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Vient de paraître

2016-03-BC-Cover
Sommaire : « L’Affaire Céline », polar québecois – Bardamu au féminin : « Voyage au bout de la nuit » adapté par Philippe Sireuil et interprété par Hélène Firla – Un caveau pour une autre fois.

Les fins dernières

Coïncidence : deux livres abordent un thème commun. Les derniers jours, pour l’un, les dernières heures, pour l’autre, d’écrivains réprouvés pour leur engagement politique : Drieu et Céline. Paradoxalement, vous lirez sans doute le premier avec plus d’intérêt que le second. C’est que le livre d’Isabelle Bunisset, écrit comme les romans de Céline à la première personne, ne constitue qu’un démarquage de son œuvre, correspondance et entretiens inclus. Si elle lui accole (dans le prière d’insérer) le sempiternel adjectif « nauséabond », il faut lui reconnaître une certaine empathie envers le personnage, ce qui n’est pas banal par les temps qui courent ¹. Pour lui avoir consacré sa thèse de doctorat il y a quinze ans (sans être revenue sur le sujet depuis), elle est présentée comme une spécialiste de Céline. Le lecteur du BC s’amusera des bourdes dont est truffé ce mince volume de 130 pages. Ainsi, contrairement à ce qui y est affirmé,  Céline n’a pas fait  partie  de l’armée française d’Afrique (p. 29), n’a jamais pratiqué la médecine à Detroit (p. 72), ne se retrouvait pas « chaque dimanche matin » dans l’atelier (?) d’Henri Mahé (confusion manifeste avec Gen Paul), etc.  Ajoutons qu’une céliniste patentée n’aurait pas confondu Le Petit journal illustré (p. 128) avec L’Illustré national dont Louis Destouches fit la quatrième de couverture — et non la « première page », comme erronément indiqué. Par ailleurs, Milton Hindus n’a pas écrit de thèse de doctorat sur Céline (p. 38) et ce n’est pas Madeleine Chapsal (p. 52) qui titra « Voyage au bout de la haine »  sa  fameuse interview de 1957. Certes,  ces erreurs pourront être attribuées au narrateur plutôt qu’à l’auteur mais que penser alors des coquilles qui parsèment l’ouvrage : Brion (au lieu de Brinon, p. 33), Rivol (au lieu de Révol, p. 108), Hubert (au lieu de Hébert, ibid.), Vestre Foengsel (au lieu de Vestre Fængsel, p. 28) ? Tout cela manque assurément de rigueur mais il est vrai que ce « roman » ne s’adresse pas  prioritairement aux céliniens qui estimeront l’initiative assez vaine.L’ouvrage consacré aux derniers jours de Drieu est  plus  intéressant :  il éclaire l’évolution de  cet écrivain attiré par les sirènes de la politique pour mieux résoudre son équation personnelle. Mais pourquoi faut-il qu’à l’occasion de cette parution, un folliculaire, né l’année de la mort de Drieu, le considère  comme  « l’un des plus grands ratages littéraires du dernier siècle » [sic] ² ? À l’instar de tel historien sectaire, il estime son entrée dans la Pléiade usurpée. S’il n’a pas le génie de Céline, Drieu n’en demeure pas moins un romancier au charme certain, faisant preuve d’un véritable sens du style, de l’image et du rythme. Il se trouve qu’un pionnier de la critique célinienne a également été le maître d’œuvre du Cahier de l’Herne consacré à Drieu. Vous aurez reconnu Marc Hanrez.  Lequel fut animé par la volonté de faire apparaître l’écrivain que masquait sa mythologie sulfureuse. Pari réussi et qui a précisément ouvert la voie à son intronisation dans la Bibliothèque de la Pléiade.

• Isabelle BUNISSET, Vers la nuit, Flammarion, 2016, 135 p. (15 €)
• Aude TERRAY, Les derniers jours de Drieu la Rochelle, Grasset, 2016, 234 p. (18 €)

  1. Et son admiration pour l’écrivain n’est pas feinte : « Je voudrais que le lecteur aime son écriture autant que je l’ai aimée. Elle m’a tout donné. Tant d’émotions, tant de poésie… » (Page des Libraires, n° 176, hiver 2016, pp. 10-11).
  2. L’Académie belge serait-elle plus réceptive envers les « maudits » que celle du quai Conti ? Après deux conférences sur Céline l’année passée, elle en accueillera une sur Brasillach (le 19 avril) et une autre sur Drieu la Rochelle (le 18 mai). Elles seront respectivement prononcées par Pierre Somville et Frédéric Saenen, auteur d’une excellente monographie sur Drieu la Rochelle (Infolio, 2015). Signalons par ailleurs la parution de Chroniques des années 30, recueil de textes inédits ou oubliés de Drieu, préfacé par Christian Dedet (Les Éditions de Paris / Max Chaleil).

Vient de paraître

2016-02-BC-Cover

Sommaire : Dictionnaire amoureux de Paris – “Le Masque” et Céline – Céline aux éclats – Céline, lecteur de Nadar – Actualité célinienne

Céline et Marcel Aymé

C’est un fort beau livre, érudit et sensible, que Bernard Morlino consacre aux amitiés littéraires. Il y a plus de trente chapitres. Citons en quelques uns : Rousseau-Diderot ; Huysmans-Descaves ; Péguy-Lotte ; Fargue-Larbaud ; Apollinaire-Rouveyre ; Calet-Guérin ; Blondin-Nimier,… Passionné par l’histoire littéraire, l’auteur parvient à nous rendre vivantes ces amitiés d’autant plus précieuses qu’elles fleurirent dans un monde où l’on se déteste souvent avec passion. Et où la jalousie règne en maître. « Le succès des autres me gêne, mais beaucoup moins que s’il était mérité. », confessait Jules Renard. Le  chapitre qui intéressera particulièrement les lecteurs du BC est celui consacré à Céline et Marcel Aymé.  Bien documenté, Bernard Morlino retrace avec précision l’histoire de cette amitié dont on peut situer l’origine vers 1934 dans l’atelier de Gen Paul. Décor immortalisé par Marcel Aymé dans « Avenue Junot ». Après la guerre, Céline confondait sans doute la teneur de cette nouvelle  (parue en août 1943 dans Je suis partout) avec celle intitulée « La Carte » (parue en avril 1942 dans La Gerbe mais publiée l’année suivante en recueil) car c’est dans celle-ci qu’il est dépeint en antisémite acrimonieux. Céline interpréta ce traitement de Marcel Aymé comme une manœuvre pour se distancier de lui. À tort. L’auteur de La Vouivre continuera par ailleurs à donner des textes (littéraires) à la presse collaborationniste jusqu’en juin 1944 ¹. Mais c’est pour avoir vendu un scénario à la firme allemande « Continental » qu’il écopa d’un blâme à la Libération.

Bernard Morlino voit juste lorsqu’il écrit que « Marcel Aymé fut un ami parfait pour Céline parce qu’il ne l’a jamais jugé et encore moins condamné ». De son côté, Céline l’appréciait et surtout estimait son talent. « Le plus fin des conteurs français actuels », écrira-t-il à l’un de ses correspondants. Ailleurs, il le situe au même rang littéraire que Maupassant. Ce n’est pas rien, d’autant que les compliments envers ses pairs étaient rares sous sa plume. Morlino n’évoque pas l’éloge décerné dans Féerie pour une autre fois (« un ami magnifique ! ») , mais on ne peut tout citer… Ce qui les rapprocha aussi, c’est cet attachement à Montmartre. Céline y eut deux adresses (rue Lepic, puis rue Girardon) ; Marcel Aymé, en eut trois (rue du Square-Carpeaux, rue Paul Féval, puis rue Norvins où il vécut jusqu’à sa mort). Ces rues appartiennent désormais à l’histoire littéraire, ainsi que le fameux square Junot. L’auteur relève opportunément qu’aucune plaque commémorative ne rappelle que Céline habita les lieux, alors que les domiciles de Gen Paul et Marcel Aymé sont signalés aux touristes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Après deux vaines tentatives, la première en 1984, la suivante huit ans plus tard, j’ai jeté l’éponge. Certes il y aura toujours des céliniens pour trouver qu’il est fort bien qu’il en soit ainsi. Idem pour son éviction des « Célébrations nationales » en 2011, idem pour le refus préfectoral de classement de sa maison comme « lieu de mémoire » en 1992, etc. Au moins est-il célébré dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Qui l’est peut-être un petit peu moins depuis qu’une fausse valeur académique l’a intégrée de son vivant.

• Bernard MORLINO. Parce que c’était lui (Les amitiés littéraires de Montaigne et La Boétie à Boudard et Nucéra), Écriture, 2015, 382 p. (24,95 €)

  1. Sur cette période, on peut ne pas être d’accord avec l’auteur lorsqu’à propos d’un voyage d’écrivains français en Allemagne, il évoque, page 179, un « Goebbels, ravi de voir se traîner à ses pieds Drieu la Rochelle, Chardonne et Brasillach, entre autres champions de la reptation [sic]. » Formule d’autant plus excessive que c’est mettre ces trois écrivains dans le même sac alors que les cas ne sont pas comparables.

Vient de paraître

2016-01-BC-Cover

Sommaire : Correspondance à Pierre Monnier – Une lettre à Jean Ajalbert – Ajalbert et Céline, d’un écrit l’autre – Un livre sur Jean Boissel – Lucien Rebatet et la culture fasciste – Dictionnaire chic de la littérature française.

Lettres à Pierre Monnier

C’est en 1979 que je fis, le même jour, la connaissance, à Paris, de Jean-Paul Louis et de Pierre Monnier qui venait de faire paraître son Ferdinand furieux ¹. Ouvrage qui suscita un vif intérêt des céliniens, d’autant qu’il comportait plus de 300 lettres inédites. Cette correspondance vient d’être republiée dans une remarquable édition due précisément à Jean-Paul Louis, coéditeur du volume Lettres dans la Pléiade et déjà éditeur dans les Cahiers Céline de trois grandes correspondances (Canavaggia, Hindus et Paraz). C’est d’ailleurs en préparant la première édition des lettres à Paraz qu’il fit, par l’entremise d’Arletty, la connaissance de Pierre Monnier. (J’ai connu, soit dit en passant, l’expérience inverse : rencontrer Arletty grâce à Monnier.) Un des mérites de cette nouvelle édition est qu’elle rend hommage à l’éditeur néophyte qu’il fut. Brève carrière (deux ans seulement) mais où il fit preuve d’un véritable sens du livre : choix des sujets, typographie, titre, bref tout ce qui constitue le travail de l’édition. En annexe, un chapitre entier est consacré aux éditions Frédéric Chambriand (alias Pierre Monnier), avec le relevé minutieux de la vingtaine de titres publiés de décembre 1949 (Casse-pipe) à novembre 1951 ². L’aide qu’il apporta à Céline ne fut pas négligeable puisqu’il contribua à faire rééditer Voyage au bout de la nuit, et qu’il édita lui-même trois titres, dont Scandale aux abysses illustré par ses soins à la grande satisfaction de l’auteur. Dans le cas de Monnier, ce qui est notable, c’est que son admiration pour l’écrivain se doublait d’une vive estime pour le pamphlétaire. Et même d’une véritable gratitude. Il me rappela plus d’une fois que, « mobilisable » à la fin des années trente, il avait contracté une dette envers celui qui alerta ses contemporains sur les risques d’une guerre funeste (plus de 100.000 morts français en 1940). Aussi Pierre Monnier s’efforça-t-il de justifier dans Ferdinand furieux, les prises de position pacifistes de l’auteur de Bagatelles. Ce qui lui valut une semonce de François Nourissier : « Admirez Céline, ne le défendez pas ! » (Le Point, 18-24 février 1980). Vieille histoire…
Ceux qui détiennent ce livre de Monnier auraient tort de ne pas se procurer cette nouvelle édition de la correspondance. Pas seulement parce qu’elle comporte huit  lettres absentes de la première édition mais aussi parce que le corpus y était souvent fautif ou approximatif, allant parfois jusqu’au contresens, et autres scories : mots et phrases omis, éléments appartenant à une lettre donnés avec une autre, etc. Tout le travail de l’éditeur a donc consisté, non seulement à élaborer un appareil critique pertinent ³, mais aussi à établir scrupuleusement le texte célinien. Ajoutons que cette correspondance, sans être aussi importante que celle reçue par Hindus, est décisive pour cerner les tensions entre Céline et le monde éditorial.
• Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Pierre Monnier, 1948-1952, Gallimard, coll. « Les cahiers de la Nrf» [Cahiers Céline n° 12], 2015, 574 p. Édition établie, présentée et annotée par Jean-Paul Louis.
  1. Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Âge d’homme, 2009 (2e édition). La première édition date de 1979.
  2. Il faut noter que ce travail avait déjà été entrepris, par Jean-Paul Louis, il y a plus de trente ans : « Frédéric Chambriand, éditeur de Céline. Description chronologique et bibliographique » in Le Lérot rêveur, n° 33, février 1982.
  3. C’est pourquoi on hésite à corriger ici des erreurs de détail. Relevons en deux : la maison figurant sur la photographie en frontispice n’est pas « Fanehuset » mais « Skovly ». Par ailleurs, il n’est pas exact que l’hebdomadaire Paroles françaises n’ait pas consacré « un seul article à Céline » en 1950. Voir : « Céline dans “Paroles françaises” (2) », Le Bulletin célinien, n° 376, juillet-août 2015, pp. 15-20. Parmi ces articles : une longue critique de Casse-pipe par André Thérive (reproduite dans ce numéro, pp. 21-23).