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François Marchetti

Dans un livre sur Céline, François Marchetti s’est vu qualifier d’« étape obligée des céliniens à Copenhague » ¹ . Et les auteurs d’un autre ouvrage – que nous avons défini ici comme une « encyclopédie de l’exil danois » ²  –  lui ont exprimé leur gratitude pour avoir été leur guide à Korsør.  Rien d’étonnant à cela : François Marchetti est sans nul doute celui  qui sait  le mieux ce que furent les années danoises de Céline. Dès 1969, il a rencontré différents témoins de première main avec lesquels il s’est longuement entretenu et qui lui ont beaucoup appris sur la vie  de  Céline au Danemark ³ . En premier lieu, Helga Pedersen, ministre de la Justice de 1950 à 1953,  dont il traduisit le  livre  Le Danemark a-t-il sauvé Céline ?  Plus récemment, il a traduit les souvenirs d’Ole Vinding,  ainsi  que ceux de Bente Karild qui fréquentèrent l’écrivain exilé.

Depuis plusieurs décennies, François Marchetti s’efforce de réhabiliter, aux yeux du public danois, l’image de Céline, perçu essentiellement comme écrivain antisémite et parangon de l’ingratitude. De même, il n’a jamais cessé d’insister sur le rôle déterminant qu’ont joué plusieurs personnalités danoises influentes – Thorvald Mikkelsen, Per Federspiel,  Aage Seidenfaden,  Herman Dedichen  et  Hartvig Frisch – pour s’opposer à l’extradition de Céline vers la France, où, dans le climat vengeur de l’immédiate après-guerre, l’attendait un jugement dont l’issue ne faisait guère de doute.

Né en 1936, François Marchetti s’est fixé au Danemark en 1965 avec son épouse, l’artiste-peintre Geneviève Villa. Professeur à l’Université de Copenhague, ce lexicographe réputé a traduit près de 10.000 pages du danois en français et a signé de très nombreux articles, dont plusieurs ont paru dans ce Bulletin. Dans ce numéro, il salue la mémoire de Else Jensen et de Svend Mogensen qui viennent de disparaître.

Membre de la Société danoise des Gens de lettres, François Marchetti s’est remarquablement intégré à son pays d’accueil dont il aime la culture et le peuple. En septembre dernier, quatre quotidiens nationaux danois et le journal local de Korsør ont salué son 70e anniversaire et n’ont pas manqué de souligner son rôle de « passeur » culturel entre la France et le Danemark.

Il est bien naturel que ce Bulletin rende à son tour hommage au célinien émérite qui n’a jamais ménagé son aide à ceux qui voulurent traiter de Céline en exil.  Pour conclure, je m’en voudrais de ne pas saluer les qualités humaines de  cet homme discret.  Affable et chaleureux, cet érudit, amateur éclairé de théâtre, de cinéma et de  photographie, a  su rester  modeste.  Aussi  sera-t-il  le  seul à s’étonner que nous lui consacrions un numéro spécial. Que son épouse Geneviève et ses filles, Ariane et Agnès, soient vivement remerciées pour leur appui dans cette amicale conspiration.

  1. Philippe Alméras, Dictionnaire Céline. Une œuvre, une vie, Plon, 2004.
  2. Éric Mazet & Pierre Pécastaing, Images d’exil. Louis-Ferdinand Céline, 1945-1951 (Copenhague-Korsør), Du Lérot & La Sirène, 2004. Rendant compte de ce livre, un célinien a même écrit qu’on pouvait considérer que cet ouvrage avait été écrit « à trois, l’apport de François Marchetti» (…) étant « loin d’être négligeable » (Études céliniennes, n° 2, automne 2006, p. 54).
  3. Outre ceux cités ci-dessus, mentionnons le couple de régisseurs de Klarskovgaard, Richard et Marie Petersen, leur fille Erna Rasmussen, le libraire de Korsør Mogens Zachariassen, etc.

Nabe

Avec son livre ¹, David Alliot comble opportunément une lacune : il n’existait à ce jour pas de  biographie « synthétique » de Céline.   Celle  de Frédéric Vitoux, rééditée l’année passée dans la collection de poche « Folio », fait tout de même un bon millier de pages !

Cerise sur le gâteau : cette nouvelle biographie, qui s’adresse aux néophytes, intéressera aussi les spécialistes puisqu’elle propose des inédits. D’abord, sur le plan iconographique : une photo de Céline prise en 1933 à Médan (pas celle, très connue, figurant en couverture de ce numéro), et une autre, à Korsør, en compagnie de Thorvald Mikkelsen. En outre, neuf lettres inédites à lui adressées sont reproduites en annexe. Nous reproduisons dans ce numéro un extrait du dernier chapitre du livre consacré à la lente résurrection de Céline. Le point culminant en est sans doute l’achat, en mai 2001, du manuscrit de Voyage à 1,7 millions d’euros,  manuscrit préempté, en outre, par la Bibliothèque Nationale de France.

La citation de Marc Hanrez en couverture du précédent numéro a suscité quelques réactions. Et pour cause, puisque l’ascendance noble de Louis des Touches (de Lantillière) est un fait désormais avéré. Dans son étude consacrée à la question, Louis de Charbonnières conclut ainsi : « Les familles de la noblesse française qui peuvent revendiquer une origine aussi ancienne que les des Touches, ne se  comptent pas  aujourd’hui  plus  de quelques centaines.  Louis-Ferdinand Céline, le “médecin des pauvres”, l’écrivain qui se déclarait sorti du petit peuple, était un gentilhomme de vielle race » ².

Les éditions du Dilettante ont réédité le premier livre de Marc-Édouard Nabe ³ dont la parution avait été  saluée ici, en 1985,  par un lecteur que séduisait cette célébration sans complexe du génie célinien. Pour des raisons personnelles, cet enthousiasme s’est sensiblement attiédi depuis mais tel n’est pas l’objet de ce commentaire. Cette nouvelle  édition est augmentée d’une préface où l’ironie caustique parvient difficilement à dissimuler une certaine amertume. Il est vrai que lorsque Nabe compare sa carrière d’écrivain à celle de Houellebecq,  dont  il fut voisin d’immeuble, on conçoit que cela puisse susciter quelque dépit. Son  talent n’est pas en cause.  Cela étant, il n’est pas interdit de penser qu’il perd de son éclat lorsqu’il se plaint à la télévision des manières de son nouvel éditeur, coupable de lui avoir « coupé sa mensualité et même le téléphone » [sic]. Gageons que si Nabe vendait autant de livres que le confrère cité, on lui aurait sans nul doute maintenu l’une et  l’autre.  Quoiqu’il affecte de croire, l’idéologie n’a aucune incidence dans ce revirement de situation. Nabe était, on le sait, la « danseuse » de Jean-Pierre Bertrand, l’éditeur précédent. Que son successeur renâcle à assurer la continuité est dans l’ordre des choses. C’est certes désolant pour l’intéressé mais c’est la dure loi du marché. Et les prises de position pro-arabes de Nabe comptent assurément peu en regard de celle-ci.

  1. David Alliot, Céline, la légende du siècle, Ed. Infolio, coll. « Illico », 2006, 190 p.
  2. Louis de Charbonnières, « Du chevalier des Touches au docteur Destouches… La famille de L.-F. Céline », in La Revue des lettres modernes, n° 543-546, 1978, pp. 109-116.
  3. Marc-Édouard Nabe, Au régal des vermines, Le Dilettante, 2006, 320 p. (avec une préface inédite, « Le Vingt-septième livre  »). Dernier livre paru : Morceaux choisis, Éd. Léo Scheer, 2006, 494 p.

Détroit ?

Sur son blog, Pierre Assouline a bien voulu signaler notre numéro de juin consacré à Robert Denoël ¹. Las !  Un internaute, reconnaissable entre tous, se fend sur le forum de ce blog d’un commentaire singulièrement hargneux, concluant par ce qui se voudrait une nasarde envers « Laudelout qui se prend pour un célinien ». À ses yeux, ce bulletin  ne mérite sans doute pas davantage ce qualificatif. Il ne dédaignait pourtant pas d’y collaborer activement jadis.  À l’instar des Atrides, les céliniens constituent décidément une grande famille…

Francis Bergeron et Philippe Randa signent un copieux Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects ². Faut-il que les légendes céliniennes aient la vie dure ! Les auteurs indiquent que le docteur Destouches fut « médecin du travail à Detroit ». Plus bénin : les erreurs quant aux années de parution de Mea culpa (1937 au lieu de 1936, page 168) et de Bagatelles pour un massacre (1938 au lieu de 1937, page 173). Mais ne faisons pas la fine bouche : cet ouvrage constitue une somme appréciable sur les livres jugés « scandaleux », qu’ils l’aient été à l’époque de leur publication ou qu’ils le soient devenus plus tard. La bibliothèque de l’honnête homme (de droite), en quelque sorte…

Au micro de France-Culture ³, Pol Vandromme évoque ce temps lointain où l’une des autorités de bravoure de la presse catholique – le dénommé Pirard, père assomptionniste de son état – écrivait en toutes lettres : « Céline pue ! ».  Le mérite du chrétien Vandromme aura été de s’insurger d’abord contre la censure cléricale qui, dans sa jeunesse, mettait Stendhal et Baudelaire à l’index, et ensuite contre la censure civique qui, plus tard, vouait aux gémonies Céline, Morand et Drieu pour mauvaise conduite.

Céline, personnage de roman ? L’idée n’est pas nouvelle et elle a été remise au goût du jour par un auteur suédois, Sture Dahlström (1922-2001). Voici le « pitch », comme l’on dit aujourd’hui : Monsieur Spjut a des rêves de musique et d’écriture délirantes. Ce jeune contrebassiste découvre les romans de Céline et se passionne pour l’auteur. Au cours d’un voyage au Danemark, il apprend que Céline, accusé de collaboration, s’est réfugié à Copenhague. Spjut vole au secours de son héros et l’aide à s’évader en le cachant dans sa contrebasse. Un célinien 5 a déjà salué cet ouvrage : « Mélangeant agréablement l’humour, le sexe, la musique et Louis-Ferdinand Céline, ce petit livre ravira les curieux et les amateurs de belle littérature ».

  1. 1. Pierre Assouline, « Le mystère Denoël », La république des livres, 31 mai 2006 (http://passouline.blog.lemonde.fr)
  2. Francis Bergeron & Philippe Randa, Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects, Éd. Dualpha, coll. « Patrimoine des lettres », 866 p. (60 €). Francis Bergeron viendra présenter ce livre le 14 octobre à Bruxelles. Les lecteurs intéressés peuvent nous contacter.
  3. Émission « For intérieur » d’Olivier Germain-Thomas, France Culture, 25 juin 2006.
  4. Sture Dahlström, Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline (traduit du suédois par Martine Desbureaux), Éd. Le Serpent à plumes, coll. « Fiction étrangère », 2006, pp. [9-112]. (17,90 €).
  5. David Alliot, « Céline dans la contrebasse » in La Presse littéraire (« Spécial Céline. Voyage au bout de l’écriture »), hors série n° 1, juillet-août 2006, pp. 76-77.

Colloque

C’est donc du 30 juin au 2 juillet que se tient, à l’Abbaye d’Ardenne, en Normandie, le colloque de la Société d’Études céliniennes ¹ . Le thème – qui fut proposé par François Gibault et accepté par le bureau de la SEC – est « Céline et la guerre ». Voici les communications présentées : « La Première guerre mondiale dans Voyage au bout de la nuit et Les Épis mûrs. Un parallèle entre Céline et Rebatet » (Pascal Ifri) ; « Le regard sidéré du soldat face à la guerre » (Laurie Viala) ; « De l’épopée au délire » (Anne Baudart) ; « Les Soirées de Meudon » (Jean-Louis Cornille) ; « Céline et la seconde guerre mondiale : la présentation des collaborateurs en victimes de guerre » (Marie Hartmann) ; « Imaginaires de la guerre : célinien et simonien » (Gaku Kashio) ; « La guerre en douce… » (Denise Aebersold) ; « Féerie, une bombe contre la bombe atomique ? » (Corinne Chuat) ; « La guerre, sans conteste, porte aux ovaires » (Véronique Flambard-Weisbart) ; « Freud et Céline écrivains de l’entre-deux-guerres : du malaise dans la civilisation à la crise de la culture » (Isabelle Blondiaux) ; « L’apocalypse ou la fin de l’Europe nouvelle » (Christine Sautermeister) ; « Guerre, langage et conditions de la littérature » (Philippe Roussin) ; « Du Pont de Londres à Guignol’s band III » (Pierre-Marie Miroux) ; « La traduction de Voyage au bout de la nuit par Elsa Triolet » (Olga Chtcherbakova) ; « Aspects de la guerre chez Céline et Cendrars » (Régis Tettamanzi) ; « D’une guerre l’autre. L’horizon de la troisième guerre mondiale dans le texte célinien » (David Fontaine) ; « “Troubles de mémoire” – la mémoire de la Grande Guerre dans Guignol’s band et Féerie pour une autre fois » (Tom Quinn) ; « La Guerre de 14 et ses romans : Barbusse, Céline, Jünger » (Alice Staškovà) ; « La guerre en un mot » (Sylvain Martin) et « Échos de guerre » (Johanne Bénard). Un riche programme, comme on voit. Ajoutons que le colloque fut précédé, le 29 juin, d’une table ronde organisée au Mémorial de Caen sur le thème « Céline et les écrivains en guerre » avec François Gibault, Marie Hartmann, Philippe Roussin et Gisèle Sapiro. Les actes du colloque seront édités.

Les éditions de La Martinière viennent de publier un livre intitulé Romans du XXe siècle, imprudemment sous-titré « Les plus grands romans du XXe siècle ». Le croiriez-vous ? Voyage au bout de la nuit en est absent…

Il s’agit de la traduction française d’un livre écrit par un journaliste allemand, Joachim Scholl. On lira à ce sujet les commentaires pertinents de Trystan Mordrel. Celui-ci précise « aux lecteurs de ce livre qu’ils peuvent avantageusement remplacer Fifi Brindacier d’Astrid Lindgren par Orages d’acier d’Ernst Jünger et Homo faber de Max Frisch par Voyage au bout de la nuit de Céline » ² .

C’est bien le genre de bévue que ne commettrait pas Pol Vandromme qui fut l’un des premiers à publier une monographie sur Céline. Aujourd’hui, il signe un livre épatant qui met Jacques Perret à sa vraie place dans la littérature française : celle d’un romancier original et d’un homme fidèle au sens de l’honneur jusqu’à l’héroïsme de défi ³ .

  1. Société des Études céliniennes, c/o M. François Gibault, 3 rue Monsieur, 75007 Paris.
  2. « Peut-on choisir les 50 meilleurs romans du XXe siècle sans en oublier ? » in Aventures et dossiers secrets de l’Histoire, n° 63, avril 2006, pp. 106-7 (BP 209, 91941 Courtabœuf Cedex).
  3. Pol Vandromme, Jacques Perret, Gaulois de noble origine, Éd. du Rocher, 140 p. (16,90 €).

Henri Thyssens

Éditer, c’est se battre contre les lâches, les imbéciles, les sectaires, contre soi-même au besoin, et faire cela comme on accomplit une mission, comme un sacerdoce.

Belada disait : « J’édite » comme il eût dit : « Je me bats ».

Paul VIALAR

(Belada, éditeur, Del Duca, 1957)

C’est en 1979 que j’ai fait la connaissance de Henri Thyssens. Je venais d’éditer le premier numéro de feue La Revue célinienne qui cumulait de nombreuses imperfections. Il eut l’indulgence de ne pas (trop) les souligner et, au contraire,  m’encouragea à persévérer. C’est ainsi qu’une amitié est née, il y aura bientôt trente ans. Henri avait déjà commencé à s’intéresser au destin de Robert Denoël, originaire de Liège comme lui. Aujourd’hui, il lui consacre un remarquable site Internet, s’attachant à étudier sa biographie, sa production éditoriale et les circonstances mystérieuses de son assassinat ¹ . En une phrase, il a résumé sa brève existence : « Il aura été l’éditeur du plus grand écrivain de ce siècle, et l’un des hommes les plus libres de sa génération, mais sa fulgurante trajectoire s’est achevée tragiquement sous les balles d’un sicaire » ². Vous lirez dans ce numéro un entretien avec celui qui est devenu le spécialiste incontesté d’un des éditeurs francophones les plus fascinants de la première moitié du siècle passé.

Un aimable correspondant m’offre la copie d’une lettre inédite de Céline à Pierre  Hamp qui lui avait envoyé, avec une dédicace chaleureuse, son roman Kilowatt paru en 1957. Ce fut aussi son dernier livre : il mourra en 1962, un an après Céline. Voici la réponse de celui-ci, adressée à Hamp le 9 juin 1957 : « Mon Cher Ami, Vous pensez, je me suis jeté sur votre livre ! Moi si mal dormant je dois m’y reprendre… Je ne dors plus du tout ! Tant de livres sont parfaitement inutiles ! (les miens peut-être ?) les vôtres sont toujours absolument indispensables ! Vous êtes un veinard, sous les cendres atomiques, vous serez encore très vivant ! Bien affectueusement vôtre. L.-F. Céline Destouches. » Seuls les esprits obtus s’étonneront de voir Céline adresser une lettre aussi cordiale à ce romancier « prolétarien », ancien militant syndicaliste et l’un des auteurs alors les plus traduits en Union soviétique.

Marina Alberghini m’annonce  la sortie  prochaine  en Italie  de la biographie sur laquelle elle travaille depuis des années, Louis-Ferdinand Céline, gatto randagio (« L.-F. Céline, le chat errant »).  Elle  y  trace un  parallèle  étonnant  entre  la  vie et l’œuvre de Dante et celles de Céline. En annexe de son livre figurent des entretiens avec quatre céliniens – dont deux nous ont hélas quittés entre-temps – Paul Chambrillon, Pierre Monnier, Serge Perrault et Frédéric Vitoux. Parution à la fin de cette année, voire au début de l’année suivante.

  1. « Robert Denoël, éditeur » : http://www.thyssens.com
  2. Henri Thyssens, « Trois Liégeois à Paris » in Catalogue « Bibliothèque Simenon », Liège, La Sirène, 1999, pp. 58-59.

Pierre Monnier

Pierre Monnier est décédé le 27 mars à Nice, où il s’était retiré depuis plusieurs années. Il allait avoir 95 ans.
Tout célinien a dans sa bibliothèque Ferdinand furieux, ce bouquin épatant où il raconte dans quelles circonstances  il rencontra  Céline  après  la  guerre. L’amitié qui se  noua  alors  entre  eux  méritait  assurément  d’être  mieux  connue. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer à quel point l’écrivain était alors non seulement victime d’une conspiration du silence, mais considéré par nombre de ses pairs comme un écrivain fini, voire  démodé.  Pierre  Monnier  m’a souvent dit que les amis de Céline demeurés fidèles se comptaient alors sur les doigts d’une seule main. Et de citer invariablement Marcel Aymé, Marie Canavaggia, Arletty, Jean-Gabriel Daragnès et André Pulicani. Dans ces années-là,  Céline lui-même disait : « Autant de cloches à Montmartre que de potes qui m’ont renié. » Pierre Monnier, qui n’avait pas 40 ans, se lança dans cette entreprise folle qu’est  l’édition  pour redonner à l’écrivain qu’il admirait l’occasion de se faire entendre à nouveau. Ce ne fut pas sans difficultés mais ce serait sans nul doute faire injure à nos lecteurs que de rappeler plus avant ces faits bien connus d’eux.
En juin 1993, ce Bulletin lui rendit hommage suite à un déjeuner-débat qui eut lieu à Bruxelles et dont il avait été l’invité d’honneur. J’écrivais ceci : « Les qualités du conférencier sont aussi celles de l’homme. Sincérité, lucidité, chaleur, générosité, enthousiasme : tels sont les mots qui se bousculent sous ma plume lorsqu’il me faut définir Pierre Monnier. » C’est bien ainsi qu’il m’est toujours apparu. Et c’est sans aucun doute cet amour de la vie qui transcendait toute sa personnalité. Pourtant les fées ne s’étaient pas penchées sur son berceau. Parlant de son père, officier de carrière mort au combat en 1915, il disait : « J’ai eu peu de temps pour l’aimer. » Orphelin de guerre dès l’âge de quatre ans, il dut, adolescent,  gagner sa vie  tout  en suivant des cours à l’École des Beaux-Arts. Rude apprentissage, comme on s’en doute, mais qui n’entama jamais le caractère volontaire de ce Breton féru de peinture, de littérature et de…  politique.  Dans  ses livres  de  souvenirs,  il a raconté son compagnonnage avec l’Action Française, puis cette étonnante aventure de L’Insurgé, éphémère hebdomadaire nationaliste et progressiste fondé en 1937 par Jean-Pierre Maxence et Thierry Maulnier, et dont il fut le secrétaire de rédaction. Dans la lignée du  « Cercle Proudhon » créé en 1911  sous  l’égide  de Georges Sorel, il y tenait une chronique sociale qui marquait la volonté de réconcilier syndicalisme et nationalisme. De 1940 à 1942, il participa à la création et au développement  des « Centres  d’apprentissage  des jeunes »,  initiés  par  Vichy  en  zone occupée. Après la guerre, il vécut, difficilement, de la peinture et des dessins de presse (notamment dans Aux Écoutes), puis de l’édition sous le nom de « Frédéric Chambriand », avant de faire une belle carrière à L’Oréal.

Sa retraite fut très active  puisqu’il écrivit pas moins de dix livres,  dont deux sur Céline.  Et  il  se voua aussi à l’amitié, ayant pendant de nombreuses années le bonheur d’avoir  auprès de lui, dans  sa ville d’adoption,  ses  amis Louis Nucéra, Alphonse Boudard, Raoul Mille et le photographe Raoul Gatti. Une vie variée et bien remplie.

Ceux qui l’ont connu garderont de lui un souvenir lumineux.  C’était un homme attachant, loyal, fidèle à ses convictions et d’une humeur joyeusement roborative. Un être d’exception que nous n’oublierons pas. Il n’est que juste de saluer ici sa mémoire.