Avec le livre d’Annie Lacroix-Riz, on se croirait revenu aux heures glorieuses du P.C.F. Rien d’étonnant à cela : cette révisionniste stalinienne, adhérente au « Pôle de renaissance communiste en France » (P.R.C.F.), constitue un beau spécimen d’historienne militante. Ce qu’elle écrit sur Céline rappelle un article de Pierre Hervé paru en janvier 1950 dans L’Humanité : « L.-F. Céline était agent de la Gestapo » ¹. Origine du canard : désireux de se rendre en vacances à Saint-Malo (zone interdite sous l’Occupation), Céline avait approché, via un autonomiste breton, l’adjudant-chef Hans Grimm qui lui avait accordé l’autorisation. Pour l’en remercier, Céline lui offrit un exemplaire de luxe d’un de ses romans. Dans son livre sur Le Procès de Céline, Gaël Richard évoque « l’acharnement de la presse communiste distillant les bobards à son endroit ». Ce bobard fait partie du nombre. Il en existe un autre qui a accrédité l’idée que Céline était un affidé de l’Allemagne. Après la guerre on découvrit dans les papiers de Knochen, chef du S.D., copie d’une note destinée à l’ambassadeur Abetz dans laquelle Céline est cité, à son corps défendant, comme personnalité compétente en matière d’antisémitisme. François Gibault, qui offre l’avantage d’être biographe et juriste, a fait litière de cette accusation : « document sans aucune valeur de preuve » ². Lacroix-Riz ne consacre que deux pages à Céline ; elle n’a manifestement pas lu ni ses biographes ni les travaux de Gaël Richard. Cela ne l’empêche pas d’affirmer, sans critique de provenance des documents consultés, que Céline était « un collaborateur de Dannecker, un agent du SD et un acteur de la “Solution finale” » [sic] ³. Le procès de Céline a eu lieu il y a plus d’un demi-siècle. Il ne s’agit dès lors pas de le défendre ni de nier les évidences : l’auteur de L’École des cadavres était en phase avec une part de l’idéologie national-socialiste et espérait la victoire de l’Axe. Il est également avéré qu’il fréquentait le petit monde de la collaboration parisienne et qu’il lui arriva de rencontrer des officiers allemands. Ce qu’il aurait pu éviter même si ces contacts étaient établis à des fins personnelles : séjourner sur la côte bretonne, récupérer son or saisi aux Pays-Bas ou obtenir un visa. Parfois aussi, il est vrai, pour s’entretenir de manière informelle de la situation politique, comme l’a relaté Hermann Bickler 4. Certaines de ces mauvaises fréquentations, attestées par des documents, lui revinrent à la figure lors du procès de 1950. …Et lors du procès posthume qu’on se plaît à lui intenter de manière perpétuelle 5. Céline l’a, il est vrai, bien cherché. Est-il pour autant légitime de déverser sur lui un torrent d’accusations infondées ? Situation périlleuse : si l’on démontre l’inanité de ces accusations, on passe pour un inconditionnel de Céline, voire pire encore. En réalité, on ne comprend rien à son attitude sous l’Occupation si l’on n’a pas à l’esprit qu’il se comporta en électron libre, inféodé à aucun pouvoir ni à aucune coterie.
• Annie LACROIX-RIZ, Les élites françaises entre 1940 et 1944. De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Armand Colin, 2016, 496 p. (29 €)
- Article reproduit par François Gibault in Céline (2e partie : Délires et persécutions, 1932-1944), Mercure de France, 1985, p. 312.
- Ibidem, p. 257.
- Allégation imprudemment reprise par Pierre-Yves Rougeyron, président du « Cercle Aristote », dans un entretien accordé en juillet dernier. [ http://cerclearistote.com/le-grand-entretien-de-juillet-2016-avec-pierre-yves-rougeyron ]
- Rapport inédit rédigé en 1979 à partir de notes prises en 1948, extrait cité par Gibault, op. cit., pp. 261-263.
- À titre d’exemple : Le procès Céline d’Alain Moreau (réalisation Antoine de Meaux), Arte, 2011.