Sommaire : Les souvenirs d’Hermann Bickler – Le docteur Clément Camus (1ère partie) – Un célinien au parcours étonnant – D’un château l’autre
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Emmanuel Berl
Tous ces faits, et bien d’autres, sont rappelés dans une passionnante biographie de Berl qui est loin d’être complaisante.
• Olivier PHILIPPONNAT et Patrick LIENHARDT, Emmanuel Berl. Cavalier seul (préface de Jean d’Ormesson), La Librairie Vuibert, 2017, 497 p. (27 €)
Vient de paraître
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Tel quel, le Bulletin se veut un lien régulier avec ceux que l’on appelle les « céliniens ». Qui ne sont pas tous « célinistes », ce terme désignant en principe ceux qui travaillent sur le sujet qu’ils soient universitaires distingués ou amateurs éclairés. Que cela soit pour moi l’occasion de rendre hommage à la petite cohorte de pionniers : Nicole Debrie, Jean Guenot, Marc Hanrez, Dominique de Roux (†) et Pol Vandromme (†). Lesquels ont précédé la deuxième vague composée de Philippe Alméras, Jean-Pierre Dauphin (†), François Gibault, Henri Godard (fondateurs en 1976 de la Société d’Études céliniennes), Alphonse Juilland (†), Frédéric Vitoux, Henri Thyssens, Éric Mazet et quelques autres. Depuis lors, la vision que le public a de Céline s’est dégradée avec la parution d’ouvrages ayant pour but d’en faire un propagandiste stipendié. Si son importance littéraire n’est généralement pas remise en question, le portrait diffamant que l’on fait de l’écrivain n’est pas sans conséquence. Dans la bibliographie célinienne – devenue mythique à force de voir sa parution reportée – qu’Arina Istratova et moi finalisons, nous observons la baisse de travaux universitaires à lui consacrés. C’est qu’il devient périlleux de prendre Céline comme sujet de thèse (ou d’en assurer la direction) tant il apparaît aux yeux de certains comme éminemment sulfureux. Jean-Paul Louis, éditeur de la revue L’Année Céline, fustige à juste titre ceux qui veulent « mettre au pas le créateur coupable de déviances et d’expressions trop libres ». Le rêve inavoué étant de « l’exclure de l’histoire littéraire » ¹. Pour cela, certains détracteurs n’hésitent pas à minorer sa valeur. Et posent cette question insidieuse : « Pourquoi l’œuvre de Céline, contrairement à celles de Chateaubriand, de Balzac, de Flaubert ou de Proust, n’a-t-elle pas attiré de grands spécialistes universitaires, pourquoi a-t-elle été négligée par les critiques de haut vol ? ² » Poser la question c’est y répondre. Dans le sérail universitaire, se vouer à Céline suscite ipso facto la suspicion même si l’on affiche un brevet de civisme républicain. Henri Godard, pour ne citer que lui, en sait quelque chose ³.
N’en déplaise à ses contempteurs, l’œuvre de Céline est considérable. Assurée d’une postérité inaltérable – même si elle pourrait dans l’avenir être moins lue qu’aujourd’hui –, elle défie les siècles à l’égal de celle d’un Rabelais.
- Jean-Paul Louis, L’Année Céline 2016, Du Lérot, 2017, p. 7.
- Annick Duraffour & Pierre-André Taguieff, Céline, la race, le juif, Fayard, 2017, p. 742.
- Voir le chapitre « À cheval sur un hippogriffe » in Henri Godard, À travers Céline, la littérature, Gallimard, 2014, pp. 122-141.
Vient de paraître
Libertaire
Il est décidément loin le temps où Moïse Maurice Bismuth, dit Maurice Lemaître, prenait fait et cause pour Céline dans les colonnes du Libertaire. Près de 70 ans plus tard, un “Atelier de création libertaire” édite un opuscule d’une centaine de pages contre lui. Il n’apporte strictement rien de neuf aux diatribes de la dizaine de folliculaires qui l’ont précédé. La liste commence à devenir longue (je cite dans l’ordre alphabétique) : Bonneton, Bounan, Gosselin, Kaminski, Martin, Peillon, Rossel-Kirschen, Vanino… Et maintenant un poéticule surréaliste nommé comme de juste Lepetit.
Après avoir fait l’effort (méritoire) de le lire, on se demande dans quel monde il vit : « Coqueluche d’une certaine intelligentsia française, toutes tendances confondues, Louis-Ferdinand Céline est actuellement en voie de totale réhabilitation. » Céline totalement réhabilité ? Si l’importance de l’écrivain est reconnue – comment pourrait-il en être autrement ? –, jamais il n’aura été autant honni par ladite intelligentsia. Au point que le constat qu’il faisait en exil s’avère toujours pertinent : « J’ai été tellement recouvert de toutes les ordures et les merdes que cent mille tonnes de parfums d’Arabie ne me feraient pas encore sentir bon ! ». Taguieff et Duraffour en ont même fait un agent nazi appelant de ses vœux l’extermination de la race élue. Sans apporter aucune preuve évidemment. Je ne suis pas un admirateur inconditionnel et je n’ignore pas que le citoyen Destouches avait des choses à se reprocher à la Libération mais est-ce une raison suffisante pour vouer l’intégralité de l’œuvre aux gémonies ? « J’ai beaucoup aimé Céline avant de lire les écrits “censurés” qui m’en ont définitivement détourné », assène Lepetit. En clair, cela signifie que s’il ne les avait pas lus, son admiration serait demeurée intacte. On reconnaîtra que c’est complètement inepte. À ce compte-là, on ne pourrait plus priser tels grands romans dès lors qu’on apprendrait que son auteur glorifia la dictature stalinienne et les bagnes soviétiques. De la même manière, on n’applaudirait plus tel académicien de renom à partir du moment où ses biographes nous auraient révélé ses amours pédérastiques. Morale civique et grandeur littéraire ne vont pas toujours bien ensemble, ce n’est pas nouveau. Et le bilan n’a pas varié : « La littérature anti-célinienne n’aura jusqu’à présent brillé ni par sa rigueur, ni par son intelligence. Son unique avantage est de se situer dans le camp du Bien et de prendre appui sur cette position pour prétendre n’énoncer que des vérités établies et de grandiloquentes indignations ¹. »
Pas sûr que Lepetit trouve drôle la phrase de Céline qui a amusé nos lecteurs le mois passé : « J’ai jamais micronisé, macronisé dans les meetings... » D’autant qu’elle est extraite d’un de ces écrits maudits qui vaut désormais au géant d’être ostracisé par ce nain. Nul aspect visionnaire, cette fois ! Ce néologisme célinien peut se définir ainsi : « Macroniser (verbe intransitif) : se comporter comme un maquereau, afficher publiquement des sentiments d’admiration ou d’obédience servile ². » On m’autorisera à préférer les études savantes du regretté Alphonse Juilland, auteur de cette définition, au énième factum anticélinien.
• Patrick LEPETIT, Voyage au bout de l’abject (Louis-Ferdinand Céline, antisémite et antimaçon), Atelier de création libertaire (B.P. 1186, 69202 Lyon cedex 01), 2017, 134 p. (10 €)
- Frédéric Saenen, « Écrire contre Céline », Spécial Céline, n° 10, août-septembre-octobre 2013, p. 90-104.
- Alphonse Juilland, Les verbes de Céline (Glossaire : M – P), Montparnasse Publications, 1990, p. 52.