Sommaire : Céline et Joyce – Un débat sur la réédition des pamphlets – Clément Rosset et Céline – Maurice Lemaître et l’ “Association israélite pour la réconciliation des Français” – Un grand livre sur Roger Nimier
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Le colloque de la S.E.C.
En arrière-plan de ce colloque : la polémique suscitée par le projet de réédition des pamphlets par les éditions Gallimard. Une table ronde réunissant diverses personnalités fut organisée en ouverture du colloque. Nous en rendons compte dans ce numéro. À l’exception notable de Philippe Roussin, directeur de recherches au CNRS, il faut noter que tous les spécialistes de Céline sont favorables à cette réédition. Hormis François Gibault, qui s’est fait durant un demi-siècle le porte-parole de l’ayant droit ³, observons que cela a toujours été le cas. Il y a plus de trente ans déjà, nous avons publié ici leurs appréciations 4. Dont celle de Henri Godard qui, contrairement à ce qui fut sous-entendu lors de cette table ronde, s’exprima dès le début de manière claire : « Plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques. »
- Dans une lettre adressée au Président et à la Secrétaire de la Société des Études céliniennes, Émeric Cian-Grangé écrit : « (…) Je m’interroge sur les moyens, les raisons et les motivations qui, in fine, vous ont permis d’écarter Philippe Alméras, empêchant ainsi les auditeurs d’avoir la possibilité d’apprécier la communication de l’auteur des Idées de Céline. Mon premier étonnement concerne votre choix, Madame la Secrétaire, d’avoir demandé à Philippe Alméras la rédaction d’une lettre motivée afin de pouvoir réintégrer la SEC. Mon deuxième étonnement porte sur le bien-fondé de votre proposition, finalement rejetée, de réclamer à Philippe Alméras l’intégralité des cotisations antérieures impayée depuis son départ de la SEC. Comment par ailleurs ne pas être surpris par votre décision, Monsieur le Président, d’écarter la communication de Philippe Alméras alors qu’il suffit, pour faire partie des intervenants, d’envoyer un résumé et d’être membre de la SEC à jour de cotisation ? En conséquence, permettez-moi de mettre en doute la capacité de la SEC à “réunir, en dehors de toutes passions politiques ou partisanes, tous ceux qui, lecteurs, collectionneurs ou chercheurs s’intéressent à l’œuvre de L.-F. Céline”, ce qui est pourtant sa mission première. »
- Rémi Wallon, « Louis Destouches en Afrique : une politique d’emprunt ? ». À comparer, sur le même thème, avec la teneur de l’article de Gilles Roques, « Quelques lectures de Céline au Cameroun en décembre 1916 », Le Bulletin célinien, n° 318, avril 2010.
- C’est en 1968 que François Gibault est devenu le conseil de Lucie Destouches.
- Marc Laudelout, « Tout Céline ? », Le Bulletin célinien, n° 27, novembre 1984.
Vient de paraître
Philippe Alméras
Philippe Alméras n’est pas bien vu par les céliniens. Les raisons selon lui ? « Je ne maquille ni son antisémitisme ni sa collaboration. Je récuse l’alibi de la folie. Surtout je me refuse à la récupération sociale-démocrate du “Céline au langage révolutionnaire malgré lui”. Je reste surtout celui qui a fait l’inventaire des “idées de Céline”. Voici donc toutes mes médailles. ¹ » Il est vrai que les admirateurs de l’écrivain ont tendance à évacuer ses choix partisans en les réduisant à des élucubrations mentales à ne pas prendre au sérieux. Tendance naturelle à défendre un écrivain que l’on aime. À l’autre bout de la chaîne, Alméras force le trait : « Pas très médecin, pas tellement compatissant, pas mal pleutre ² ». Et escamote l’artiste. Or Céline fut davantage obnubilé par sa création littéraire que par le reste. Durant l’Occupation, il consacre bien plus de temps à rédiger Guignol’s band (dont il entame la rédaction à l’automne 1940) qu’à fréquenter le petit milieu de la collaboration et à réagir aux articles des journaux. Certes l’idéologie n’est absente ni de ce troisième roman ni surtout de ceux d’après-guerre mais celle-ci y apparaît par la force des choses et non de manière délibérée. À lire Alméras, on a, au contraire, l’impression d’un idéologue constamment mû par son obsession racialiste. Laquelle n’est pas contestable mais ce constat doit-il nécessairement conduire à la partialité ? « Testis unus, testis nullus » s’exclame Alméras pour récuser un témoignage attestant l’indépendance de Céline (Benoist-Méchin) alors que, dans le même temps, il en avalise un autre sans barguigner mais à charge celui-là (Jünger). Détail qui atteste d’une volonté démonstrative ne s’embarrassant guère de méthodologie. L’idéologie célinienne vue par Alméras ? Une vision Nord-Sud impliquant une polarisation ethnique antérieure à Voyage, ce qui est discutable, et un racisme biologique plus prégnant que son antisémitisme, ce qui est avéré. Un pionnier du célinisme est monté au créneau pour fustiger « la tribu querelleuse des céliniens qui, dans son ésotérisme acariâtre, lui a parfois cherché des crosses ³ ». De quoi panser quelques plaies… Lesquelles sont parfois ravivées. Ainsi, le projet de communication qu’Alméras destinait au colloque « Céline et le politique », s’est vu refuser par le bureau de la Société d’Études céliniennes 4. Si ce refus se justifie par le fait que cette contribution n’apporte strictement rien de neuf à ses précédentes études sur le sujet – c’en est même la synthèse parfaite –, davantage d’égards eussent pu être pris envers ce quasi nonagénaire qui fut l’un des co-fondateurs de la S.E.C. et son premier président. Raison suffisante pour accueillir ici cette communication. Le lecteur jugera ainsi sur pièce.
Philippe Muray força jadis son talent en traitant Alméras de « doyen de la Confrérie des célinophobes » car son admiration pour l’écrivain n’est pas feinte même si, dans sa logique apodictique, il donne l’impression d’admirer essentiellement en lui le génie verbal alors que la poétique célinienne dépasse de beaucoup cette dimension.
Au moins s’accordera-t-on à reconnaître les mérites de l’auteur décapant de De Gaulle à Londres et de Vichy-Londres-Paris 5. Sa volonté opiniâtre de basculer les légendes ne s’arrêtant évidemment pas à Céline.
- Propos recueillis par Pierre Chalmin in Éléments, hiver 2004-2005.
- Philippe Alméras, « Cent ans après » in Sur Céline, Éditions de Paris, 2008, p. 250.
- Pol Vandromme, « Promenade en terres céliniennes », Valeurs actuelles, 21 janvier 2005.
- Ce colloque aura lieu du 4 au 6 juillet à Sciences-Po (Paris). Voir : https://celine-etudes.org.
- Tous deux parus aux éditions Dualpha.
Vient de paraître
Réprouvés, bannis, infréquentables
Autre réflexion: si Céline est reconnu comme un écrivain important, il n’en demeure pas moins qu’il est tenu à l’écart par l’école et l’université. Hormis Voyage au bout de la nuit et, dans une moindre mesure Mort à crédit, ses romans sont absents des programmes scolaires. Quant à l’université, on doit bien constater qu’elle organise très peu de séminaires sur son œuvre et que, parmi les universitaires habilités à diriger des recherches, rares sont ceux qui acceptent de diriger un travail sur Céline. Conséquence : le nombre de thèses à lui consacrées est en nette baisse par rapport au siècle précédent. On se croirait revenu aux années où Frédéric Vitoux puis Henri Godard rencontrèrent tous deux des difficultés à trouver un directeur de thèse. Et cela ne risque pas de s’arranger dans les années à venir.
• Angie DAVID (éd.), Réprouvés, bannis, infréquentables, Éditions Léo Scheer, 2018, 275 p. (20 €).
- Pierre Assouline, « Il n’y a pas d’écrivains maudits », La République des livres, 25 mars 2018 [http://larepubliquedeslivres.com/il-ny-pas-decrivains-maudits]
- Le dossier de presse a été procuré par André Derval in L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre, Écriture, 2010.