateurs : Philippe Alméras ¹, Jean-Pierre Dauphin (†), François Gibault et Henri Godard. Étonnamment, celui-ci, dans un livre qui évoque précisément ces années ²,  n’en fait pas état alors même qu’il mentionne Dauphin ³, à la base, dès le début des années 70, du renouveau des études céliniennes.

S’il convient de se méfier des inconditionnels de Céline (qui ont tendance à l’exonérer en tout), il faut tout autant se garder de ceux qui versent dans un « militantisme citoyen ». Lequel ne fait pas toujours bon ménage avec l’approche littéraire. Ainsi, une nouvelle génération de célinistes s’est levée pour dénoncer ceux qui cèdent « à la fascination que peuvent susciter Céline et son œuvre » 4. Fasciné, le lecteur de Céline devient rapidement suspect. On s’éloigne ainsi d’une certaine sérénité qui présidait aux premiers âges de la société. François Gibault, lui, s’est toujours placé au-dessus de la mêlée,  entretenant les meilleures relations avec les uns et les autres 5.

Le thème du dernier colloque, Céline et l’enfance, est assurément prometteur si l’on en juge par quelques intitulés de communications : « Lire Shakespeare dans Guignol’s band » ; « L’enfant comme enjeu politique dans Les Beaux draps de L.-F. Céline » ; « Les utopies contre-éducatives céliniennes » ; « Entre apocalypse et utopie : les scènes d’enfant dans la trilogie allemande » ; « Céline – Fellini : l’enfance des visionnaires » ; etc.

Ce colloque sera pour moi l’occasion de renouer des liens avec les membres de cette confrérie singulière que l’on nomme les céliniens. Il en existe autant de sortes que de variétés de plantes d’appartement. Au moins s’accordent-ils tous sur un point : l’attachement à une œuvre qui n’a pas fini de susciter commentaires et exégèses — phénomène qui contredit ceux qui, tel Montherlant, lui prédisaient un retentissement éphémère.

  1. Il en fut le premier président. Il signe dans ce numéro un point de vue qui lui est propre. Les deuxième et troisième furent André Lwoff (†) et Gérald Antoine (†). Depuis 1987, le quatrième président est François Gibault qui est aussi le conseil de Lucette Destouches.
  2. Henri Godard, À travers Céline, la littérature, Gallimard, 2014.
  3. Dès 1974, Jean-Pierre Dauphin confia un important fonds documentaire à l’Université Paris VII (Jussieu), à charge pour elle de créer et d’ouvrir au public une « Bibliothèque L.-F. Céline ». En avril 1977, sa rencontre avec Pascal Fouché aboutit à la création d’une nouvelle association, la « Bibliothèque de littérature française contemporaine» (BLFC), tandis que la « Bibliothèque Louis-Ferdinand Céline » était placée sous la direction de Henri Godard.
  4. Isabelle Blondiaux, « Pourquoi lire Céline ? » in Céline et l’Allemagne (Actes du Dix-neuvième colloque international Louis-Ferdinand Céline), Société d’études céliniennes, 2013, p. 60.
  5. Dans son dernier livre, Libera me (Gallimard, 2014), conçu comme un abécédaire, il évoque la SEC dans un article consacré à André Lwoff : « Il nous fallait un porte-drapeau, surtout qu’à l’époque s’intéresser à Céline était encore suspect. (…) Un Nobel à notre tête, membre de l’Académie des sciences et de la Française, grand-croix de la Légion d’honneur, nous avions de quoi clouer quelques becs. ».

Henri Godard

Quel homme secret que Henri Godard ! Il aura donc attendu quarante ans pour nous confier que, jeune étudiant, il rencontra Céline à Meudon. Ébloui par la lecture de D’un château l’autre, il décida, deux ans après sa parution, de le voir avec un camarade de faculté. Sa réputation d’antisémite et de collaborateur n’y fit pas obstacle. D’autant, précise-t-il, qu’il n’avait pas encore lu les pamphlets. Prétexte de cette rencontre : poser l’une ou l’autre question sur Rabelais (au programme de l’agrégation) dont une édition venait de paraître avec, en guise de préface, une interview de l’écrivain maudit. Coïncidence : en 1985, Bernard Pivot, à l’issue de son émission « Apostrophes » (à laquelle participait Henri Godard) demanda à ses invités ce qu’ils auraient à dire à Céline s’il réapparaissait là, devant eux. On se souvient encore du refus embarrassé (et télégénique) de Godard. C’était pourtant le moment de révéler qu’en fait, il avait, lui, réellement rencontré Céline. « Mais le temps manquait pour entrer dans le détail », écrit-il aujourd’hui. Est-ce à dire que si le temps n’avait pas manqué, il eût fait cette révélation ?  Rien n’est moins sûr car dans aucune autre interview, ni avant ni après cette émission, il n’a relaté cet épisode marquant. On ne peut s’en étonner, la carrière universitaire étant semée d’embûches.  À cette époque, le fait d’être céliniste était déjà suspect en soi. Qu’aurait-on dit dans ce microcosme bien-pensant si l’on avait su que le jeune Henri Godard avait fait la démarche de rencontrer le « monstre » ? Au-delà de cette anecdote, ce qui frappe le lecteur du livre, c’est son extrême vulnérabilité face au soupçon qui pèse sur tout admirateur de Céline. Dans son cas, ce fut même douloureux. Au détour d’une page, il nous confie que son « entourage proche » et « [s]es amis juifs en particulier » auraient préféré qu’il s’attachât à un autre auteur. Pas commode de travailler sur Céline au sein de l’Alma Mater ! A fortiori si l’on est en butte à la famille, aux amis, aux collègues et même aux critiques. Godard cite ce journaliste affirmant que l’intérêt pour Céline est « hautement ambigu ». Il aurait tout aussi bien pu citer ce philosophe et ancien ministre de l’Éducation Nationale, estimant, lui, que l’admiration suscitée par l’écrivain est « pour le moins douteuse » [sic]. Tel quel, cet ouvrage est précieux, en particulier parce qu’il retrace l’histoire du célinisme dont Godard fut un acteur important. Le plus bel hommage qui lui a été rendu demeure celui de Jean-Paul Louis :  « Ses préfaces [dans la Pléiade, ndlr], lues à la suite, forment le plus beau discours critique sur Céline. (…) Je trouve Henri Godard amoureusement fidèle au texte, dont il souligne et enrichit encore la force et les hardiesses, sans compter les découvertes en tout genre qui ont donné à son travail un relief saisissant ¹.»

Faut-il ajouter que je souscris entièrement à cet éloge ² ?

  • Henri GODARD, À travers Céline, la littérature, Gallimard, coll. « Blanche », 2014, 217 p.

 

  1. Jean-Paul Louis, « Reconnaissance à Henri Godard » in Le Lérot rêveur (Autour de Céline, 3), n° 57, printemps 1994, pp. 27-28.
  2. C’est pourquoi je regrette qu’il ait finalement décliné la proposition d’entretien formulée par notre collaborateur Émeric Cian-Grangé, alors même qu’il lui avait donné son accord il y a deux ans, mais reporté à la parution du livre.

Serge Perrault

Notre ami Serge Perrault nous a quittés en mars dans sa 94ème année. Avec lui disparaît l’un des derniers témoins de Céline. La première fois que je le vis, c’était en 1969 devant le petit écran ¹. Il avait alors cinquante ans. Michel Polac le « cuisinait » sur l’attitude de Céline sous l’Occupation dont il avait précisément fait la connaissance à cette époque.  De manière maladroite et touchante, il s’efforça de minimiser l’engagement de l’écrivain, ainsi que son antisémitisme : « Il était anti-tout finalement. C’était une espèce d’anarchiste avec des accès de fièvre, de lyrisme. C’était pas sérieux. ». Là où il était davantage pertinent, c’est lorsqu’il évoquait la compassion du médecin envers les démunis. Et sa pudeur lorsqu’on le surprenait à faire le bien. C’est qu’il avait perçu la personnalité profonde de Céline, très éloignée des jugements sommaires portés après guerre. De 1941 à sa mort, Serge Perrault eut l’occasion de nuancer son appréciation de l’homme qu’il avait bien connu, d’abord à Montmartre, puis à son retour d’exil, à Meudon.

Tous ceux qui ont connu Serge garderont de lui l’image d’un homme attachant. Après la mort de Céline, il fut d’une fidélité exemplaire envers Lucette, demeurant un familier de la villa « Maïtou ». À la façon dont il en parlait, je le soupçonnais même d’avoir été secrètement amoureux d’elle. En 1991, il accepta de participer à une table ronde sur Céline que j’organisai à Paris avec Boudard, Bastier, Chambrillon et Monnier. L’année suivante, il vint présenter son livre à Bruxelles lors de la deuxième « Journée Céline » qui réunit plusieurs amis céliniens. Éric Mazet, qui avait également fait le déplacement, lui a rendu un bel hommage, soulignant sa modestie, son humour, sa distinction et sa droiture, parmi d’autres qualités ². Il faudrait également saluer le courage qui fut le sien lorsque, après une longue interruption, il reprit la danse à l’âge de vingt ans. Et c’est précisément grâce à la danse qu’il fit la connaissance de Céline et de Lucette, au cours de Blanche d’Alessandri. De 1943 à 1947, il fut danseur à l’Opéra de Paris, puis intégra la Compagnie de Roland Petit, avant de commencer l’enseignement de la danse,  à la fin des années cinquante. Malicieusement, Serge Perrault disait que, dans son livre, il avait « fait son Lenotre », voulant dire que, rassemblant quelques anecdotes vécues, il avait voulu restituer l’authentique Céline ³. Il y a quelques années, il nous avait accordé un entretien dont nous reproduisons quelques extraits dans ce numéro.

Nous avons également appris le décès de Vera Maurice survenu dans sa 78ème année. Née Vera Maria de Castilho Cintra, cette céliniste d’origine brésilienne était l’auteur d’une imposante thèse de doctorat, Dialogue des écrits médicaux de Louis Destouches et de l’imaginaire romanesque célinien (L.-F. Céline, parole et ordonnances), soutenue en 1995 à l’Université Paris VII. Auteur d’études originales, elle avait également consacré son mémoire de maîtrise et de DEA à l’œuvre de Céline 4. Elle présenta plusieurs communications aux colloques de la Société d’Études céliniennes et signa divers articles dans le Bulletin. C’était une céliniste à la fois intuitive et rigoureuse.

  1. Émission de Michel Polac, « Bibliothèque de poche. D’un Céline l’autre », O.R.T.F., mai 1969.
  2. Le Petit Célinien, 19 mars 2014 [http://www.lepetitcelinien.com]
  3. Serge Perrault, Céline de mes souvenirs, Du Lérot, 1992.
  4. Jules Larpente ou les couleurs de l’Apocalypse. Étude d’un personnage célinien à travers Maudits soupirs pour une autre fois, Féerie pour une autre fois I et Normance(mémoire de maîtrise, Université de Paris VII, 1988) ; La tapisserie de l’Enfant prodigue. Les résonances du séjour à Puteaux dans l’écriture célinienne (mémoire de DEA, Université de Paris VII, 1991). Références extraites de Tout Céline, bibliographie à paraître.

Sigmaringen

Il fallait oser. Se lancer, après le chef-d’œuvre de Céline, dans un roman ayant pour cadre Sigmaringen relevait du défi. Pourtant cela faisait longtemps que Pierre Assouline portait ce livre en lui. Disons d’emblée que c’est une réussite.

Le lecteur est plongé, 70 ans après les évènements, dans l’atmosphère crépusculaire du château où se réfugièrent collaborateurs (ministres et hauts fonctionnaires de Vichy) et collaborationnistes (miliciens et militants du PPF et du RNP).

Cette réussite tient notamment au fait que le romancier s’est documenté avec la rigueur de l’historien (qu’il est aussi), se rendant à trois reprises sur les lieux et lisant toute la documentation existante sur le sujet (dont le journal inédit de Marcel Déat). Celui-ci et tous les autres personnages familiers au lecteur de la trilogie allemande (Pétain, Laval, Brinon, Luchaire, Darnand,…) figurent naturellement dans ce roman où le dérisoire le dispute au tragique. Et le docteur Destouches est aussi l’un des personnages de cette tragi-comédie. Ce que l’auteur lui fait dire sonne d’autant plus juste qu’il s’agit, le plus souvent, de propos réels ou attestés par des témoins. Ainsi, cette réplique lancée à ceux qui croient encore en la victoire allemande : « Je considère tous ces bafouillages propagandistes comme odieux ! Je considère que Sigmaringen est une banlieue de Katyn ! Et vous allez bientôt tous faire les frais de cette ignoble connerie ! ». Ou cette invective visant Léon Degrelle venu plastronner en ville : « Quel est ce roi des cons qui ne fera même pas un beau pendu avec sa gueule de jean-foutre ? ».

L’originalité de cette fable sur l’obéissance tient au fait que les évènements sont vus par un Allemand. Le paradoxe étant que ce majordome, dévoué au prince de Hohenzollern, est contraint de servir ceux qui firent allégeance à cette Allemagne  dont il réprouve l’idéologie. Pierre Assouline campe ici une belle figure de serviteur partagé entre des sentiments contradictoires. Et qui rappelle irrésistiblement celui interprété par Anthony Hopkins dans un film fameux dont l’auteur s’est d’ailleurs inspiré. Manifestement à son affaire, Assouline, inspiré, fait revivre ce huis clos fait de secrets, de sentiments exacerbés et de contrastes, la barbarie moderne côtoyant ici ce que la civilisation germanique eut de meilleur. On connaissait déjà le biographe perspicace. Avec ce livre, Pierre Assouline confirme son talent de romancier.

Remo Forlani caressa longtemps un projet d’adaptation cinématographique de D’un château l’autre ¹. Après avoir lu Sigmaringen, on ne peut s’empêcher de rêver au film qui pourrait aussi en être tiré. Ambiance, décor, personnages, intrigue, tout s’y prête à merveille. Autre défi à relever…

 

  • Pierre ASSOULINE, Sigmaringen, Gallimard, coll. « Blanche », 2014, 362 p. (21 €)

 

→ Dans un tout autre genre, il faut lire les souvenirs de Philippe DRUILLET, Delirium. Autoportrait (avec David Alliot). Quel rapport avec le roman évoqué ici ? C’est que le petit Philippe Druillet fut soigné par le docteur Destouches à… Sigmaringen où s’était réfugié son père milicien. Au-delà de cette anecdote peu commune, cette évocation d’une vie, où les drames alternent avec de grands moments d’exaltation créatrice, frappe par sa force et son accent de sincérité. En raison d’une « langue crue, imagée, violente, grossière, inventive », Pierre Assouline  décèle à juste titre une parenté avec Céline (« La République des livres », 15 janvier 2014). Éditions Les Arènes, 2014, 274 p. (17 €)

  1. Depuis plusieurs années, Christophe Malavoy nourrit également un projet d’adaptation de D’un château l’autre ; pour convaincre plus facilement les producteurs, il adapte actuellement le scénario en bande dessinée, en collaboration avec Paul et Gaëtan Brizzi (pour les dessins). Cet album devrait paraître l’année prochaine aux éditions Futuropolis.

Le festin des loups

Les forces de l’Axe ont perdu la bataille mais les personnalités qui l’illustrèrent la gagnent en librairie. Les biographies de Goering, Himmler et Goebbels « cartonnent » et les ouvrages sur la Collaboration s’arrachent.  Dans son dernier livre, David Alliot esquisse le portrait de quelques-unes de ces figures. Hormis quelques détails, ceux qui connaissent cette période n’y apprendront strictement rien, mais il est vrai qu’il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation. « Collabos, profiteurs et opportunistes sous l’Occupation », tel est le sous-titre du livre. On imagine ce qu’en aurait pensé un Lucien Combelle ou un Henri Poulain, amis de Céline que j’ai un peu connus. Si la Collaboration compta dans ses rangs des êtres sans scrupules et sans idéal, il y eut aussi des écrivains, des journalistes et des militants qui crurent de bonne foi à la justesse de leur combat. Après avoir lu cet ouvrage, la jeune génération risque de mettre tout ce monde dans un même sac peu ragoûtant. Sur cette période, on peut préférer relire Henri Amouroux qui, sans être historien de formation, nous a laissé un travail d’une rare équité.

On ne s’étonnera pas que, sous la plume de David Alliot, Céline constitue le fil rouge du livre. Il est naturellement présent dans les chapitres sur Olier Mordrel, Hermann Bickler et George Montandon qu’il fréquenta. Lui-même occupe un chapitre intitulé « D’un château l’hôte » (!). Alliot y retrace son parcours du 17 juin 1944, date de sa fuite, à sa mort, avec quelques retours en arrière pour expliquer les raisons de son antisémitisme. Occasion de citer, avec l’autorisation de l’ayant droit, quelques extraits de Bagatelles. Dont cette cruelle et drolatique métaphore sur la noblesse française qui  « a sucé  plus de foutre juif  qu’il n’en faut  pour noyer  la plaine d’Azincourt ». Découvreur de pépites, David a même déniché le témoignage inédit d’un haut fonctionnaire de Vichy qui rencontra Céline à Sigmaringen.

Naïade au maillot et déhanchement provocants, Maud Sacquard (alors future baronne de Belleroche) est, comme on sait, passée à la postérité littéraire grâce à un passage fameux de Nord. L’auteur a recueilli les propos de l’intéressée : « Céline m’aimait beaucoup, mais là, il exagère un peu. C’était l’été, il faisait beau. Je prenais soin de mon corps, et comme j’ai toujours aimé nager… Mais de là à exciter les hommes… ». À propos du couple Sartre-Beauvoir, l’auteur synthétise ce que Gilbert Joseph nous a révélé de leur attitude sous l’Occupation, et rappelle opportunément un incident qui eut lieu en février 2011 lors du colloque sur Céline organisé à Beaubourg (j’y étais) : « Une petite universitaire de province provoqua l’hilarité du public en affirmant avec un aplomb stupéfiant que Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir avaient résisté pendant la Seconde Guerre mondiale. La sérénité ne revient dans la salle qu’après un péremptoire « Taisez-vous ! » lancé par l’intéressée. »

Dans sa conclusion, David Alliot pose curieusement la question : « Fallait-il fusiller Robert Brasillach ? ». L’ancien avocat général Philippe Bilger a donné la réponse : « On peut tourner le problème dans tous les sens, accabler Brasillach autant qu’on le veut, avoir la nausée à la lecture de ses articles, le prendre pour un écrivain surestimé et un journaliste haineux, rien, jamais, ne parviendra à justifier cette froide résolution mise en œuvre par une cour d’exception et validée par un général de faire disparaître un esprit, une âme, une vie de la surface de la France ¹. »

  • David ALLIOT, Le Festin des loups, Librairie Vuibert, 2014, 280 p. (19,90 €).

 

  1. Philippe Bilger, 20 minutes pour la mort. Robert Brasillach : le procès expédié, Éd. du Rocher, 2011.