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Vient de paraître

Sommaire : “Chimiste le matin, écrivain l’après-midi, docteur le soir” – In memoriam François Löchen [2004 – 2024]

Bien-pensance

Voici un livre qui ne risque pas de susciter le scandale. C’est qu’il se situe résolument dans le camp du Bien. Tout a commencé, nous dit Jérôme Garcin, dans les années 80 lorsqu’il s’irrita d’une certaine fascination du public  et  du milieu éditorial pour les écrivains collabos. Il s’agit alors de faire contrepoids en valorisant les écrivains qui, pendant les années noires, firent le bon choix. D’autant, déplorait-il, qu’ils n’étaient plus lus car non réédités. Ainsi écrira-t-il un hommage à Jean Prévost, mort les armes à la main dans le maquis du Vercors, puis un autre à Jacques Lusseyran, étudiant résistant.  Dans une  récente  interview,  il déclare  que  Decour, Prévost et Lusseyran sont  ses “auteurs de chevet ”. Leurs livres seraient donc ceux qui ont sa préférence et qu’il relit souvent – ce qui est la définition même du livre de chevet ? Il est juste de rendre hommage à ces personnes dignes d’admiration pour leur courage et leur sacrifice. Et je veux bien admettre qu’ils ont écrit chacun l’un ou l’autre ouvrage de valeur. Mais que pèsent-ils littérairement face à Céline, Morand, Drieu et même Chardonne ?  Sans parler du Rebatet des Deux étendards… Il faut admettre que le constat doit être pénible pour ces critiques bien-pensants devant se résoudre à l’idée que, dans ces années-là, le talent était à droite, et parfois même très à droite. Au grand dam de Garcin, ce sont ces auteurs-là qui suscitent des biographies et de savantes exégèses, en plus d’être édités, pour les plus grands d’entre eux, sur papier bible. C’est que la Bibliothèque de la Pléiade n’est pas la bibliothèque rose et qu’un écrivain ne peut être réduit à son engagement politique. Je connais mal l’œuvre de Prévost, Decour et Lusseyran mais je ne suis pas certain de trouver chez eux les bonheurs d’expression manifestant un art stylistique comparable à celui de ces écrivains maudits. Lorsque Drieu est entré dans la Pléiade, un historien a dénoncé une tentative de « réévaluer le fascisme français » tandis qu’un autre tança Gallimard pour « cette tradition de publier des auteurs sulfureux ». Tout cela est dérisoire. En matière littéraire, le seul critère décisif est le talent, que l’on soit stalinien, comme Aragon ou Vailland, – ou fasciste. On est gêné de rappeler une telle évidence. Par ailleurs Garcin ne craint pas d’énoncer des contrevérités. Ainsi lorsqu’il affirme que Céline s’est renié, reprenant l’antienne des ultras de la collaboration qui le vouèrent aux gémonies à la parution de D’un  château l’autre. Il suffit de relire les entretiens accordés à Dumayet, Zbinden et Parinaud pour voir qu’il n’en est rien. Garcin estime aussi que De Gaulle a eu tort de ne pas gracier Brasillach. On se dit alors qu’en étant hostile à la peine de mort, il demeure fidèle à ses convictions humanistes. Pas du tout : son seul regret est que cette mort en ait fait un “martyr de l’épuration ”. Au moins concède-t-il que, si l’on s’intéresse à la littérature, on ne peut pas ne pas lire Céline même si ses romans sont parsemés de propos choquants, voire odieux. Constat qui amène une universitaire à le bannir de ses cours : « Nous sommes nombreux à choisir de ne pas l’enseigner car les paroles haineuses de Céline ne se lisent pas que dans ses pamphlets ¹. »

• Jérôme GARCIN, Des mots et des actes (Les belles-lettres sous l’Occupation), Gallimard, coll. “La part des autres”, 2024, 166 p. (18,50 €)

  1. Tiphaine Samoyault, Le Monde, 11 janvier 2018. Citée par Gisèle Sapiro in Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur, Le Seuil, coll. “Points”, 2024 [édition augmentée], p. 38.

Vient de paraître

Sommaire : La descendance obtient gain de cause – Dans la bibliothèque de Céline (2) – Londres : le milieu londonien dans l’actualité – Entre Céline et Robert Poulet [1965]

Épuration

Évoquant dans un entretien télévisé la désastreuse réception critique de Féerie pour une autre fois, Céline raconte qu’on lui a reproché de “danser dans une assiette”. À l’époque, la majorité des lecteurs fut désorientée par le fait que le récit se limite au 4 de la rue Girardon, voire à un bombardement pour le second tome (écrit, comme on sait, avant le premier). J’ignore quel critique littéraire eut recours à cette expression. Je l’apprendrai peut-être en lisant le livre de Maxim Görke, La réception critique de Féerie pour une autre fois et de Normance, qui vient  de paraître.  Curieux de lire cet ouvrage car, dans les deux cas, le dossier de presse est mince. Ainsi compte-t-on sur les doigts des deux mains les critiques qui, à l’été 1952, commentèrent le premier volet. Citons dans le désordre Roger Grenier, Albert Paraz, Roger Nimier, Robert Kemp, Théophile Briant, André Brissaud, Robert Poulet,… – la plupart d’entre eux étant des amis de l’auteur. Ce n’était assurément pas le cas de Pierre Lœwel qui qualifia le livre d’« éructation informe, de borborygme, de déboulage de délirant dans lequel les vociférations de la grossièreté prennent un aspect démentiel et une odeur d’égout [sic] »¹. Dans cet entretien, Céline confiait que les livres qu’il avait écrits depuis son retour d’exil ne s’étaient guère vendus. Avec Féerie, il s’était, en quelque sorte, mis dans les pas de Flaubert : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut.  Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière². »   Féerie demeure un chef-d’œuvre méconnu, y compris des lecteurs de Céline. Exception notable : Jean-Pierre Dauphin (†) qui, à la fin des années 70, consacra deux numéros de la revue qu’il dirigeait à ce diptyque³. Céline détestait l’insuccès : plus question de promener les lecteurs dans une assiette. Il s’agissait maintenant de les faire voyager, ce qui sera le cas avec D’un château l’autre qui le vit renouer avec le succès. Dans un autre entretien, Céline justifie l’intérêt du livre par le fait qu’il traite d’une partie de l’histoire de France dont on parlera un jour, disait-il, dans les écoles. Si tel n’est pas le cas pour une raison évidente, plusieurs auteurs ont fait de Sigmaringen le sujet d’un de leurs livres. Céline aurait sans doute été étonné que tant d’ouvrages soient consacrés à la fuite des “collabos”. Certains historiens sont même devenus des spécialistes de l’épuration. Tel celui d’un livre récent dont Céline n’est pas le sujet principal mais dont la photo figure en couverture, marketing oblige. Le coup de pied de l’âne n’en est pas absent : il y est relevé que « toute honte bue, Céline compare volontiers son sort à celui des grands écrivains exilés ». Ces deux adjectifs ne se justifient-ils pas dans son cas ?!

• Marc BERGÈRE, Lignes de fuite (L’exil des collaborateurs français après 1945), Presses Universitaires de France, 2024, 376 p. (21 €). Sur le même thème, voir Yves POURCHER, L’exil des collabos (1944-1989), Éditions du Cerf, 2023, 330 p. (24 €)

  1. Pierre Lœwel, « Obsession de l’obscène », L’Aurore, 21 octobre 1952.
  2. Lettre à Louise Colet, 16 janvier 1852.
  3. Jean-Pierre Dauphin (éd.), Lectures de Féerie pour une autre fois, Lettres modernes-Minard (“Série L.-F. Céline”, n° 3 & n° 4), 1978-1979.

Vient de paraître

Sommaire : Entretien avec Émile Brami – Céline vu par un oxfordien. Une lecture de Guerre – Un poème de Charles Bukowski sur Céline – Dans la bibliothèque de Céline. Ouverture – Philippe Sollers, un an déjà…

Voyage au cinéma ?

En février dernier, François Gibault confia, lors d’une conférence sur Céline à la Médiathèque d’Enghien-les-Bains qu’une adaptation cinématographique de Voyage au bout de la nuit allait peut-être apparaître sur le grand écran¹. Il n’en dit pas davantage (le contrat n’était pas encore signé), mais indiqua néanmoins qu’il avait été approché par une importante société cinématographique ayant les moyens de concrétiser le projet. Un site américain² a récemment révélé de quoi il retourne, le contrat ayant été versé au registre des options du C.N.C. (Centre national du cinéma)³. Le jour même, l’info a été relayée en France où la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre. Cela fait des décennies qu’un projet d’adaptation de Voyage est dans l’air. “…Projet mirifique, éternel film fantôme qui, sorte de monstre du Loch Ness en celluloïd, resurgit périodiquement” 4. Dès 1934, Céline lui-même s’employa vainement à le faire aboutir. Tous les projets firent long feu, le dernier en date étant celui de François Dupeyron (1950-2011). La singularité de la nouvelle tentative est qu’elle émane de Joann Sfar, issu d’une famille juive sépharade du côté paternel, et d’une famille ashkénaze du côté maternel.  Lorsqu’il était adolescent,  ce dessinateur et réalisateur lut Voyage au bout de la nuit avec ferveur avant de connaître la biographie de l’auteur. « Vous pouvez imaginer à quel point ma vie a été compliquée plus tard. J’ai un rapport passionnel et conflictuel à Céline pour des raisons évidentes »,  a-t-il confié. D’autant qu’il fait de sa judéité l’un des thèmes de son œuvre. Il définit Voyage comme « un ouvrage où se produit un glissement inéluctable de la lucidité au nihilisme. Toboggan vers l’indifférence au massacre [sic] » Les producteurs seront, d’une part, son associé Aton Soumache (The Magical Society) et, d’autre part, Alain Attal (Trésor Films). Cela fait plus de quinze ans que Joann Sfar nourrit ce projet mais c’est sa récente rencontre avec Thomas Bidegain, scénariste des films de Jacques Audiard, qui a été décisive. Les droits d’adaptation sont naturellement limités dans le temps : Sfar a trois ans pour achever le scénario et commencer le tournage. Comme on s’en doute, ce ne sera pas chose aisée : le scénariste souligne la complexité de l’adaptation due notamment à la structure particulière du roman ainsi qu’à sa langue. Tous deux entendent donner “une approche personnelle et fascinante restituant toute l’intensité et la complexité d’un roman qui explore les affres de l’âme humaine sous le prisme de la guerre  et  de la misère sociale”. Dans un message posté sur les réseaux sociaux, l’auteur du Chat du rabbin précise : « J’ignore encore si nous parviendrons à sauter tous les obstacles vers l’aboutissement de ce film. Merci par avance à ceux qui me souhaitent le pire, ça fait partie du jeu. Attendez que ce film sorte pour le haïr, ce sera plus agréable pour vous comme pour moi. » Michel Audiard, lui, estimait que, finalement, il était heureux que son projet d’adaptation n’ait pas abouti : « La littérature à ce niveau-là, on ne peut que saloper le coup. »
  1. M.L., « Année faste », Le Bulletin célinien, n° 460, mars 2023, p. 3.
  2. Elsa Keslassy, « Joann Sfar, Thomas Bidegain to Adapt Journey to the End of the Night for the Big Screen With Aton Soumache, Alain Attal Producing », Variety.com, 9 septembre 2024.
  3. https://rca.cnc.fr/rca.frontoffice/consultation/oeuvre/367b0eaa-bea1-440d-aef2-08dc91fcfc53
  4. Émile Brami, Louis-Ferdinand Céline et le cinéma (Voyage au bout de l’écran), Écriture, 2020.