Sommaire : Entretien avec Henri Godard – Éditeur de Céline – L’intercesseur – Quarante années de recherches céliniennes.
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Henri Godard
La dette que les céliniens ont contractée envers Henri Godard est considérable. On songe évidemment en premier lieu à cette magistrale édition critique de l’œuvre romanesque dans la Pléiade. Que ce soit sur la génétique des textes, l’établissement des variantes, les liens entre création et expérience vécue, l’étude narrative et stylistique, il a accompli un travail à la fois rigoureux et éclairant. De sa thèse de doctorat sur la poétique de Céline soutenue il y a plus de trente ans à sa biographie qui vient d’être rééditée en collection de poche ¹, il aura sans nul doute été l’exégète le plus pénétrant de Céline. Et il a constamment mis l’accent sur l’unité d’une œuvre qui « contrairement à l’impression générale, demeure assez mal connue dans son ensemble comme dans sa distribution ² ».
« Nous avons en commun de travailler à donner à Céline, en dépit des handicaps, toute la place qui est la sienne », m’a-t-il écrit un jour. C’était aussi reconnaître implicitement tout ce qui nous sépare. L’un des mérites d’Henri Godard aura été de surmonter ce qui aurait pu l’empêcher de vouer une grande partie de sa carrière à l’œuvre d’un homme dont il est si éloigné. Dans son dernier livre sur Céline, il ne dissimule pas les tourments que cela a pu susciter sur le plan personnel : « Autour de moi, dans mon entourage proche, même si on a depuis longtemps cessé de me le dire, pour certains – mes amis juifs naturellement en particulier –, ce choix n’en continue pas moins à faire problème. Ils auraient préféré que je m’attache à un autre auteur. Entre eux et moi, par intermittence, à l’occasion d’une nouvelle publication par exemple, je sens passer une onde à peine perceptible de gêne. » Et les choses vont parfois plus loin comme lorsque l’un de ses pairs l’accuse de complaisance envers l’écrivain ³.
Henri Godard n’écrira plus sur Céline. Il considère qu’il a dit sur le sujet tout ce qu’il avait à dire. Il n’était que temps de lui rendre hommage et de lui exprimer notre gratitude. En publiant la transcription d’un des plus intéressants entretiens qu’il ait donnés à la presse radiophonique. Plus loin, deux céliniens de la nouvelle génération saluent avec reconnaissance leur aîné tandis que Jean-Paul Louis, avec lequel il fonda la revue L’Année Céline, explique pertinemment en quoi son travail d’éditeur dans la Pléiade est digne de tous les éloges.
Ce passionné de littérature n’a jamais méconnu le pamphlétaire intraitable que fut Céline. En revanche il s’est toujours insurgé lorsque certains voulaient le repeindre en « un second Drumont », c’est-à-dire « un individu qui n’[aurait] jamais pensé qu’à propager son credo raciste, utilisant à l’occasion pour cela la voie indirecte ou camouflée du roman 4. » C’est tout l’honneur d’Henri Godard d’avoir défendu l’écrivain malgré les préventions, les embûches et les dénigreurs de tout acabit.
- Henri Godard, Céline, Gallimard, coll. « Folio », 2018, 820 p.
- La formule, hélas toujours actuelle, est de Jean-Pierre Dauphin (†), fondateur avec Henri Godard, des Cahiers Céline (Les critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976).
- Jérôme Meizoz, « Richard Millet : le scénario Céline » in Pascal Durand & Sarah Sindaco (dir.), Le Discours « néo-réactionnaire », CNRS Éditions, 2015. Le tandem Taguieff-Duraffour, lui, ne craint pas d’écrire à son propos que « dans le célinologue perce le célinophile, voir le célinolâtre», ce qui est, concernant Godard, tout à fait grotesque.
- Note critique de Henri Godard relative à la biographie de Philippe Alméras, Céline : entre haines et passion in L’Année Céline 1994, Du Lérot – Imec Éditions, 1995, p. 141.
Vient de paraître
Édith et Colette
À noter que deux lettres figurant dans le tome III de la biographie de François Gibault ne sont pas reprises dans cette plaquette ; en revanche, les deux lettres adressées à Colette publiées dans Études céliniennes (n° 5, hiver 2009-2010) et Le Bulletin célinien (n° 331, juin 2011) y figurent. Une édition scientifique de ces lettres, avec datation de celles-ci et appareil critique consistant, reste à faire.
Vient de paraître
Robert Denoël
Faut-il que la gloire posthume de Céline insupporte certains ! Dans un roman aussi pesant que touffu, Maxime Benoît-Jeannin raconte les liens professionnels et privés qui unirent, sous l’Occupation, deux personnalités aussi affirmées que Dominique Rolin et Jeanne Loviton à Robert Denoël. Céline, son auteur fétiche, apparaît à plusieurs reprises. Paranoïaque, veule et bien entendu partisan de l’extermination de la race élue ¹, c’est ainsi que ce romancier le dépeint sans nuance. En revanche, il a pour Sartre les yeux de Chimène, se gardant bien de rappeler que celui-ci se compromit avec un autre totalitarisme ². Et de dénoncer dans l’épilogue « un Sartre bashing frénétique qui touche tous les milieux » ainsi que « cette haine pathologique pour le philosophe français le plus important depuis Descartes [sic] ». Pour en arriver à déplorer que « du coup, la commémoration du centenaire de sa naissance se fit a minima. » La phrase qui suit est édifiante à souhait : « Parallèlement, la gloire de Céline monte encore en puissance, son lectorat ne cesse de grandir. » …Voilà qui est assurément insupportable.
Quant à ce roman, gageons qu’il découragera plus d’un lecteur s’intéressant à cette période. Tant de personnages défilent qu’on ne parvient à s’attacher à aucun d’entre eux. On a en outre l’impression que l’auteur a voulu y fourguer toute sa documentation. Elle est d’autant plus vaste qu’il l’a largement puisée sur un site internet en libre accès: celui qu’Henri Thyssens consacre depuis 2005 à Robert Denoël. Mais on est loin de l’élégance d’un Pierre Assouline qui, à la fin de son roman Sigmaringen, tint à citer ses sources. Le travail de Thyssens est ici sommairement mentionné au détour d’une page alors que, sans les recherches qu’il a accumulées pendant vingt ans, ce roman n’existerait tout simplement pas. Quant au chercheur il est qualifié d’« admirateur de Louis-Ferdinand Céline », ce qui, dans l’esprit de l’auteur, doit être un tantinet suspect.
Dans la presse Benoît-Jeannin se défend d’être manichéen mais le lecteur constate qu’il n’a que profond mépris pour tous les écrivains qui se sont engagés dans la voie de la Collaboration. C’est dire si l’on s’écarte du jugement d’un Malraux qui considérait Drieu comme « l’un des êtres les plus nobles qu’[il ait] rencontrés ». Ici, tous ceux qui étaient dans le mauvais camp sont jugés à l’aune de la même toise. C’est tellement plus simple ainsi.
Reste l’énigme du meurtre de Robert Denoël. L’auteur y voit la conséquence d’une altercation qui aurait mal tourné entre un résistant revenu des camps et Denoël qui lui aurait demandé son appui pour le procès dont il était menacé. Hypothèse qui paraît un peu alambiquée. Une seule chose est sûre : on n’a pas fini de gloser sur cette affaire vieille de plus d’un demi-siècle.
• Maxime BENOÎT-JEANNIN, Brouillards de guerre (roman), Éditions Samsa, 2017, 500 p. (26 €)
- Ne nous lassons pas de rappeler que les meilleurs connaisseurs de Céline, de Henri Godard à Régis Tettamanzi en passant par Jean-Paul Louis, Éric Mazet ou François Gibault, estiment que c’est interpréter erronément le langage paroxystique de l’écrivain que d’énoncer semblable allégation.
- Rappelons aussi que Sartre est l’immortel auteur de cette phrase prononcée en 1965 (!) : « Tout anticommuniste est un chien. Je n’en démords pas et n’en démordrai jamais.». Plus tard, Sartre sera, comme on sait, un compagnon de route des maoïstes français et l’apologiste de la bande à Baader.