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Pol Vandromme

Quoi de plus naturel que de rendre hommage à Pol Vandromme qui nous a quittés au printemps ? Il fut l’un des premiers à signer une monographie sur Céline auquel il consacra, par ailleurs, trois autres essais que j’ai édités jadis sous l’égide de La Revue célinienne. Le premier, Robert Le Vigan, compagnon et personnage de L.-F. Céline, parut en 1980. Pol avait alors l’âge que j’ai aujourd’hui. Que l’on m’autorise cette confidence personnelle : le jeune homme que j’étais fut à la fois éberlué et ébloui de se voir proposer par ce  grand critique  l’édition  de  son prochain livre. Perplexe aussi car il ne connaissait alors rien à l’édition. Sans doute l’auteur ne fut-il pas mécontent de son éditeur néophyte puisqu’il lui confia le soin d’éditer deux autres livres sur le même sujet : Du côté de Céline, Lili (le premier livre consacré à Lucette) et Marcel, Roger et Ferdinand (sur les relations croisées entre Marcel Aymé, Roger Nimier et Céline). Devaient suivre un livre sur Brassens, un pastiche (célinien), deux pamphlets politiques et la réédition de son unique roman, Un été acide. Oui, Pol est le seul auteur dont j’ai édité huit livres !

Ce fut le début d’une belle amitié qui se manifestait surtout par de longues conversations téléphoniques : Pol Vandromme aimait à me lire des pages de son prochain livre ou commenter l’actualité. Le plus passionnant était de l’entendre évoquer l’histoire littéraire ou politique de l’avant-guerre à aujourd’hui. Son immense culture et son goût littéraire très sûr avaient assurément de quoi fasciner le béjaune de trente ans son cadet.

Dès le début de sa vie journalistique, Vandromme défendit Céline écrivain.  Vint, quelques années plus tard, ce petit essai paru dans une collection consacrée aux « classiques du XXe siècle ». « Quelle était en 1963 la situation de Céline ? », se rappelait-il lors de sa réédition. « En gros, celle-ci, auprès de l’opinion dominante : ce ne pouvait être un grand écrivain parce que c’était un salaud. Quand Céline fut pris en charge par les glossateurs universitaires qui l’admiraient en linguistes pédants, on recourut au subterfuge d’un manichéisme spécieux : il ne cessait pas d’être un salaud, mais on consentait à reconnaître qu’il ne l’avait pas toujours été, du moins dans son œuvre. Il y avait donc le bon Céline, celui du Voyage et de Mort à crédit, et le mauvais, celui de Bagatelles pour un massacre et de L’École des cadavres». Précisément, sur ces écrits appelés improprement « pamphlets », Pol donna, la même année, une interprétation originale aux « Cahiers de l’Herne »  de Dominique de Roux ¹.

Celui-ci  affirmait qu’il n’existe que trois catégories de critiques : ceux qui ne savent pas lire, ceux qui ne savent pas écrire, et ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Pol Vandromme, lui, appartenait à la quatrième : ceux qui savent à la fois lire et écrire. Il nous laisse une impressionnante somme d’essais où l’analyse littéraire prédomine. Mais il est aussi l’auteur de livres plus personnels comme ses souvenirs de jeunesse et de journaliste, ainsi que des évocations, parfois lyriques, de ce pays hennuyer qu’il a tant aimé ².

Que ce numéro du BC à lui entièrement consacré suscite le désir de découvrir son œuvre vaste et multiple. Elle le mérite assurément.

  1. « L’esprit des pamphlets », L’Herne, n° 3, 1963, pp. 272-276.
  2. À ceux qui ne connaissent pas cette partie de son œuvre, il faut conseiller la lecture d’Une mémoire de Wallonie. Mon pays d’hier à demain (Éditions Racine, 1996), Bivouacs d’un hussard (La Table ronde, 2002), Un garçon d’autrefois. Souvenirs de jeunesse (Éditions du Rocher, 2003) et Libre parcours (Éditions du Rocher, 2005).

Michel Mouls

Lorsque mon vieil ami Michel Mouls me proposa d’organiser une réunion célinienne dans son village de Puget-sur-Argens (Var),  j’avoue  que j’ai hésité.  Au siècle précédent,  la fameuse « Journée Céline » eut toujours lieu à Paris face à un public d’une centaine de personnes. Logique  : c’est en Ile-de-France que le Bulletin célinien compte le plus d’abonnés. Et c’est sans doute en Provence qu’il en compte le moins.  Y organiser ces « Journées de Rencontres céliniennes » relevait donc de la gageure.  D’une part,  il fallait  convaincre  les invités d’effectuer un long déplacement en train ou en voiture : François Gibault (Paris), Pierre Lainé (Bretagne) et Paul Yonnet (Normandie) acceptèrent sans barguigner ; Nicole Debrie (Hyères) vint en voisine ¹. D’autre part, il fallait faire venir les céliniens de la région mais aussi d’ailleurs. Pari tenu : une cinquantaine de personnes assistèrent à notre journée alors qu’on en espérait une trentaine.

Certains vinrent de villes voisines  (Fréjus, Sainte-Maxime, Nice, Vallauris,…) ; d’autres de beaucoup plus loin (Bruxelles, Anvers, Genève, Lille, Paris,…).

L’idée du cher Michel Mouls consistait à étaler cette rencontre sur trois jours : le vendredi destiné à une prise de contact (un dîner réunit les premiers arrivés le soir) ; le samedi consacré au colloque proprement dit ; et le dimanche voué à la détente et au tourisme dans ce superbe département provençal. Quelques abonnés, venus de loin, en profitèrent pour y rester au-delà du week-end.

La municipalité de Puget-sur-Argens mit à notre disposition une belle salle et offrit un généreux buffet aux participants : il est rare, soulignons le, qu’une initiative célinienne soit aussi favorablement accueillie par les autorités. Mieux : le maire en personne, M. Paul Boudoube, ouvrit le colloque par une allocution chaleureuse et nuancée à l’égard de l’écrivain. Concédons que Céline n’a guère l’habitude d’être ainsi traité par les représentants de l’État français !

Les participants ont eu la gentillesse de me dire l’intérêt qu’ils avaient trouvé à cette journée. Je crois pouvoir le dire moi-même : que ce soit Nicole Debrie (sur Céline et l’individuation), François Gibault (sur un étonnant parallèle entre Céline et Dubuffet), Pierre Lainé (sur Joseph Garcin et Marcel Lafaye, modèles biographiques de Cascade et de Bardamu) ou Paul Yonnet (sur sa lecture de Voyage au bout de la nuit), tous ont su captiver le public par leurs connaissances et propos pertinents sur le sujet. La projection du film « Une légende, une vie » (1976), une table ronde sur le thème « Céline aujourd’hui » et une grande librairie célinienne (proposant éditions originales, raretés, mais aussi livres neufs) complétèrent ce robuste programme  qui se clôtura, le soir, par un repas gastronomique.

L’avenir dira si cette initiative sera renouvelée. La preuve est en tout cas faite que, loin de la capitale, une réunion célinienne peut être organisée avec succès. Que tous ceux qui nous ont aidé, Michel Mouls et moi, à la mettre sur pied trouvent ici l’expression de nos vifs remerciements ².

  1. En couverture (de gauche à droite) : Pierre Lainé, Marc Laudelout et Michel Mouls. Assis : François Gibault et Paul Yonnet.
  2. Notamment Patrick Ferrette, remarquable lecteur des textes (de Céline, Jean Dubuffet et Paul Yonnet), et Jean Lapeyre, bouquiniste niçois (voir en page 24), qui nous aida à proposer une librairie bien achalandée en livres de et sur l’écrivain.

Kundera

On sait que Milan Kundera éprouve une grande admiration pour Céline. Ce que l’on sait moins, c’est qu’en Tchéquie, où ils ont le même éditeur, Kundera a renoncé à ses droits d’auteur afin que cela serve à financer une nouvelle traduction du Voyage au bout de la nuit. Aux détracteurs de l’écrivain, il a magistralement répondu ceci : « Des immatures jugent les errements de Céline sans se rendre compte que les romans de Céline, grâce à ces errements, contiennent un savoir existentiel qui, s’ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes ¹ ».

Je n’ai donc pas été surpris de le voir consacrer un chapitre à Céline dans son dernier livre ².

À partir de l’épisode de la mort de Bessy dans D’un château l’autre, Kundera se demande si nous savons, aujourd’hui, vivre et mourir « sans tralala », pour reprendre l’expression qu’utilise Céline à propos de sa chienne tant aimée.

Écoutez Milan Kundera qui ne craint pas de rendre hommage à ce grand maudit de la littérature : « Beaucoup de grands écrivains de la génération de Céline ont connu comme lui l’expérience de la mort, de la guerre, de la terreur, des supplices, du bannissement. Mais ces expériences terribles, ils les ont vécues de l’autre côté de la frontière : du côté des justes, des futurs vainqueurs ou des victimes auréolées d’une injustice subie, bref, du côté de la gloire. Le “tralala”, cette autosatisfaction qui veut se faire voir, était si naturellement présent dans tout leur comportement qu’ils ne pouvaient pas l’apercevoir ni le juger. Mais Céline s’est trouvé pendant vingt ans parmi les condamnés et les méprisés, dans la poubelle de l’Histoire, coupable parmi les coupables. Tous autour de lui ont été réduits au silence ; il a été le seul à donner une voix à cette expérience exceptionnelle : l’expérience d’une vie à laquelle on a entièrement confisqué le tralala. »

Et de conclure : « Cette expérience lui a permis de voir la vanité non pas comme un vice mais comme une qualité consubstantielle à l’homme, qui ne le quitte jamais, même pas au moment de l’agonie ; et, sur fond de cet indéracinable tralala humain, elle lui a permis de voir la beauté sublime de la mort d’une chienne. »

J’ai employé le mot « chapitre » à propos de ce commentaire sur Céline. Il faudrait plutôt parler de miniatures critiques (sur Céline mais aussi Dostoïevski, Philip Roth, Marquez, Rabelais,…) par lesquelles Kundera construit son interprétation de la crise de la culture européenne. La force de l’auteur, c’est de ne jamais céder à la terreur intellectuelle exercée par la critique et de saluer, comme il l’entend, les écrivains envers lesquels il a contracté une dette, même s’ils ont pour nom le bien démonétisé Anatole France (en particulier celui des Dieux ont soif qui lui a permis de mieux comprendre le mécanisme de la terreur stalinienne)  ou  précisément Céline dont il perçoit la terrible lucidité quant à l’essence même de l’homme.

  1. 1. Les Testaments trahis, Gallimard, 1993.
  2. Une Rencontre, Gallimard, 2009. La manière désinvolte et  condescendante  avec  laquelle l’équipe du Masque et la plume (France Inter, 26 avril 2009) a rendu compte de ce livre est proprement affligeante. La palme revient aux deux pécores que sont Nelly Kapriélian (Les Inrockuptibles) et Olivia de Lamberterie (Elle). Heureusement qu’il se trouve, pour ne citer que lui, un Pierre Assouline pour observer qu’ « on n’a guère lu, sous la plume des critiques et des préfaciers, de lectures aussi profondes, intelligentes et denses que celle-ci » (La République des livres, 31 mars 2009).

Jacques d’Arribehaude

Dans le précédent numéro, j’évoquais le souvenir de Pierre Monnier mort à Nice le 27 mars 2006. Par une douloureuse coïncidence, peu de temps après avoir bouclé ce numéro, j’apprenais le décès de Jacques d’Arribehaude survenu le… 27 mars dans cette même ville où il s’était retiré depuis quelques années. Encore un témoin qui s’en va – et non des moindres. Au début des années soixante, il avait – lui et son complice Jean Guenot – rencontré Céline à Meudon. Ils lui posèrent des questions  auxquelles les  journalistes ne l’avaient guère habitué. Témoignage d’autant plus précieux qu’il fit l’objet d’un enregistrement ¹.

Mais la figure de Jacques d’Arribehaude ne se limite pas, loin s’en faut, à cela. Il nous laisse, en outre, un récit de qualité (Adieu Néri, Prix Cazes 1978) et surtout un journal dont je ne suis pas le seul à penser qu’il restera. La dernière lettre que j’ai reçue de lui date de décembre dernier. Il me remerciait précisément pour le compte rendu du dernier opus de son journal ² : « Je suis très touché par ce magnifique et généreux article. Votre mise en parallèle avec Léautaud est un superbe hommage, non seulement à S’en fout, mais à la poignée de lecteurs pour lesquels j’existe et qui me sont attachés. Et c’est très justement que vous rappelez l’importance capitale que n’a jamais cessé d’avoir Céline dans les méandres de l’existence. J’aimerais bien connaître avant de disparaître la reconnaissance qu’a connu Léautaud in extremis, et qui en fait une captivante Mémoire littéraire du siècle dernier, mais je n’y compte guère. Si la planète tourne encore, peut-être dans un siècle ou deux, pour peu qu’il existe encore quelques chercheurs et lecteurs. Comme disait Balzac, notre Shakespeare, “ Tout a toujours été de mal en pire” »

Pessimiste gai, Jacques m’a toujours frappé par son élégance morale. Jamais je ne l’ai entendu se plaindre, même lorsqu’il fut hospitalisé pour une grave opération au Val de Grâce où nous allâmes, Éric Mazet et moi, lui rendre visite. Au contraire : c’est là qu’il nous lut des pages extraites de son journal,  pleines  de cette roborative alacrité qui était la sienne. Si ses livres ne connurent jamais le succès public, au moins son talent fut-il reconnu par ses pairs : Pol Vandromme, Christian Dedet, Philippe Sénart ou Jean-Louis Curtis. Engagé dans les Forces françaises libres à dix-huit ans, décoré comme il se doit de ce qu’il appelait comiquement des « bananes patriotiques » ³, Jacques d’Arribehaude estimait  que son passé l’autorisait à commenter librement les aléas de l’histoire et de la politique. Et il ne s’en privait pas, ni dans son journal, ni dans les articles qu’il a écrit ici et là. C’était un homme d’une liberté sans faille qui ne craignait pas de tout dire, au risque de voir ses livres ne recevoir quasi aucun écho dans la grande presse, ce qui fut effectivement le cas.

Ce numéro entend rendre l’hommage qui lui est dû ; j’ai bien conscience qu’il est utopique d’évoquer ici toutes les facettes de cette riche personnalité. Grand diariste certes mais aussi voyageur-ethnologue, amoureux de peinture (il avait lui-même un joli talent d’aquarelliste), polémiste, fou de littérature et surtout homme attachant, fidèle en amitié et au jeune homme intrépide qu’il fut.

  1. Céline à Meudon, 4 cassettes disponibles auprès de Jean Guenot, B.P. 40101, 92216 Saint-Cloud (90 € franco).
  2. Marc Laudelout, « Le retour de Jacques d’Arribehaude », Le Bulletin célinien, n° 302, novembre 2008.
  3. Médaille des Évadés, Croix du combattant volontaire de la Résistance, Croix des services volontaires dans la France libre, Croix du combattant 39-45, Chevalier de la Légion d’honneur.

Actualité

Il fallait oser… Lors d’une récente émission littéraire ¹, quelques écrivains furent invités à citer, d’une part, le classique qu’ils révèrent, et, d’autre part,  le classique qu’ils estiment surestimé ou illisible. Philippe Besson – à ne pas confondre avec Patrick Besson, romancier de talent – a indiqué  qu’à ses yeux le classique surfait n’est rien d’autre que… Voyage au bout de la nuit.  Et d’ajouter que, s’il citait ce livre-là, il eût pu prendre n’importe quel autre roman de l’écrivain. C’est bien le droit à quiconque de ne pas apprécier Céline. Mais comment diable est-il possible de porter un jugement sur un livre dont on dit qu’il vous est toujours « tombé des mains » et que, par conséquent, on n’a pas lu ?  Cela n’a pas  empêché ledit Besson d’enchaîner les habituels clichés anticéliniens : « nihilisme absolu, mécanique de la haine, style lassant fait de procédés, etc. ».  Sans doute conscient de l’énormité de ses propos, il  essaya de  trouver un soutien auprès  de  Charles Dantzig, également présent sur le plateau, qui,  dans un livre que nous avons commenté ², compare la ponctuation célinienne aux klaxons d’un chauffeur de taxi (!). Il considère en outre que Céline n’a stylistiquement rien inventé, les fameux trois points se trouvant déjà dans l’œuvre de Jules Laforgue.

Laforgue ici, Scribe là… Ces littérateurs ne s’aperçoivent-ils donc pas que le style célinien ne se réduit pas à cela ?  Cette absence de clairvoyance étonne.

Toujours à propos du Voyage, un abonné m’envoie un DVD : un thriller réalisé en 2006 par le réalisateur américain Eric Eason. Son titre : Journey to the end of the night 4. Aucun rapport évidemment avec le livre. Est-on, par ailleurs, certain que feu Jim Morrison, chanteur des Doors, rendait hommage à Céline dans sa chanson End of the night ? On me signale, par ailleurs, un CD d’un groupe norvégien, Green Carnation, intitulé, lui aussi, Journey to the end of the night. Pas davantage de rapport avec le roman, contrairement à ce que vous lirez peut-être ici et là. On ne prête qu’aux riches…

Marina Alberghini m’annonce la parution prochaine de son livre sur Céline ³. Il ne se passe décidément pas un mois sans que l’écrivain ne soit dans l’actualité littéraire. Outre le petit Bulletin que vous avez entre les mains, on sait que les céliniens disposent également de deux revues entièrement consacrées à leur écrivain de prédilection 4. Autant de signes qui montrent, n’en déplaise aux tristes détracteurs, que l’œuvre de Céline est plus vivante que jamais.

  1. Émission La Grande Librairie de François Busnel, France 5, 12 mars 2009. Heureusement il se trouvait sur le plateau d’autres écrivains, comme Frédéric Beigbeder, Régis Jauffret et Alain Mabanckou qui ont expliqué en quoi Voyage au bout de la nuit est un grand livre.
  2. Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de littérature française, Grasset, 2005. Voir BC n° 269, novembre 2005, p. 3.
  3. Marina Alberghini, Louis-Ferdinand Céline, gatto randagio, Ed. Mursia, 2009.
  4. Il s’agit, on le sait, des revues L’Année Céline, publiée par les éditions du Lérot, et Études céliniennes, éditée par la Société d’Études céliniennes. À ce propos, la diffusion des publications de la SEC par le Bulletin n’a pas l’heur de plaire à un internaute qui ne précise pas à quel titre il intervient sur ce sujet. De manière récurrente, il se répand sur Internet pour inciter les amateurs à se procurer ces ouvrages auprès de la librairie parisienne (dépositaire des publications de la SEC) plutôt qu’auprès du Bulletin célinien. Au moins le trésorier de cette société se réjouit-il, on peut l’espérer, que le BC contribue, de manière substantielle, à la vente des ouvrages qu’elle édite.

Veil — Epting

À la fin de sa récente biographie ¹, Simone Veil, ancienne ministre, député, présidente du Parlement européen et membre du Conseil constitutionnel, nous livre cette confidence : « Il y a peu, je déjeunais avec l’un de mes petits-fils, âgé de seize ans. Notre échange fut un vrai moment de plaisir. Nous nous sommes ensuite rendus dans une librairie où il a pu choisir les livres dont il avait envie. Il a acheté Voyage au bout de la nuit, et je lui ai dit : “ Tu as bien de la chance de le lire pour la première fois, parce que c’est un grand bonheur.”   Au fond  de moi, j’étais heureuse que le fil culturel ne se brise pas entre les générations, et que mon petit-fils puisse à son tour découvrir ce roman que j’avais dévoré il y a près de quarante ans. Il a aussi tenu à prendre Belle du Seigneur, parce qu’un de ses professeurs lui en avait recommandé la lecture. Je me suis dispensée de tout commentaire ; tandis qu’il prenait le livre, l’image de mon père ne posant comme critère aux lectures de ses enfants que leur qualité littéraire m’est revenue à la mémoire. Le livre est un monde. À mon petit-fils de se forger un jugement sur les œuvres qu’il lit comme sur leurs auteurs ». Compte tenu des années d’adolescence dramatiques qui furent les siennes, ce propos est tout simplement incroyable. Il l’est d’ailleurs. Non pas que j’aie inventé cette anecdote : j’ai seulement interverti les titres des deux romans.  Procédé  d’un goût douteux, diront certains. Ce qui peut aussi être considéré comme tel,  c’est un dessin de Pierre Wiazemsky, mieux connu sous le nom de Wiaz, qui illustre une confidence du Président de la République française révélant que ses livres fétiches sont précisément Voyage au bout de la nuit et Belle du Seigneur. Ce dessin nous montre Sarkozy brandissant ces deux romans et affirmant : « Avec ça, je suis couvert des deux côtés ! » ².

À propos du livre sur Céline et Karl Epting,  nous avons reçu  cette lettre  d’un abonné suisse : « Mes vives félicitations pour cet ouvrage passionnant. Textes, lettres bien présentés. Traductions agréables. Notes utiles en bas de page. C’est une excellente idée de présenter un recueil de lettres de Céline à une seule personne et d’insérer textes, photos, articles s’y rapportant ». Si je me permets de citer cette lettre, c’est moins pour décerner, de manière indirecte, des compliments à l’auteur, Frank-Rutger Hausmann, que pour établir un contraste avec le compte rendu qu’en donne la revue Études céliniennes dans sa dernière livraison ³.  Certes la critique est libre et il convient de l’accepter de manière sereine. Mais lorsqu’elle est délibérément négative, on est en droit de se poser des questions. D’autant que l’auteur de cette recension évoque « les articles que [Karl Epting] écrivit en faveur de Céline dans Les Cahiers de l’Institut allemand » dont il trouve, par ailleurs, la « traduction lourde et molle ».  Or, il se trouve que Karl Epting n’écrivit qu’un seul article sur Céline dans cette revue et la traduction que nous en donnons est celle d’Epting lui-même, telle qu’elle parut deux ans plus tard dans La Chronique de Paris.  Rien n’est dit, en revanche, des articles parus dans Christ und Welt qui sont traduits et réunis ici pour la première fois.  Gageons qu’à notre place,  le luthérien résolu  que fut  Karl Epting eût pardonné ce manque de confraternité célinienne.

  1. Simone Veil, Une vie, Stock, 2007, 400 p.
  2. Dessin de Wiaz illustrant un article de Bernard Morlino, « Les romans culte de Sarkozy », Service littéraire, n° 1, octobre 2007, p. 1. Ce dessin est visible sur le site http://www.servicelitteraire.fr.
  3. Études céliniennes, n° 4, hiver 2008, pp. 111-112.