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Vient de paraître

2016-06-BC-Cover

Sommaire : Une lettre de Siné à Marc Laudelout – Deux livres de Bernard Gasco – « L.-F. Céline est mort » (1961) – L’âge d’or du pamphlet – Un trois-mâts de Céline : Margaret Severn – Céline, Proust et la Grande Guerre – Vétéran du célinisme.

Vilain

Bien entendu, dans ses interviews, le docteur ès lettres qu’est Philippe Vilain se défend de mésestimer Céline : « Je lui reconnais une qualité poétique et littéraire. Le problème n’est pas tant Céline que ses suiveurs qui ont insinué l’idée que l’écriture oralisante était facile ¹. » Hormis le fait – vieille antienne –, qu’il rende l’écrivain responsable de ses médiocres épigones, ce Vilain n’est pas franc du collier : toute une section de son livre (« De la grande musique proustienne à la petite musique célinienne ») suinte de condescendance, voire de mépris, à l’égard de Céline. Jugez en par les termes auxquels il a recours pour qualifier son œuvre : « stagnation morbide dans l’abject », « décadent voyage au bout de la nuit littéraire », « simple trouvaille scripturale », « poétique esthétiquement stérile et vide », etc. Comme certains de ses confrères obtus, il voit dans Céline un auteur populiste, « singeur méprisant de populace », dont le labeur est « vraisemblablement très exagéré » [sic]. Surtout, Vilain ne discerne pas la profondeur de l’œuvre sous ses dehors trompeurs. Il se laisse enfin abuser par les facilités apparentes d’une esthétique en rupture avec celle qu’il prise et dont la figure emblématique est l’auteur de la Recherche. Opposer d’ailleurs, comme il le fait, les admirateurs de Proust à ceux de Céline est inepte dans la mesure où, contrairement à ce qu’il imagine, ceux-ci se confondent parfois ². Le comble étant d’affirmer que la poétique célinienne « ne révolutionne aucun destin » alors qu’on ne compte plus les individus dont l’existence a été singulièrement ébranlée par la lecture de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à crédit.L’auteur eût été pertinent s’il s’en était tenu à son projet initial : dénoncer, d’une part, la surabondance d’écrits contemporains, consensuels et dociles, ayant sacrifié le style ; stigmatiser, d’autre part, les sous-Céline qui sont légion aujourd’hui. Las ! L’auteur s’en prend à l’écrivain lui-même et se ravale ainsi au niveau du zigoto qui a naguère signé un absurde Contre Céline.Cerise sur le gâteau : Vilain feint d’ignorer la suspicion qui pèse sur les admirateurs de l’écrivain alors qu’un Henri Godard en a, peu ou prou, souffert durant toute sa carrière ³. Ignore-t-il aussi qu’un ancien ministre de l’Éducation Nationale (!) n’a pas craint d’affirmer  que l’admiration  à l’égard de Céline  est  « pour le moins douteuse » 4 [sic] ? Il devrait pourtant être enfin admis que l’on peut admirer Aragon ou Vailland sans être suspecté d’une quelconque nostalgie stalinienne. Et que l’on peut être un lecteur enthousiaste de Céline sans être dépourvu de lucidité quant à sa part d’ombre.

Philippe Vilain, lui-même romancier, n’est pas à plaindre : il est édité par deux grands éditeurs (Gallimard/Grasset), adapté à l’écran et couronné par divers lauriers (dont ceux de l’Académie française). Mais pour avoir écrit de telles sottises sur le contemporain capital, il devrait être attentif à son avertissement : « Il est vilain, il n’ira pas au Paradis celui qui décède sans avoir réglé tous ses comptes. »

• Philippe VILAIN, La littérature sans idéal, Grasset, 158 p. (16 €)

  1. Propos recueillis par Geneviève Simon (« Plaidoyer pour un nouvel horizon littéraire », La Libre Belgique, 26 avril 2016, p. 42).
  2. Contrairement à ce qu’a pu laisser croire Céline lui-même, son admiration pour l’auteur de la Recherche n’était pas feinte : « Proust est un grand écrivain. C’est le dernier grand écrivain de notre génération » (Céline à Meudon. Transcription des entretiens avec Jacques d’Arribehaude et Jean Guenot, Éditions Guenot, 1995, p. 44).
  3. Cf. Henri Godard, À travers Céline, la littérature, Gallimard, 2014.
  4. Luc Ferry, « Célébrer Céline ? », Le Figaro, 29 janvier 2011.

Vient de paraître

2016-05-BC-Cover

Sommaire : Dictionnaire célinien des lieux de Paris – L’adaptation théâtrale de Voyage par Damien De Dobbeleer – D’un Mourlet l’autre – Rennes, de Céline à Kundera – Le Journal de Marc Hanrez – Dictionnaire amoureux de la langue française – Un texte ignoré de Léon Daudet sur Céline – Nietzsche et Céline – Nos archives audio-visuelles

Giono, Céline et Gallimard

On a beaucoup commenté la manière dont Céline se comporta avec Robert Denoël, puis Gaston Gallimard. Au moins a-t-il toujours joué franc jeu : « J’étais l’auteur le plus cher de France ! Ayant toujours fait de la médecine gratuite je m’étais juré d’être l’écrivain le plus exigeant du marché – Et je l’étais ¹. »

Giono, c’est autre chose. Sa correspondance avec Gallimard, qui vient de paraître, nous montre un personnage d’une duplicité peu commune. Dès 1928, Gaston lui propose de devenir son éditeur exclusif dès qu’il sera libre de ses engagements avec Grasset. Grand écrivain mais sacré filou, Giono n’aura de cesse de jouer un double jeu, se flattant d’être « plus malin » que ses éditeurs. Rien à voir avec Céline, âpre au gain, mais qui se targuait d’être « loyal et carré ». Giono, lui, n’hésitait pas à signer en même temps un contrat avec Grasset et un autre avec Gallimard pour ses prochains ouvrages. Chacun des deux éditeurs ignorant naturellement l’existence du traité avec son concurrent. But de la manœuvre : toucher deux mensualités (!). La mèche sera vite éventée. Fureur de Bernard Grasset qui voulut porter plainte pour escroquerie et renvoyer l’auteur indélicat devant un tribunal correctionnel. L’idée de Giono était, en théorie, de réserver ses romans à Gallimard et ses essais à Grasset. L’affaire ira en s’apaisant mais Giono récidivera après la guerre en proposant un livre à La Table ronde, puis un autre encore aux éditions Plon.  En termes mesurés, Gaston lui écrit : « Comprenez qu’il est légitime que je sois surpris désagréablement. » Et de lui rappeler, courtoisement mais fermement, ses engagements, ses promesses renouvelées et ses constantes confirmations du droit de préférence des éditions Gallimard. En retour, Giono se lamente : « Avec ce que je dois donner au percepteur, je suis réduit à la misère noire. » Et en profite naturellement pour négocier ses nouveaux contrats à la hausse. Ficelle, il conserve les droits des éditions de luxe et n’entend pas partager avec son éditeur les droits d’adaptation cinématographiques de ses œuvres. Tel était Giono qui, sur ce plan, ne le cédait en rien à Céline. On peut cependant préférer le style goguenard de celui-ci quand il s’adresse  à  Gaston : « Si j’étais comme vous multi-milliardaire (…), vous ne me verriez point si harcelant… diable ! que vous enverrais loin foutre !  ² ».

À l’instar de Céline ³, Giono souhaitait se voir édité de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade. Dix ans plus tard, le même scénario se répète : l’auteur de Colline meurt en 1970 un an exactement avant la parution de ses Œuvres complètes sur papier bible.

• Jean GIONO, Lettres à la NRF, 1928-1970 (édition établie par Jacques Mény), Gallimard, 2016, 528 p. (26,50 €).

  1. Lettre du 19 mars 1947 (Lettres à Milton Hindus, 1947-1949, Gallimard, 2012, p. 38).
  2. Lettre du 20 juin 1956 (Lettres à la NRF, 1931-1961), Gallimard, 1991, p. 323).
  3. Si Céline eut parfois des mots acides à l’endroit de Giono (« Rabindrathagoriste du poireau »), comment ne pas évoquer ici la belle lettre qu’il lui écrivit en 1953 alors qu’il avait exprimé (à Marcel Aymé) le vague souhait de s’installer dans le Midi. Ce qui valut à Giono ces remerciements émus de Céline : « Mon cher Giono, Marcel Aymé m’a lu votre lettre et je suis bien vivement touché par l’amitié que vous me témoignez et l’accueil que vous faites à mon projet d’aller séjourner vers Manosque». Renonçant finalement au projet, il poursuit : « Je suis bien sensible, croyez-le, à votre si généreuse offre de rechercher autour de vous des personnes disposées à me venir en aide… », pour conclure par cette formule inhabituelle sous sa plume : « Je vous embrasse cher Giono et vous remercie bien sincèrement et m’excuse et vous prie de me croire bien amicalement vôtre. Destouches » (Lettres, Gallimard, 2009).

Vient de paraître

2016-04-BC-Cover

Sommaire : Lucette Almanzor dans Comœdia – Odette Subra et quelques autres – Dubuffet et Céline – Un caveau pour une autre fois (2) – Le colloque « Céline à l’épreuve »

Céline à l’écran

Le réalisateur, Emmanuel Bourdieu, ne s’en cache pas. Son Céline, librement adapté du livre de Milton Hindus, est une commande ¹. Elle émane de Jacques Kirsner, producteur animé autant par son amour du cinéma que par son militantisme ². « Quand on a été trotskiste, on le reste », affirme-t-il volontiers. Issu d’une famille originaire d’Europe centrale (en partie décimée sous l’Occupation), il a été l’un des principaux dirigeants du mouvement trotskiste lambertiste et de l’OCI (Organisation communiste internationaliste). Était-il la personne idoine pour produire un film équitable sur Céline ? Toujours est-il que cette réalisation constitue une charge sans nuances de l’écrivain en exil.  Denis Lavant  surjoue  à l’envi  un Céline simiesque, vociférateur et lubrique. Le  personnage est tellement caricatural qu’il en devient franchement  détestable ³. Objectif atteint. Par ailleurs, bien des libertés sont prises avec la vérité historique.  Ainsi,  la pétition qu’Hindus lança aux États-Unis est présentée comme ayant été décisive pour empêcher l’extradition de Céline. C’est pour le moins exagéré. Le personnage de Lucette (Géraldine Pailhas)  n’est pas davantage conforme  à ce qu’elle fut.  On la voit  menacer Céline de le quitter si Hindus s’en va de manière précipitée (!). Dans la réalité, Lucette fut aussi dévouée que soumise à son époux. Quant à Hindus (Philip Desmeules), il est le parangon du dévouement, alors qu’en fait, il n’hésita pas à rendre public un témoignage défavorable à Céline en attente de son jugement : « Je publie ce livre parce qu’il constitue, après dix ans, une réponse à la polémique que Céline a livrée à ma race ». Ce côté revanchard n’apparaît pas dans ce film dénaturé par un manichéisme sommaire. Un candide éperdu d’admiration face à un démon paranoïaque et sadique, c’est une trouvaille. Ceux qui ignorent tout de la personnalité de Céline, assurément complexe et ambivalente, vivront désormais avec une image bien peu avantageuse de lui, à la grande satisfaction de ses détracteurs ainsi confortés dans leur détestation. Ajoutons que la mise en scène est d’un académisme pesant, ce qui n’arrange rien. L’affiche est surchargée de sens et de symboles comme le film lui-même 4. Après la projection, le constat émis par l’écrivain à la fin de sa vie revient irrésistiblement à l’esprit : « Dieu qu’ils étaient lourds ! ».

• BOURDIEU, Emmanuel : Louis-Ferdinand Céline (Deux clowns pour une catastrophe). 1 h 37. Le film sera diffusé sur la troisième chaîne de la télévision française. Le livre de Milton Hindus a été réédité en 2008 sous le titre (fallacieux) Rencontre à Copenhague (L’Herne).

  1. Ce n’est pas la première. Jacques Kirsner lui avait déjà commandé un film pour la télévision : Drumont, histoire d’un antisémite français (2013).
  2. Dans le second tome de son Encyclopédie politique française (2005), le regretté Emmanuel Ratier lui consacre une notice aussi substantielle qu’édifiante.
  3. Frédéric Vitoux, biographe de Céline, n’est pas moins sévère : « Que nous montre Bourdieu, en somme ? Un petit vieillard fébrile, éructant, gâteux, paranoïaque, voyeur et parfaitement repoussant. Qu’importe si Céline, âgé de 54 ans, était grand et si, même sous ses dehors clochardisants, il témoignait d’une véritable beauté lorsque ses douleurs physiques lui laissaient un instant de répit ! Denis Lavant déploie bien des efforts pour insuffler une forme de pathétique tension à cet homme si contradictoire. Mais où sont les prodigieux monologues de Céline, souvent cocasses, quand il se laissait emporter par son flot oratoire, comme dans un état inspiré où se faisait entendre l’écho ou l’ébauche de ses futurs écrits ? Ils ont disparu avec lui. Restent de pauvres dialogues qui ne sonnent pas juste. » (Le Figaro, 9 mars 2016).
  4. J’emprunte la formule à Pierre Assouline : « Quel célinéma ! », La République des livres, 5 mars 2016.