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Vient de paraître

Sommaire : Maurice Nadeau et Céline – L’énigme Pucheu – Deux lettres de Pierre Monnier à Albert Paraz – Le grand amour d’Arletty.

Moisson printanière

Marre de Céline ! Ils ne supportent plus de le voir considéré comme l’un des plus grands écrivains du siècle dernier, ni qu’il soit pléiadisé, ni que des livres le concernant envahissent les librairies. Dommage pour eux : la moisson printanière s’avère copieuse. Pas moins d’une dizaine de livres à lui consacré paraissent ces jours-ci. Nous y reviendrons le mois prochain mais nous nous proposons de les passer d’ores et déjà en revue. Il y a d’abord les publications scientifiques. Dont les actes du XXIIe colloque de la Société d’études céliniennes, qui s’est tenu l’été dernier à Paris, avec pour thème Céline et le politique.  Ce volume de près  de 300 pages sera adressé à tous les membres de la SEC en règle de cotisation pour cette année. Les Presses Universitaires de Montréal nous proposent la thèse de doctorat de Bernabé WesleyL’oubliothèque mémorielle de L.-F. Céline, soutenue il y a deux ans. Cet essai se veut une analyse des symboles, des motifs et des usages de l’amnésie collective de la société française d’après-guerre telle qu’elle est mise en scène dans ses derniers romans. Ce céliniste de la nouvelle génération examine leur inventivité linguistique, leur humour, leur étrangeté, parfois, et surtout leur portée critique à l’égard des représentations de la mémoire d’une société voulant oublier la guerre qui vient de s’achever, tout en en gardant à jamais le souvenir. Sous le titre Louis-Ferdinand Céline. Récurrence lexicale et poésie du style dans Voyage au bout de la nuit (L’Harmattan), Bianca Romaniuc-Boularand livre une subtile analyse de la poétique célinienne. L’auteur articule son analyse autour de la notion de rythme, envisagé comme essence de la poésie, et démontre que le rythme célinien est, en grande partie, affaire de récurrences lexicales, autant formelles que sémantiques. C’est une étonnante approche géographique et littéraire, servie par un style d’écrivain, que nous offre Pierre GrouixFerme du bois clair (Céline, Danemark, 1948-1951) passe au peigne fin les moindres petits faits de ce que fut la vie de l’écrivain en exil (Éd. du Bourg). Cet ouvrage confine à l’enquête biographique la plus rigoureuse où les détails les plus ténus font sens. Après avoir lu ce livre, les céliniens ne confondront plus Klarskovgaard et Korsør, ni Fanehuset et Skovly. Autre lieux évocateurs : Douala, Bikomimbo et Dipikar.  Louis Destouches vécut moins d’un an au Cameroun mais la période fut décisive. Pierre Giresse, professeur de géologie qui a longtemps vécu dans ses contrées, signe un Céline en Afrique (Du Lérot), richement illustré, qui invite le lecteur à revisiter la nature tropicale et ses habitants, familiers aux lecteurs de Voyage au bout de la nuit. Marc Hanrez, pionnier du célinisme, rassemble ses études sous le titre Céline et ses classiques (& autres essais). La partie qui a donné son titre à ce recueil constitue une approche de Céline à travers les auteurs, poètes et artistes qui le captivaient ou qui l’intriguaient. De Villon à Diderot, de Shakespeare à Voltaire, de Jules Vallès à Léon Bloy, de George Sand à Paul Morand…, de Bosch à Breughel… défile un patrimoine imaginaire qui a marqué Céline (Éd. de Paris-Max Chaleil).Signalons enfin la sixième réédition de l’inusable Céline en chemise brune d’Hanns-Erich Kaminski (1938) mais qui offre, cette fois, l’avantage d’être la première à corriger les erreurs de composition de l’édition originale. Bonnes lectures !

Également paru : Quatre histoires intimes d’écrivains pour la radio (Zweig, Yourcenar, Céline, Aragon) de Léo Koesten (L’Harmattan, 152 p.). Il s’agit de pièces radiophoniques diffusées sur France-Inter. Celle concernant Céline a été diffusée en 2017 (émission “Affaires sensibles” de Fabrice Drouelle).

Vient de paraître

Sommaire : Rencontre avec Yves-Robert Viala – À l’agité du bocal (re)composé par Bernard Cavanna – La vérité sur Bessy – Une conférence sur Céline – Le bilan de l’accueil et l’évolution de Céline de L’Église à Mort à crédit.

Mépris

Tout a été dit sur l’indigeste pavé du tandem Taguieff-Duraffour paru au début de l’année passée ¹. En attendant la version en collection de poche, agrémentée d’une préface sur la réception critique (!), on peut maintenant y revenir avec quelque recul même si d’aucuns penseront qu’on lui accorde trop d’importance.

Fallait-il que les deux auteurs aient jadis éprouvé pour Céline « une admiration sans bornes » (expression employée dans l’introduction) pour en arriver là ! Peu suspect de complaisance envers l’écrivain, Émile Brami, dans l’un des premiers comptes rendus du livre, a magistralement montré l’inanité de certaines accusations (agent actif du SD, notamment) dépourvues de la moindre preuve ². Accusations basées sur une méthodologie contestable qui tient à la formation des auteurs : l’une vouée aux études littéraires, l’autre à la philosophie et à l’histoire des idées. Mais pas la moindre formation d’historien s’étant frotté à la critique interne et externe des documents. Si tel avait été le cas, plusieurs bourdes eussent été évitées.  Le fait que Céline, véritable électron libre avant et pendant la guerre, ait souhaité la victoire de l’Axe et qu’il ait, à ce titre, fréquenté des officiels (allemands et français) n’est pas douteux. Ne l’est pas moins le fait qu’il n’ait pas mis une sourdine à son racisme (englobant son antisémitisme) pendant les années noires. Mais cela ne fait pas de lui un agent (stipendié ou pas) de la police allemande. D’autant qu’il est avéré qu’il fréquentait le plus souvent ces personnalités à des fins personnelles (récupération de son or saisi en Hollande, possibilité de séjourner sur la côte bretonne, etc.). Pour le reste, « était-il nécessaire de vouloir à toute force rendre Céline plus noir  qu’il ne l’a été ? » ³.  Oui s’il s’agit de faire en sorte que l’Université le boycotte tant et plus. Les auteurs auront alors beau jeu de constater qu’aucun « grand spécialiste universitaire » ne se penche décidément sur son œuvre. Mais, ce qui frappe le plus à la lecture du livre, c’est ce mépris d’acier qu’affichent les auteurs. Mépris envers l’écrivain qui a cessé d’être pour eux un classique, tout au plus un styliste de talent 4.  Mépris envers ses exégètes, tel Henri Godard, déconsidéré car n’ayant pas les connaissances (philosophiques, ethnographiques, anthropologiques et génétiques) requises à leurs yeux pour pouvoir traiter valablement du sujet 5. Mépris envers les chercheurs, tel Éric Mazet ou Jean-Paul Louis, perçus comme des dévots du « culte célinien ». Mépris envers la plupart des autres célinistes, « érudits aussi passionnés que limités dans leurs perspectives ». Mépris enfin envers les admirateurs de son œuvre. Tous étiquetés célinophiles, célinomanes ou célinolâtres. De Kaminski à Peillon en passant par Vanino, Kirschen, Gosselin, Martin, Bounan et Bonneton, la liste des livres hostiles à Céline est déjà longue. Nul doute que celui-ci a décroché la palme.

  1. Annick Duraffour & Pierre-André Taguieff, Céline, la race, le Juif (Légende littéraire et vérité historique), Fayard, 2017. À paraître au printemps prochain dans la collection « Pluriel » des éditions Fayard.
  2. Avis partagé par Pierre Assouline : « Ils ont épluché tout ce qui a été publié sur le sujet afin de prouver que Louis-Ferdinand Destouches était un être vénal, que les Allemands l’avaient payé, qu’il travaillait pour leurs services, qu’il était au courant de l’existence des chambres à gaz et qu’il mouchardait à tour de bras mais ils n’avancent guère de preuve. » (La République des livres, 19 mars 2017) ; Émile Brami, « Le chapeau, l’éléphant et le boa » in Études céliniennes, n° 10, hiver 2017. Voir aussi David Alliot & Éric Mazet, Avez-vous lu Céline ?, Pierre-Guillaume de Roux, 2018 & Marc Laudelout, « Feu sur Céline et les céliniens », Le Bulletin célinien, n° 394, mars 2017.
  3. Émile Brami, op. cit.
  4. Ainsi ne voient-ils dans les derniers romans qu’un « simple jeu de formes langagières plus ou moins inédites » (!).
  5. Il est par ailleurs traité de « célinologue officiel de la République des lettres», ce qui est proprement grotesque.

Vient de paraître

Sommaire : Réhabilitation littéraire – Aux céliniens d’en bas – Céline à Drouot – Le choc de Breugel – Le Prix Renaudot et la participation du lauréat – Quand Jacques Ovadia écrivait à Céline et à Pauvert

Réhabilitation littéraire

Intolérable « réhabilitation littéraire » de Céline ! C’est le sens implicite d’un article de Philippe Roussin * (qui se trouve être, comme Taguieff et comme Anne Simonin, directeur de recherche au CNRS). Selon lui, cette réhabilitation s’est faite au prix du refoulement de son antisémitisme. Paradoxal car, depuis une trentaine d’années, on ne peut plus lire un article sur Céline sans que ne soit inévitablement rappelé son passé de “collabo”  et  son antisémitisme patenté. Affirmer que cela a été mis sous le boisseau apparaît ébouriffant. C’est à croire que cet universitaire ne lit pas les journaux et ne regarde pas la télévision. Chaque commentateur se fait un devoir de rappeler cette composante de l’œuvre. Par ailleurs, ces vingt dernières années, les essais, opuscules et articles sur l’idéologie célinienne se sont multipliés.

Retour en arrière : dans un entretien paru il y a quelques années ¹, Roussin confiait que lorsqu’il était étudiant, il lisait avec passion la revue Tel quel de Sollers, « alors la seule université digne de ce nom ». C’était l’époque où ce trimestriel, très impliqué en politique, célébrait la “réussite” de la révolution culturelle chinoise. Aujourd’hui, Roussin déplore le virage que cette publication prit ensuite, lorsqu’elle « se détourna de la politique et hissa la littérature française au rang d’un absolu ». Sollers et ses amis redécouvrirent alors puis revendiquèrent Céline « comme leur champion incontesté ». Et proclamèrent qu’on ne peut pas juger un écrivain sur des critères moraux. C’était prendre le contre-pied des thèses sartriennes qui ont, on l’aura compris, l’aval de Roussin. Pour celui-ci, la littérature doit nécessairement se soumettre au jugement politique. Bien entendu il est résolument contre une réédition scientifique des pamphlets car ce serait leur donner « une caution exagérée ». Et d’ajouter (il se refuse naturellement à détenir ces textes chez lui) : « Ceux qui veulent les lire n’ont qu’à faire comme moi, aller en bibliothèque. ».

Sur deux pages, il passe douloureusement en revue les nombreux aspects de la gloire posthume de Céline : le fait qu’il soit reconnu à l’égal de Proust, sa consécration éditoriale dans la Pléiade, l’inscription (1993) de Voyage au bout de la nuit  au  programme de l’agrégation de littérature française,  l’achat du manuscrit par la B.N.F, la dizaine de biographies à lui consacrée, le succès des adaptations théâtrales, etc. Heureusement, « la réhabilitation littéraire a ses limites » : retrait en 2011 du “Recueil des célébrations nationales” et suspension l’année passée du projet de réédition des pamphlets par Gallimard face aux protestations qu’il a suscitées. Roussin considère que l’actualité célinienne n’est plus seulement d’ordre littéraire mais aussi  d’ordre politique en raison notamment du climat « xénophobe » en France et en Europe. Claire allusion au souhait des peuples de vouloir à la fois restreindre l’immigration de masse et l’accueil des migrants. De là à évoquer une “révolte des indigènes”…

• Philippe Roussin, « Réhabiliter Céline » in L’Histoire, n° 453, novembre 2018, pp. 62-64.

  1. Propos recueillis par Philippe Lançon, Libération, 14 avril 2005.
    Sur le thème de la censure, voir Emmanuel Pierrat, Nouvelles morales, nouvelles censures (Gallimard, 2018, 160 p.). Il y est notamment question de Céline à propos du cinquantenaire de sa naissance et de la réédition des pamphlets.