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Lire

L’évènement (célinien) du mois écoulé est ce numéro hors-série du magazine Lire ¹.  Près de cent pages format in-quarto,  mise en page soignée,  une centaine d’illustrations,…   Du travail de pro. Les aficionados auront certes la tentation de comparer ce hors-série avec celui du Magazine littéraire paru il y a six ans. Aucun rapport,  cela va sans dire.  L’un s’adresse à un lectorat cultivé féru d’analyses littéraires ;  l’autre entend séduire un vaste public épris de littérature mais désireux de lire des articles qui ne soient pas trop fouillés. Et, comme on s’en doute, les audiences ne sont pas les mêmes. Cette édition spéciale de Lire a un tirage de 40.000 exemplaires, excusez du peu. Certes, dès la page de couverture, les sourcilleux gardiens du temple auront ressenti quelque agacement ; concédons leur que le titre (« Céline, les derniers secrets ») et l’annonce d’un des articles (« L’ami SS parle ») sont un peu racoleurs, commerce oblige.

Le maître d’œuvre de ce numéro,  Jérôme Dupuis,  journaliste de talent,  ne  peut prétendre au titre de spécialiste de Céline. Il n’en est pas moins un bon connaisseur de l’œuvre.  À lui seul, il signe une demi-douzaine d’articles, dont un reportage sur les traces de l’écrivain au Danemark, une enquête sur la découverte du manuscrit de Voyage ², le survol des tentatives d’adaptation de ce roman au cinéma, une approche du style mettant l’accent sur le comique célinien, et, en collaboration avec David Alliot, un dictionnaire des personnages céliniens. Les cinq ou six erreurs qui y figurent ne seront relevées que par les célinistes pointus. Si ce numéro ne leur apprendra rien de décisif,  ils découvriront néanmoins quelques documents inédits. Ainsi, ce tract diffusé à Meudon lors des élections municipales de 1953.  Céline y est  taxé  d’écrivain à la fois « hitlérien » et « pornographique »(!).  Ils liront avec intérêt la traduction d’un extrait des mémoires controversés d’Hermann Bickler, le fameux colonel SS, qui relate ses rencontres avec Céline sous l’Occupation. On y apprend qu’il fut convié à de frugales agapes rue Girardon. Quelques témoins ont été approchés (Christian Dedet, Serge Perrault, Sergine Le Bannier,…) et livrent leurs impressions du personnage. David Alliot évoque sommairement le légendaire dîner à l’ambassade, dont il fut question dans le précédent Bulletin ³. La reproduction de l’entretien avec L’Express (appartenant au même groupe de presse que Lire) offre peu d’intérêt puisqu’il fut repris dès 1976 dans la deuxième livraison des Cahiers Céline. Seul le commentaire de Madeleine Chapsal apporte un ou deux éléments nouveaux, dont la présence attestée du rédacteur en chef, Grumbach, qui demeura  muet durant tout l’entretien.

Après Astérix, Tintin et Saint-Ex (!), c’est donc au tour de Céline d’avoir les honneurs d’un numéro hors-série de cette revue à fort tirage.  Si  cette initiative ne constitue pas une consécration, elle témoigne en tout cas d’un intérêt grandissant pour un écrivain considéré, au-delà des opprobres, comme un géant des lettres françaises.

  1. Lire, hors-série n° 7 (« Céline, les derniers secrets »), mai 2008, 98 pages, ill. Rédacteur en chef : Jérôme Dupuis. Avec la collaboration de David Alliot, Julien Bisson, Éric Mazet et Tristan Savin.
  2. Reprise remaniée de son enquête, « Le mystérieux itinéraire du Voyage», parue le 10 mai 2001 dans L’Express.
  3. Voir aussi en page 15 de ce numéro.

Vargas Llosa

Peut-on être un grand écrivain et écrire des sottises sur ses pairs ? Il est à craindre que  le romancier péruvien Mario Vargas Llosa  en ait récemment apporté la preuve éclatante. Dans une tribune publiée par le quotidien espagnol El Païs, il salue Céline qu’il considère comme le « dernier auteur maudit » qu’ait donné la France ¹. Et d’ajouter que beaucoup refusent de reconnaître le talent de Céline pour les raisons que l’on sait alors que personne n’a décrit aussi bien que lui, « avec une intuition géniale », notre humanité. Comme on voit, cela commençait bien. Mais il précise que si les romans d’avant-guerre de Céline ont constitué à l’époque une véritable révolution de l’art narratif, les œuvres suivantes ne valent rien, ne sont « même pas l’ombre » de ces deux livres. Ce jugement qui a été longtemps celui de critiques français – et non des moindres –,  on espérait ne plus avoir à le relire  sous la plume d’un lettré. Mais il y a pire : évoquant Voyage au bout de la nuit, il écrit qu’aucun personnage célinien n’est attachant : aucun, écrit-il, ne « mérite la solidarité et la compassion. Tous sont marqués par le ressentiment, l’égoïsme et une forme de stupidité et de vilenie ».   Au début de son article,  Vargas Llosa  révèle  que  c’est l’enthousiasme déclaré du romancier uruguayen Juan Carlos Onetti pour Céline qui l’a incité à le relire après un demi-siècle. Mais l’on se demande si Vargas Llosa a relu Voyage au bout de la nuit sans en sauter des pages ! Car si la plupart des personnages sont ce qu’il en dit, comment ne pas observer qu’il y en a d’autres – tels Molly ou le sergent Alcide – qui constituent en quelque sorte le contrepoint des âmes basses envahissant l’horizon de Vargas Llosa. Sans doute faudrait-il lui suggérer de relire ce passage : « Évidemment Alcide évoluait dans le sublime à son aise et pour ainsi dire familièrement, il tutoyait les anges, ce garçon, et il n’avait l’air de rien. Il avait offert sans presque s’en douter à une petite fille vaguement parente des années de torture, l’annihilement de sa pauvre vie dans cette monotonie torride, sans conditions, sans marchandage, sans intérêt que celui de son bon cœur. Il offrait à cette petite fille lointaine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se voyait pas. Il s’endormit d’un coup, à la lueur de la bougie. Je finis par me relever pour bien regarder ses traits à la lumière. Il dormait comme tout le monde. Il avait l’air bien ordinaire. Ça serait pourtant pas si bête s’il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants. »

J’aime bien Frédéric Vitoux mais il s’illusionne lorsqu’il répète à l’envi qu’il est « le premier à avoir fait un doctorat de lettres sur Céline » ². Sa thèse de doctorat a été soutenue en 1972 à Nanterre. Avant cette année-là, les auteurs d’une bibliographie sur Céline dénombrent pas moins d’une trentaine de thèses de doctorat rien qu’en France. La première thèse de doctorat sur Céline fut soutenue outre-Rhin en 1950. Intitulée Die syntaktische Anomalie bei L.-F. Céline und ihre Bedeutung als Stilmittel, elle a pour auteur Gerhard Ehl.

  1. Mario Vargas Llosa, « El último maldito », El Païs, 23 mars 2008.
  2. Caroline Robinson, « Entretien avec Frédéric Vitoux. Après Céline, quoi ? », Le Choc du Mois, mai 2008, pp. 55-57 ; Joseph Vebret, « Frédéric Vitoux. “Il y a une fausse postérité célinienne qui me paraît accablante” », La Presse littéraire, hors série (« Spécial Céline »), février-mars-avril 2008, pp. 17-28.

Correspondance

Le savez-vous ? Nombreux  sont  les exégètes céliniens qui vouent une franche détestation à Céline.  Elle est à la mesure  de  leur fascination pour l’écrivain. Cette aversion envers l’homme tient autant aux débordements polémiques dont il s’est rendu coupable qu’à leur itinéraire personnel.  Qu’ils  aient été communistes, trotskystes, maoïstes ou tout simplement PSU – chacun se reconnaîtra ! –, ils éprouvent des difficultés à concilier ce qu’ils furent, et parfois ce qu’ils sont encore, avec leur dilection pour l’écriture célinienne. Aussi ai-je trouvé pour  le moins rafraîchissants les commentaires de Jean-Paul Louis dans sa nouvelle édition des Lettres à Marie Canavaggia alors  même qu’ils sont tancés ici et là par d’autres céliniens.  Il ne s’agit point de défendre ni encore moins  d’excuser les réactions (parfois pénibles) de Céline  à l’actualité politique mais bien plutôt de les expliquer, de les situer dans leur contexte, et surtout d’éclairer la personnalité pour le moins ambivalente de l’écrivain.  Cela suppose aussi une forme d’empathie, forcément mal perçue aujourd’hui ¹. Sur tout ceci, l’éditeur de cette correspondance s’explique sobrement dans un texte reproduit à la fin de ce bulletin. Notons au passage que si certains critiquent ouvertement l’éditeur de cette correspondance,  ils se gardent bien  de blâmer d’autres commentaires également soucieux d’équité. Dont celui-ci : « Céline savait qu’il n’avait en rien collaboré, et pas plus que Cocteau, Montherlant et Morand qui, après que beaucoup d’eau eut coulé sous les ponts, finirent par entrer à l’Académie  » ². Ou celui-ci : « Son engagement s’explique d’abord par le fait que, d’un naturel très personnel et volontaire, il n’était ni lâche ni hypocrite  et n’était pas homme à rester sur les gradins  quand d’autres se font étriper dans l’arène  » ³. Ou encore celui-ci : « On a le droit aujourd’hui de critiquer Céline pour avoir choisi le mauvais camp (celui des vaincus), mais on n’a pas le droit de mettre en doute son patriotisme ni la force de ces convictions ni le fait qu’il ait toujours été amoureux de son pays  » 4.

L’auteur d’un recueil récemment paru s’est amusé à collationner divers jugements littéraires féroces émis par des écrivains ou des journalistes.   Sur Céline,  on retiendra cette  appréciation écrite l’année même du Voyage par un certain… Bilieux (!), lequel mérite assurément de passer à la postérité :  « Qu’est-ce qu’un Céline ?  Dans vingt ans on n’en parlera plus alors qu’on lira éternellement Duhamel ! » 5

  1. Cette démarche ne suppose pas, en revanche, un quelconque aveuglement tel qu’il a été parfois dénoncé : « Le lecteur de Céline a reconnu dans Voyage ou dans Mort à crédit la voix intime de sa propre révolte, et le plaisir d’un style. Toute attaque contre Céline en devient comme une blessure intime, et narcissique. Et puis, il y a le mythe Céline, qui accole des morceaux de fiction, de légendes et d’images. (…) Le mythe Céline expulse instantanément les éléments de réel qui lui sont étrangers. L’esprit néglige, écarte ce qui vient perturber l’organisation mentale préalable. C’est ce qu’en psychologie sociale on appelle la “réduction de la dissonance cognitive” ». Dixit Annick Duraffour cité dans Le Bulletin célinien, n° 235, octobre 2002.
  2. Préface à Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, 1945-1947, Gallimard, 1998, p.10.
  3. Préface à Céline et l’actualité, 1933-1961 (« Cahiers Céline 7 »), 1986, p. 8.
  4. François Gibault, Céline, tome 2, Mercure de France, 1985, pp. [273]-274.
  5. Cité par Sylvie Yvert in Ceci n’est pas de la littérature. Les forcenés de la critique passent à l’acte, Éditions du Rocher, 2008, p. 56.

Darquier & Cie

Sous l’Occupation, Céline se comporta tel un électron libre. C’est la raison pour laquelle le terme de « collaborateur » lui sied si mal. Membre d’aucun parti ni d’aucun groupuscule, rebelle à toute censure, rétribué par aucune ambassade ou officine, il n’en fréquenta pas moins certaines assemblées,  marquant ainsi sa connivence avec ceux qui souhaitaient la victoire des forces de l’Axe. Aussi, le critique suédois Ernst Bendz se fourvoie lorsque, manifestement inspiré  par  le mémoire en défense de l’écrivain, il écrit que « [Céline] se tint à l’écart, évitant tout contact avec les Allemands et les éléments collaborationnistes » (voir pp. 9-12 dans ce numéro). Les historiens et biographes nous montrent, au contraire, que Céline ne dédaignait pas d’assister à certaines réunions, même s’il s’y comporta parfois en trublion. Une récente biographie de Louis Darquier de Pellepoix ¹  nous  apprend ainsi  que, le 29 mai 1943,  un grand banquet  fut donné au restaurant « L’Écu de France », rue d’Alsace, pour célébrer le vingtième anniversaire de la fondation du journal Le Pilori (rebaptisé Au pilori). Outre les autorités allemandes, des personnalités comme Brasillach, Cousteau, Laubreaux, Rebatet et… Céline y assistaient également.

À propos du DVD Céline vivant, un lecteur m’écrit avoir remarqué des coupures dans l’entretien de Céline avec Louis Pauwels. Il me demande s’il s’agit bien d’un dialogue « caviardé » et, le cas échéant, s’il existe une version écrite intégrale. La réponse est simple : cet entretien fit naturellement l’objet d’un montage et seule la version diffusée  fut transcrite, d’abord en 1962, puis, plus tard, dans les Cahiers Céline ². Dans sa biographie, François Gibault révèle que « les parties non utilisées ont été volées à l’époque par des inconnus ».

Nous avons déjà signalé l’engouement déclaré de l’actuel  président  de  la République française pour Céline. Relevons que cette admiration ne date pas d’hier. Il y a plus de dix ans, il déclarait ceci à propos de son écrivain de prédilection : « Voilà un homme qui n’était qu’un médiocre médecin de banlieue. Un jour, il écrit Voyage au bout de la nuit. Quatre [sic] éditeurs refusent son manuscrit, un cinquième l’accepte. Le voilà devenir autre chose. Cela me fascine ! Cette action qui consiste à donner plus, ce ressort qui vous pousse à vous surpasser, à aller plus loin,  à créer  et  agir  par passion  ³ ».  Céline jugé  tonique, dispensateur d’énergie par la plus haute autorité de l’État — qui l’eût cru ?…  Cette passion est partagée par celle qui est devenue l’épouse du chef de l’État en février dernier. Dans un livre consacré au couple présidentiel, on découvre qu’il y a quelques années, « [Carla Bruni] rendit visite à Meudon chez Lucette Destouches en compagnie de son ami d’alors, Patrick Besson, et  de François Gibault » 4. Céline persona grata à l’Élysée… Il est décidément loin le temps où la speakerine Jacqueline Caurat recevait un « blâme de principe » pour avoir prononcé son nom sur l’antenne de l’ORTF.

  1. Carmen Callil, Darquier de Pellepoix ou la France trahie, Buchet-Chastel, 2007.
  2. Louis Pauwels, Jacques Mousseau et Jacques Feller, En français dans le texte, France-Empire, 1962. Repris dans Cahiers Céline, 2 (« Céline et l’actualité littéraire, 1957-1961 »), Gallimard, 1976, pp. 119-129.
  3. Propos recueillis par L’Officiel homme, septembre 1996.
  4. Paul-Éric Blanrue et Chris Laffaille, Carla et Nicolas. Chronique d’une liaison dangereuse, Éd. Scali, 2008.

Actualité

Incroyable fortune que ce texte de Jean-Pierre Richard paru, un an après la mort de Céline, dans La Nouvelle Revue Française. Il aura compté, outre une traduction italienne et japonaise, pas moins de trois rééditions (Fata Morgana, 1973, 1980 et 1991) et vient de reparaître chez un autre éditeur. Près d’un demi-siècle plus tard, l’auteur en propose une réédition revue et corrigée ¹. Mais l’argument demeure le même : la « névrose » assumée dans Voyage se mue en lâche accusation. « La seule coupable (…), ce sera donc la France, cette France de 1936 et de 1940 en laquelle Céline projette sans vergogne sa propre mythologie de la mollesse ». L’abandon (provisoire) du roman pour l’écrit de combat constitue-t-il une rupture ou une continuation sous une autre forme ? Les céliniens n’ont pas fini de débattre de cette question…

On peut aussi mettre en parallèle le destin de tel joueur d’échecs fameux à celui de Céline. C’est ce que fait un journaliste en mal de comparaison, évoquant la disparition de Bobby Fischer dont la main droite traçait, écrit-il, des traits de pure beauté mais dont « l’âme paranoïaque » ne répondait de rien : « Mêmes stigmates de malédiction, mêmes fulgurances sulfureuses, même antisémitisme forcené. Mêmes errances et mêmes exils. Son Danemark à lui, ce sera l’ex-Yougoslavie en guerre » ².

Quel eût été le sort de Céline s’il était resté en France en 1944 ? La réponse est donnée dans un livre qui vient de paraître sur l’épuration ³. L’auteur y cite une feuille clandestine, Le Père Duchesne, publiée en zone sud par le mouvement de résistance « Franc-Tireur ». Extrait d’un article paru en septembre 1943 où ce journal satirique reprenait les mâles accents révolutionnaires et épurateurs de son illustre prédécesseur : « …Bon Dieu ! Du temps de sa jeunesse, il y a cent cinquante ans, le Père Duchesne en vit pour moins que ça basculer dans le panier. Un maréchal de France, un amiral, un vice-président du Conseil, des ministres, des généraux, des chefs de police, des préfets, un prélat comme Baudrillart, un savant comme Georges Claude, des académiciens comme Bonnard, des renégats comme Doriot, des frénétiques comme Déat, des alimentaires comme Luchaire, et sous la tourbe de plume et de presse, des anciens et des modernes, Jean Ajalbert de l’académie Goncourt et de la feuille à Doriot, Drieu La Rochelle, Ramon Fernandez de la Nouvelle Revue Française et de la Gestapo, jusqu’à Céline, seigneur des égouts… (…) Quelles charrettes, citoyens ! »

Y ayant été associé, il m’est difficile de commenter le (deuxième) numéro hors série que La Presse littéraire consacre à Céline sous le titre « Voyage au bout du génie. Pour le meilleur et pour le pire » 4. Au moins puis-je en dire que le sommaire est éclectique : quatre entretiens, plusieurs articles de fond, une interview inédite de Céline, des textes documentaires, une sélection bibliographique, etc.

  1. Jean-Pierre Richard, Nausée de Céline, Éd. Verdier, coll. « Verdier poche », 2007, 90 p..
  2. Patrick Séry, « Échecs et mort de Bobby Fischer. Le fou de la diagonale », Le Nouvel Observateur, 24 janvier 2008.
  3. Pierre Gillieth, L’épuration ou la fin d’un monde, Éd. Pardès, coll. « Des hommes, des histoires », 2007, 124 p.
  4. La Presse littéraire, « Spécial Céline », n° hors série, février-mars-avril 2008, 160 p. Voir bon de commande à l’intérieur de ce numéro.

Atrides

On le sait :  à l’instar des Atrides, les  céliniens  constituent  une grande famille.  Cela s’est encore vérifié le mois passé : signalant la réédition des Lettres à  Marie Canavaggia,  un célinien –  emboîtant le  pas au  journaliste  du Canard enchaîné que nous épinglions dans notre précédent numéro – écrit que l’appareil critique de ce volume est « desservi par des formules exonérant  à tout prix [sic] les agissements d’un auteur  pourtant  si discutable » ¹. Aucun exemple, une fois encore, n’étant donné à l’appui de cette affirmation, il s’avère difficile de lui apporter la contradiction. Et je ne puis que me répéter : s’il m’est arrivé de rompre des lances avec Jean-Paul Louis, l’éditeur de cette correspondance, l’équité impose de reconnaître qu’il a toujours su tenir la bonne distance avec l’écrivain éminemment sulfureux qu’est Céline.  Détail amusant :  il me fit même naguère  grief de verser dans l’hagiographie alors que, dans le même temps, d’autres me reprochaient d’ouvrir les colonnes du Bulletin à des détracteurs patentés de Céline.

Conversation au téléphone avec Pol Vandromme ² : il énumère quelques grands absents de la « Bibliothèque de la Pléiade ». Ceux qui ont pour nom Joseph de Maistre, Charles Maurras, Maurice Barrès ou Pierre Drieu La Rochelle ont certes le grand tort de ne pas s’être inscrits dans le sens de l’histoire. Mais peut-on leur dénier le statut de grand écrivain ? Céline, lui, aura bientôt cinq volumes dans cette prestigieuse collection au grand dam de certains qui dénoncent ce qu’ils nomment une forme de « sacralisation » ³.

Signant un hommage à Henri Amouroux, Emmanuel Le Roy Ladurie relève « qu’il y a des nostalgiques sinon de Vichy, du moins de certains écrivains “collabos” qui n’étaient pas dénués de talent, et dont “on” s’acharne sans beaucoup de succès à perpétuer la mémoire ». Et d’ajouter : « En ce qui concerne Céline, qu’on le regrette ou non, cette perpétuité paraît parfaitement garantie. Amouroux considérait du reste, il me l’a dit à plusieurs reprises, que la célinolâtrie contemporaine comportait et comporte encore bien des points d’interrogation qu’il n’est pas possible d’expliciter ici. » C’est regrettable. On aurait justement apprécié que Le Roy Ladurie nous en dise davantage 4. Comme disait Céline soi-même : « Il faut tout dire ou bien se taire ».

  1. André Derval, « Célébration. Autour de Céline », Magazine littéraire, janvier 2008, p. 8.
  2. Il vient de publier un essai fulgurant : Belgique, la descente au tombeau (Éd. du Rocher, 2008).
  3. C’est le cas des inénarrables Martin et Durand. Le premier est l’auteur d’un Contre Céline, sous-titré D’une gêne persistante à l’égard de la fascination de Louis Destouches sur papier bible (éd. José Corti, 1997) ; le second a signé un article, « Critiques face à Céline » où il déplore, en passant, que Gobineau ait, lui aussi, sa place dans La Pléiade (Mauvais temps, n° 4, avril 1999, pp. 79-91)
  4. Emmanuel Le Roy Ladurie, « In memoriam Henri Amouroux », Commentaire, n° 120, hiver 2007-2008. S’agissant de Vichy, rappelons que son père, Jacques Le Roy Ladurie accepta, en avril 1942, le portefeuille de l’Agriculture et du Ravitaillement que lui proposait Pierre Laval. Il en démissionna en septembre 1942 pour marquer son opposition aux ingérences allemandes et au projet de STO. En janvier 1943, il entra dans la Résistance. Emmanuel Le Roy Ladurie, lui, fut membre du Parti communiste avant de le quitter en 1956 après l’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique.